Shakespeare (Still) in Love : LE LAB du Concert de l’Hostel Dieu, Théâtre Sainte Hélène de Lyon, Mercredi 15 octobre 2014

Par Suzy Drouet
Publication en ligne le 07 novembre 2014

Texte intégral

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Théophile Alexandre, danseur et contre-ténor

Photo : J. Benhamou

1Transporté ! On ne pouvait qu’être transporté, ce soir-là, en assistant au spectacle Shakespeare (Still) in Love – spectacle donné sous l’égide du Concert de l’Hostel Dieu dont le directeur musical est Franck-Emmanuel Comte. Frank-Emmanuel Comte, c’est aussi celui qui a imaginé LE LAB, un « laboratoire à idées » comme il le dit lui-même, « un espace de création, une pépinière bouillonnante et interdisciplinaire réunissant des personnalités artistiques d’horizons très variés », au sein duquel ce spectacle a été monté1.

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Emmanuel-Frank Comte, directeur musical

Capture d’écran de l’épisode 3 : https://www.youtube.com/watch ?v =jzl-y8I5Q9U2

2Transporté, grâce à la sensualité qui émanait aussi bien (mais surtout) du rôle du jeune ami d’un Shakespeare vieillissant, amoureux mais moqué – rôle tenu par Théophile Alexandre dont la voix de contre-ténor et la gestuelle étaient envoûtantes (c’était l’apparition d’Ariel et de Puck réunis, à la fois Ariel, l’esprit de l’air de La Tempête, et Puck le lutin malicieux du Songe d’une nuit d’été) – que des morceaux choisis de Purcell inspiré par le théâtre de Shakespeare. Le théorbe (Étienne Galletier), la viole de gambe (Nolween Le Guern), le clavecin (Frank-Emmanuel Comte) et le violon (François Costa) sous-tendaient l’enchantement et faisaient ressortir les émotions éprouvées par le célèbre dramaturge élisabéthain, incarné sur la scène par le comédien Jacques Chambon qui disait, avec beaucoup de ressenti, des sonnets (sonnets 21, 76, 77, 66 et 119) et de courts extraits de pièces (Le Songe d’une nuit d’été, La Nuit des rois, Les deux gentilshommes de Vérone, Peines d’amour perdues).

« Lassé de tout cela, combien je voudrais fuir !
Mais mourir, mon amour, serait te laisser seul ». (Sonnet 66)

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Le comédien Jacques Chambon

Capture d’écran de l’épisode 3 : https://www.youtube.com/watch ?v =jzl-y8I5Q9U

3Les musiciens passaient avec virtuosité d’une musique savante à des airs populaires – comme Shakespeare lui-même jouait de plusieurs registres : passant du langage des gens cultivés, rois et aristocrates, à celui truculent des rustres et des petites gens.

4Grâce au LAB, lieu d’inventivité au croisement de plusieurs disciplines artistiques et que Franck-Emmanuel Comte a initié, ce soir-là, William Shakespeare et Henry Purcell, étaient nos contemporains : « il y avait partage des temps entre les œuvres et ceux qui les regardaient et les écoutaient3 ».

« One charming night             Une nuit de charmes
Gives more delight             Donne plus de délices
Than a hundred lucky days.             Que cent jours de bonheur.
Night I improve the taste,             Le plaisir est plus doux,
Make the pleasure longer last             Nous le faisons durer plus longtemps,
A thousand several ways.             Et de toutes sortes de manières ».
The Secret, « One charming night » (The Fairy Queen, 1692), Henry Purcell


« O, whe she cam ben, she bobbèd fu’ law ! Ô, en entrant, elle fit une grande révérence !
O, whe she cam ben, she bobbèd fu’ law ! Ô, en entrant, elle fit une grande révérence !
And we she cam ben, she kiss’d Cockpen, Et en entrant, elle embrassa Cockpen,
And syne she deny’d she did it at a’. Et depuis elle nie le fait ».
When she cam ben, Turlough’ O Carolan (1670-1738)

5Un autre instant tout autant magique également : la complicité entre les doigts du jeune homme et ceux de la jeune fille dont il est épris (incarnée par la gambiste, Nolween Le Guern), lorsqu’il rythme la cadence sur la couche où il est allongé et qu’elle reprend le même tempo en frappant sur la table de sa viole.

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Théophile Alexandre, en répétition chorégraphique

Capture d’écran de l’épisode 2 : https://www.youtube.com/watch ?v =kY6t9ZTML8o

6Participait également à la sensualité, à l’éveil des sens du spectateur, la bande vidéo : la lande chargée de lourds nuages, l’océan en furie, la succession de formes mouvantes, variées et en même temps répétées comme les images d’un kaléidoscope, comme des bulles irisées de lumière4.

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La réserve de statues antiques

Capture d’écran de l’épisode 1 : https://www.youtube.com/watch ?v =NUPVB7xVa1s

7Il y a aussi cette réserve de statues antiques prolongeant l’espace scénique et où se déploie (en double, en triple) l’image du jeune homme dont Shakespeare est amoureux (alors même que Théophile Alexandre danse sur la scène) passant d’une statue à une autre, caressant les courbes sculptées au gré de sa dance gracieuse. L’image des mains (métonymique de Shakespeare) apparaît. Ces mains tentent de rejoindre celles du danseur, en vain. L’ubiquité du personnage de Shakespeare et de son ami sur l’écran, alors qu’ils sont en chair et en os sous les yeux du spectateur, est jubilatoire ! Voilà l’originalité du mariage de la vidéo et de la mise scène : rendre compte de ce que fait éprouver fictivement, à notre imagination, le sentiment amoureux. C’est la jouissance imaginaire des deux personnages qui nous est offerte en partage.

8Le versant sombre du spectacle – ou, pour reprendre les mots du metteur en scène Pierre-Alain Four, le « monde crépusculaire de l’auteur5 » – revenait à Jacques Chambon qui a dit avec une intériorité remarquable des extraits de pièces et des sonnets, dans les vers desquels Shakespeare libère les épanchements du moi. Le comédien y était très émouvant. Beaucoup d’émotion grave aussi lorsqu’il a pris le masque de théâtre des mains du jeune homme et est revenu vers ses comédies, ses tragédies, toutes les pièces qu’il avait écrites – sur scène, elles étaient figurées par de simples dossiers cartonnés. Sa bibliothèque avait été chamboulée par la danse du jeune homme. Belle métaphore visuelle pour expliquer la répercussion de ce chamboulement dans ce qui avait été le sel de la vie de l’auteur – l’écriture – et qui lui faisait mettre en perspective sa vie consacrée à sonder la profondeur de l’âme humaine et à en exprimer les grands mouvements et les radicales déchirures, au détriment de la poursuite et de l’assouvissement de ses propres émotions et désirs. Mais pour le spectateur, il peut y avoir plaisir à entendre des tourments exprimés poétiquement. Ce début d’un sonnet de Wordsworth vient à mon esprit : « There is a pleasure in poetic pains6 »,car les sonnets, comme la musique,peuvent n’être que de simples demandes d’amour.

9On ne peut que chaleureusement recommander le prochain concert du LAB, faisant partie des répertoires croisés : Swinging Rameau,10-11 mars 2015, à l’amphithéâtre de l’Opéra de Lyon.

Notes

1  Voir le programme du spectacle.

2  C’est Mathilde Luneau (contact communication et presse) qui a attiré mon attention sur ces quatre épisodes vidéo autour du spectacle. Qu’elle en soit ici remerciée.

3  Daniel Arasse, Histoires de peintures, Paris, Gallimard, coll. « essai/folio », 2013, p. 336.

4  Pour un entretien avec le vidéaste Joran Juvin et le metteur en scène Pierre-Alain Four, voir l’épisode 4 : https://www.youtube.com/watch ?v =NhfJT-8gM_Y

5  Voir la note d’intention du programme.

6  Sonnet composé par William Wordsworth en 1827.

Pour citer ce document

Par Suzy Drouet, «Shakespeare (Still) in Love : LE LAB du Concert de l’Hostel Dieu, Théâtre Sainte Hélène de Lyon, Mercredi 15 octobre 2014», Shakespeare en devenir [En ligne], N°7 — Saison 2014-2015, L’Oeil du Spectateur, Autour de Shakespeare - Espace libre, mis à jour le : 07/11/2014, URL : https://shakespeare.edel.univ-poitiers.fr:443/shakespeare/index.php?id=732.

Quelques mots à propos de :  Suzy Drouet

Ayant toujours manifesté un intérêt pour l’art pictural, le spectacle vivant et la transversalité des expressions artistiques, Suzy Drouet réalise des livres pour des artistes peintres. Parmi ses derniers titres, on peut mentionner Échappée poétique en terre picturale pour Jean-Marc Brugeilles (2012), Harmonies/Duets with Geoff Bernstein (2012), Écrin noir pour l’œuvre de Pierre Flandreau (2013). Un second livre consacré à Pierre Flandreau est à paraître en 2015.