- Accueil
- > L’Oeil du Spectateur
- > N°2 — Saison 2009-2010
- > Mise en scène de pièces de Shakespeare
- > Les Joyeuses Commères de Windsor entrent au répertoire de la Comédie-Française
Les Joyeuses Commères de Windsor entrent au répertoire de la Comédie-Française
«Où l’on voit que l’esprit quand il est mal employé, tourne vite au turlupin1» [Falstaff, Acte V, scène 5]. Mise en scène d’Andrés Lima.
Par Estelle Rivier-Arnaud
Publication en ligne le 23 septembre 2010
Table des matières
Texte intégral
Le Babel de Shakespeare
1Classée parmi les comédies de Shakespeare, LesJoyeuses Commères de Windsor nous propose une intrigue qui contient aussi sa part de tragique et de féérique. Et bien que cette pièce résulte d’une commande de la reine Elizabeth 1ère qui souhaitait voir un Falstaff amoureux après l’avoir apprécié en compagnon de beuverie du Prince Hal dans Henry IV,son personnage principal y est davantage tourné en dérision, ridiculisé et malmené,que conçu comme un objet résultant d’un désir profond et réel. C’est dans cet esprit qu’Andrés Lima, artiste espagnol qui a récemment présenté Titus Andronicus au Théâtre Romain de Mérida (juillet 2009), a précisément construit sa mise en scène2. Falstaff incarne tous les vices d’une société en perdition et cette comédie, faite à son image, n’est aimable qu’en apparence, dénonçant insidieusement les vices d’un monde pitoyable. Andrés Lima précise:
[…] l’œuvre comporte […] une dimension mélancolique définie par la perte: Windsor n’est plus ce qu’il était, il n’est plus le siège de la royauté. Les soldats qui le gardaient ne sont plus des soldats, ce sont des chômeurs, et les joyeuses commères ne sont plus jeunes, Falstaff non plus. Les seigneurs Duflot et Lepage sont en train de perdre leurs femmes et le peuple, lui, a perdu son argent que l’aristocratie a emporté avec elle […]. Tout cela dessine un paysage humain et social de ce qu’était l’Angleterre à cette époque […]3.
2Pourtant, juste avant le lever de rideau, l’humeur était décontractée dans la salle de la Comédie-Française. Le public, un peu inhibé tout d’abord, s’était laissé séduire par l’improvisation d’un des comédiens venu soulever le rideau de scène pour converser librement. Il s’agissait en fait de Thierry Hancisse, Messire Hugues Evans dans la pièce qui allait se jouer.
Maigreux (Alexandre Pavloff), Falot (Christian Cloarec) et Evans (Thierry Hancisse)
© Cosimo Mirco Magliocca
3Sur scène, on s’affaire aussitôt, on chante en canon, on reprend en cœur «Et buvons le vin!», on danse sur la table où Maigreux (Alexandre Pavloff) et Falot (Christian Cloarec) sont bientôt rejoints par Hugues Evans. Dès la première conversation, les traits grossiers et ridicules des personnages sont appuyés: Falot a le nez assorti à son bonnet rouge; Maigreux s’est fait friser les cheveux et porte un ensemble noir puritain; Evans a la panse rebondie, le crâne chauve et un accent belge caricatural. Les jeux de mots fusent dès les premières répliques, ponctuant immédiatement ce qui fait l’attrait majeur de cette pièce: son plurilinguisme exubérant. Jean-Michel Déprats et Jean-Pierre Richard, qui ont traduit la version française du texte choisi par l’Institution, ont à juste titre intitulé leur avant-propos «Windsor et Babel»4. La plupart des personnages malmène en effet la langue anglaise: le pasteur gallois Evans (belge dans cette version), le Français Caïus (devenu russe puisque joué par Andrzej Seweryn), Madame Pétule (Catherine Hiegel), le patron de l’auberge de la Jarretière (Stéphane Varupenne en alternance), ou bien encore Falstaff (Bruno Rafaelli), tous font des erreurs de prononciation et utilisent les mots à mauvais escient. Et s’ils corrigent les imperfections langagières des autres, ils se gardent bien de noter les leurs:
PISTOLET – Il entend de ses oreilles.
EVANS – Par le diable et sa mère! Quelle expression est-ce là?
«Il entend de ses oreilles»? Ah ! quelle affectation! (I.1. p. 32)
4Relevons aussi les travers du langage de Maigreux, qui recherche une forme d’expression châtiée, ou de Filou (Christian Blanc, également interprète de Rugby) dont le registre, plus limité, est beaucoup moins respectueux des usages:
FILOU – […] Si vous comptez me faire gauler, je dis: «Sangdieu,
fermez-la!», voilà ce que je dis. (I.1. p. 33)
5Plus avant dans la pièce, les inversions syntaxiques entraînent son interprète à se revêtir des atours d’un Japonais dont le phrasé approximatif est déconcertant:
FILOU – Mon humeur ne refroidira point: j’enflammerai
Lepage jusqu’à ce qu’il l’empoisonne. Je l’infecterai de
la jaunisse des jaloux, car dangereuse est ma révolte.
(I.2. p. 49)5
6Au-delà de ces tournures de phrase imparfaites, le choix du lexique et les prononciations erronées heurtent aussi les oreilles. Evans emploie les diphtongues à défaut: luces devient louses, coats devient cod ou cod-pieces, words s’entend worts; plus loin, à l’Acte III, scène 4, Caïus prononce tird au lieu de third, «troisième» devenant ainsi «étron». Comment rendre ces défaillances du langage qui provoquent le rire dans une mise en scène anglaise, tout aussi percutantes dans une version traduite? Jean-Michel Déprats et Jean-Pierre Richard proposent des transpositions afin de «préserver le maniérisme des chapelets de synonymes ou les associations cocasses d’antonymes6». Ils optent, entre autres, pour le recours au latin dont l’usage défectueux des terminaisons crée des incongruités:
EVANS – William, conjuguez-moi le verbe «penser» au présent
de l’indicatif.
WILLIAM – puto, putas, putat.
Madame PETULE – “Putasse”? […]
EVANS – […] William, maintenant, c’est quoi le verbe «aimer»
au futur de l’indicatif?
WILLIAM – Amabo, amabis, amabat.
EVANS – Bit, William, bit.
7Et ainsi de suite dans cet échange savoureux de l’Acte IV, scène 1. De ce côté-ci de la Manche, la force de la pièce repose, en grande majorité, sur la qualité de sa traduction. Mais à la Comédie-Française, c’est aussi l’expérience théâtrale et le savoir-faire des sociétaires qui confèrent à l’ensemble polyphonie et brio.
La troupe des Comédiens-Français
8Bruno Rafaelli interprète un Falstaff truculent. De par sa corpulence monumentale et sa voix tonitruante, il s’accapare physiquement l’espace de jeu. Dans les échanges qui l’opposent aux dames Lepage et Duflot, il ressemble à un ogre, un Barbe-Bleue. Las! piètre analogie car au contraire de dominer, celui-ci est soumis aux railleries et aux complots. Après lui, le jeu de scène de Christian Hecq (Duruisseau/Duflot) est des plus cocasses. Sa petite taille et son accoutrement (un long manteau et une perruque qui tient mal en place pour Duruisseau) en font un diablotin lilliputien comparé à son adversaire. On croirait parfois qu’il improvise, qu’il laisse libre cours à l’inspiration du moment, notamment quand, ayant perdu sa perruque, il s’adresse au public: «pour vous ce n’est pas grave!», puis quitte la scène la tête haute. Juste avant l’entracte, à la fin de l’Acte III, scène 5, c’est encore lui qui, resté en scène, reçoit une fine pluie de flocons sur la tête; une des élèves-comédiennes est l’accessoire servant cet effet. Après l’entracte, les flocons se sont amoncelés sur le dessus de son crâne comme si le temps l’avait figé ainsi dans l’intervalle où nous autres, spectateurs, sommes allés nous dégourdir les jambes! Petit détail esthétique comique et la farce reprend de plus belle. Le rythme de la représentation ne fléchit pas.
9Au-delà des choix esthétiques que l’on définira ensuite et qui peuvent paraître plus ou moins judicieux, il faut admettre que le grand attrait de cette mise en scène réside dans cette troupe soudée, au jeu égal et sans faiblesse, tant chez les acteurs les plus aguerris que parmi les seconds rôles. Certes, il y a parfois un peu de cabotinage, que ce soit chez Christian Hecq (Duflot) qui provoque l’hilarité générale ou chez Andrzej Seweryn (Caïus) à la voluptueuse élocution slave, mais cela ne porte pas préjudice au propos de la pièce où tout est excès. Anne Lepage (Georgia Scaillet) et Fenton (Loïc Corbery) ont la fraîcheur de la jeunesse, et s’ils n’ont pas de longues répliques, ils parviennent par leur interprétation pétillante à capter l’attention. Fenton est tout d’abord extravagant: devancé par un accord à la mandoline, il arrive en scène en sautillant et en faisant moult ronds de jambe et pirouettes. Sa coiffure gominée avec houppette, sa fraise blanche autour du cou, qui l’engonce et le rend ridicule, en font un jeune premier inédit. Au fur et à mesure que la pièce se déroule, il se défait de ces atours encombrants pour laisser place à une interprétation plus naturelle qui gagne en sensibilité. Le public se laisse alors séduire à son tour.
10L’excès est moins marqué chez les dames Lepage (Cécile Brune) et Duflot (Catherine Sauval). La première, vêtue de velours rouge comme son mari et sa fille, et la seconde, en vert, parviennent à associer séduction et espièglerie dans des situations où l’on pourrait aisément les trouver sinistres. En effet, elles infligent nombre de corrections à Falstaff: un bain dans la Tamise glacée, des rosseries, un déguisement ridicule de sorcière (la Dame de Brentford), enfin un guet-apens dans la forêt de Windsor. Si elles n’avaient eu quelque charme ou dignité qui puissent les excuser, ces dames auraient semblé bien indignes de la cour – même outrageante - que Falstaff leur fait. Cette interprétation a la vertu de pardonner les vices quels qu’ils soient.
Acte 1 (de gauche à droite sur la table), Maigreux (Alexandre Pavloff), Falot (Christian Cloarec), Evans (Thierry Hancisse), Falstaff (Bruno Rafaelli), Pistolet (Pierre Louis-Calixte), Filou (Christian Blanc). Sous la table, Monsieur Lepage (Serge Bagdassarian), à droite Simplette (Céline Samie)
© Cosimo Mirco Magliocca
Le métathéâtre à l’honneur
11Ce qui a permis à cette mise en scène de rendre moins âpres certaines scènes où l’on rit du mal qui se fait, où le dupeur n’est pas celui que l’on croit, c’est le choix affiché d’Andrés Lima d’inscrire la pièce dans un contexte métadramatique. Les personnages n’apparaissent plus tant comme les interprètes d’hommes fictifs dont le pendant réel est sous-jacent, mais ainsi que des marionnettes dans un théâtre géant. Dès le premier acte, alors que la scène se déroule dans l’auberge de la Jarretière, Maigreux, Evans et Falot sont debout sur une table tandis que Lepage (Serge Bagdassarian) dort en dessous. La scène se déroule dans la pénombre, à la lumière de veilleuses disposées dans le cadre de scène. D’autres personnages sont assis sur les côtés, comme en attente de leur entrée en jeu. Le décor de scène est une estrade en bois, laquelle est surmontée d’un portique avec fenêtres et portes qui disparaîtra au cours de la représentation pour laisser place à des arbres, également en bois, descendus des cintres. Ainsi, la forêt prend progressivement le dessus sur la ville, comme si l’espace imaginaire supplantait, au tomber du rideau, l’espace dramatique. Paradoxalement, c’est aussi au moment où l’illusion prédomine que les personnages sont renvoyés à la dure réalité. Le théâtre n’est-il pas le miroir tendu à la vérité de chacun? Le metteur en scène remarque:
[L]a scénographie et les personnages subissent une métamorphose. Petit à petit, la taverne se transforme. Le réalisme et la magie se mettront à coexister, et l’on pourra alors parler de la vérité des personnages. L’espace conservera sa dimension réaliste tout en acquérant une dimension surnaturelle, un esprit de jeu – de représentation7.
12Dès le début, Falstaff a revêtu les fonctions d’un conteur quand, à la requête des joyeux drilles présents dans l’auberge, il se met à narrer par anticipation l’histoire des rencontres dont il sera l’enjeu dans la suite de la pièce. «Mes honnêtes gaillards, je vais vous dire le tour que je compte faire», annonce-t-il à l’Acte I, scène 3, puis s’ensuit une pantomime de la supercherie qu’il projette de mettre en œuvre chez les Duflot et Lepage respectivement. Afin de représenter son projet, Evans et Falot animent des marionnettes qui incarnent les futurs maris trompés. Cette mise en abyme du théâtre, si présente dans les pièces de Shakespeare et très (trop?) souvent rebattue dans les mises en scène contemporaines, aurait pu lasser ici. Mais Andrés Lima a su tirer profit de l’esprit de troupe de la Comédie-Française qui sert brillamment ce parti-pris où se mêlent réalisme et clownerie. Unissant ces genres opposés, le spectacle aurait pu perdre en crédibilité ou en clarté. Ce ne fut nullement le cas. Et lorsque Falstaff annonce de sa voix tonitruante «Acte II! » quand il est l’heure de rentrer pleinement dans l’action, la salle rit de connivence. Le propos est entendu.
13L’occupation de l’espace est telle que tout personnage, qu’il ait à intervenir ou pas dans l’action, a sa raison d’être en scène. Ainsi, l’on aperçoit Simplet (devenu Simplette puisque l’interprète, Céline Sélamie, est une femme) vaquer à de menues tâches, ici allumant une bougie, là observant avec jubilation les chausse-trapes qui se préparent. À l’image des deux élèves comédiennes (Camille Blouet et Géraldine Roguez) qui manient des instruments de fortune (elles interprètent notamment une musique cristalline sur des verres à pied) ou installent les accessoires en scène (le panier à linge de l’Acte III par exemple), ce rôle bien ingrat, qui aurait pu être insipide, prend de l’épaisseur et habite l’espace devenu pleinement lieu spectaculaire. Les transitions entre les scènes sont rapides, la musique s’associant aux modifications de décor (l’orage gronde, le bois craque quand les arbres descendent des cintres); les enchaînements sont fluides. La musique en accompagne les sursauts et les soubresauts avec beaucoup d’humour: dans le premier acte, au cœur des conversations, on entend des mélodies bien connues: «Sigh no more, Ladies, sigh no more», qui appartient à la partition de Beaucoup de bruit pour rien et, plus tard, tous les personnages reprennent en cœur «Je n’atteins pas la satisfaction», la célèbre chanson des Rolling Stones interprétée comme à l’époque de Purcell; des chansons de taverne sont adaptées par Vincent Leterme qui puise aussi son inspiration dans le Fastaff de Verdi. Avec cohérence, cette polyphonie musicale se fait ainsi l’écho du patchwork linguistique présent dans le script.
Scène de banquet dans l’auberge de la Jarretière
© Cosimo Mirco Magliocca
Le Songe d’une nuit d’été… ou presque
14Si le ton de la pièce est principalement voué à servir la farce et l’humour provincial anglais, il revêt des accents oniriques au dernier acte de la pièce. Mais la féerie finale, qui parodie le monde des elfes de Titania et d’Obéron dans Le Songe,apparaît beaucoup moins poétique dans le Windsor des Commères. Beatriz San Juan et Dominique Borrini, qui signent respectivement la scénographie et les effets de lumière, peignent un tableau majestueux fait d’un éclairage composite de bleu et d’argent. En toile de fond, le grand cyclorama bleuté est habité d’arbres squelettiques. Bien que n’évoquant pas la forêt de Windsor plus sombre et plus touffue, il présente une image effrayante de l’univers sylvestre. Nul doute que l’on puisse y ressentir de l’angoisse et s’y perdre aisément à tous points de vue. Comme le prévoient les deux commères, tous les individus conscients des intentions vicieuses de Falstaff sont tenus de se rendre déguisés dans la forêt afin d’y piéger le malotru. Madame et Monsieur Lepage en profitent pour préparer les noces de leur fille Anne, à l’insu l’un de l’autre. La première envisage le mariage avec Caïus et le second avec Maigreux. Dans la forêt, Anne, tout de blanc vêtue, en reine des fées, est suspendue aux cintres et papillonne des pieds. De longs cheveux blonds bouclés ont remplacé sa chevelure de geai. Les autres personnages sont masqués et, parmi la diversité des costumes qu’ils revêtent (Renato Bianchi les a conçus), on retiendra celui, particulièrement phallique, de Caïus en être monstrueux imaginaire qui maintient sa queue exagérément longue entre ses jambes. Rires garantis lors de son entrée en scène! Le piège qui est tendu à Falstaff fonctionne parfaitement dans cet endroit insolite. Si ce dernier n’avait été si inventif et magique, le subterfuge n’aurait peut-être pas eu autant d’effet car, dans le Windsor réaliste de la pièce, comment adhérer à l’emprise du surnaturel sur des esprits très terre-à-terre? Certes, le public de la Renaissance était superstitieux et prêt à croire à tous les enchantements. C’est pourquoi, une telle incursion poétique dans la pièce ne lui parut peut-être pas si surprenante.
15En outre, ces scènes conclusives présentent très nettement la construction métadramatique de la pièce élisabéthaine: le jeu, la pantomime, le masque empiètent sur le réalisme des faits pour mieux révéler l’hypocrisie des uns et des autres. Le théâtre-dans-le-théâtre est aussi le moyen par lequel sont résolus les questions matrimoniales (Anne déjoue les plans de ses parents en épousant Fenton en cachette) et les conflits personnels (Mesdames Lepage et Duflot obtiennent réparation des affronts de Falstaff); aussi, le choix d’Andrés Lima de marquer, dans sa mise en scène, l’empreinte des différents niveaux de jeu permet de boucler la boucle avec cohérence. En effet, le motif du théâtre marionnettiste choisi à l’Acte I se trouve ici répété quand monstres et fées nous éloignent du monde réel des citoyens de Windsor. Et si l’on peine à croire en la naïveté d’un Falstaff trompé par des êtres illusoires, la patine de scène est là pour nous rappeler avec force que tout cela est bel et bien du théâtre! Et Falstaff de conclure avec dépit:
Et eux ne sont pas des fées. L’idée m’est venue deux ou trois fois que ce n’en était pas, et pourtant ma mauvaise conscience, mes facultés soudain bernées ont transformé cette grossière mascarade en certitude, sans rime ni raison, que c’étaient des fées.Où l’on voit que l’esprit quand il est mal employé, tourne vite au turlupin
(V.5. p. 185.)
16Les Joyeuses Commères de Windsor est la dix-septième pièce de Shakespeare à entrer au répertoire de la Comédie-Française. Ces dernières années, les comédies (parfois amères) ont prévalu: Le Marchand de Venise (Andréi Serban) en 2001, La Nuit des Rois (Andrzej Seweryn) en 2003, Le Conte d’hiver (Muriel Mayette, actuelle administrateur de la Maison) en 2004 et La Mégère Apprivoisée (Oskaras KorŠunovas) en 2007. Auparavant, c’étaient plutôt les tragédies qui avaient la primeur. En grande majorité, les metteurs en scène étrangers ont dirigé ces projets et choisi Shakespeare pour leur première contribution au Français. Le souffle d’exotisme qui vient de leurs origines et les audaces qu’ils prennent dans les choix esthétiques ou interprétatifs ne sont pas toujours reçus favorablement par la critique. Mais leurs productions ont la vertu de présenter la dramaturgie renaissante sous un jour qui bouleverse les a priori d’autant plus convenus lorsque l’on est public de la Comédie-Française. Ces Joyeuses Commères ne dérangent pas autant que les pièces entrées au répertoire avant elles, mais elles ne sont pas dénuées de fantaisie et invitent au rêve, ce qui est fortement appréciable à une époque où le théâtre contemporain se penche sur des sujets souvent douloureux voire misérabilistes. Or notre temps a lui aussi besoin de divertissement. Au final, même si Falstaff se retrouve dans une situation des plus affligeantes, nous avons envie de le suivre encore, avec les autres poltrons de la pièce, sans omettre les commères et leurs maris eux-aussi trompés par leur propre fille. En fait, toutes les dupes dupent à leur tour et nous rions encore quand Caïus et Maigreux, mariés à tort, repartent avec leur amant bras dessus, bras dessous, visiblement contentés par leur sort! La pièce s’achève sur un ton joyeux où tout est bien qui finit bien: «[…] allons tous à la maison / Conclure cette comédie en riant au coin du feu, / Sir John et tout le monde», dit Madame Lepage, Acte V, scène 5. Et le public se réjouit à l’idée de ces festivités annoncées!
Les Joyeuses Commères de Windsor de William Shakespeare |
||
Entrée au répertoire de la Comédie-Française en décembre 2009 |
||
Administrateur Mise en scène Assistante à la mise en scène et interprète Scénographie Costumes Lumières Adaptations et musique originale Réalisation sonore Maquillage et coiffures |
Muriel Mayette Andés Lima Amaya Lainez Beatriz san Juan Renato Bianchi Dominique Borrini Vincent Leterme Laurent Ménard Cécile Kretschmar assistée de Marie Messien |
|
Le décor et les costumes ont été réalisés par les ateliers de la Comédie-Française. |
Notes
1 William Shakespeare, Les Joyeuses Commères de Windsor,préface de Gisèle Venet, traduction deJean-Michel Déprats et Jean-Pierre Richard, Paris, nrf Gallimard, 2010, p. 185. Traduction établie à la demande de la Comédie-Française pour la présentation de son spectacle créé le 5 novembre 2009.
2 Andrés Lima co-dirige la compagnie Animalario qui met en scène des pièces à partir d’improvisations collectives, en particulier sur des thèmes d’actualité. Il a exploité cette méthode avec les Comédiens-Français en 2008 pour le spectacle Bonheur? (Théâtre du Vieux-Colombier). Très actif dans son pays comme à l’étranger, il a monté l’opéra contemporain La Noche y la palabra de J. M. Lopez à la biennale de Venise en 2004, l’opérette De Madrid à Paris de Chueca à Mérida en 2009 (Théâtre Romain) et prépare Blackbird de David Harrower au Göteborgs Stadsteater.
3 Andrés Lima, «I can’t get no satisfaction», propos recueillis par Laurent Mulheisen, in dossier de presse, 9 novembre 2009.
4 William Shakespeare, Les Joyeuses Commères de Windsor, op. cit.,p. 13. Pour chacune des citations en français nous nous référons à l’édition Gallimard 2010 ci-dessus mentionnée.
5 C’est moi qui souligne.
6 Jean-Michel Déprats et Jean-Pierre Richard, dans William Shakespeare, Les Joyeuses Commères de Windsor op. cit., p. 18.
7 Andrés Lima, in Programme des Joyeuses Commères de Windsor, 5 décembre 2009-2 mai 2010, salle Richelieu, Comédie-Française, p. 9.