Fou enfermé ou fou en liberté?
Étude comparée des «pièces d'asile» sur la scène européenne du premier XVIIe siècle (Espagne, Angleterre, France).

Par Françoise Poulet
Publication en ligne le 28 janvier 2010

Résumé

Madman Behind Bars or Running Free? A Comparative Study of «Asylum Plays» in Early Seventeenth Century Spain, England and France.In the late sixteenth and early seventeenth centuries, the madman was a recurring character in European drama. More specifically, staging asylums as instances of «theatre within the theatre» – in which the insane entertained both the characters in the play and the actual audience – was a practice shared by several European plays at the time, borrowing from Italian and Spanish sources (L’Hospidale de’ pazzi incurabili of Tomaso Garzoni and Los Locos de Valencia of Lope de Vega). Insanity was also used as a recurring dramaturgic device, when conceived as a mental disguise for any character looking for shelter in the asylum. Moreover, the madman in the hospital raises metatheatrical questions on the art of acting. Both madmen and actors use fake identities, which actors must not forget to leave aside once the play is over, unless they are to sink for ever into insanity. Who can delve into the part of a madman better than a madman himself?French theatre, however, remained alien to the vogue of «asylum plays» which was highly popular in England and Spain. It seems that French dramatists chose to stage madmen running free, whose marginality was so obvious that it was enough to have them branded as outcasts, so that no cages or bars were needed whatsoever. In this respect, two plays by Charles Beys, L’Hôpital des fous (1635), a tragic-comedy, and Les Illustres fous (1653), its comic counterpart, stand as exceptions within the literary corpus of the time. On the one hand, both plays take place in the mental asylum of Valencia. On the other hand, and quite originally so, both plays are a continuation of Erasmus’s legacy, blurring the distinction between wisdom and insanity. Beys’ characters are never sure whether or not they deserve to be held in an asylum.Analysing early seventeenth century «asylum plays» in England, Spain and France would therefore lead us to question the somehow hastily established relation between social and historical reality and literary representations. We need to re-think the well-known dichotomy between the «Great Confinement» and the complete exclusion of the insane according to the variety of historical and literary contexts in early seventeenth century Europe. The asylum, whether an actual institution or a literary construction, does not necessarily entail total confinement. On the other hand, a madman running free can be carefully confined in a closed universe, a far cry away from the world of reason.

Texte intégral

1L'Europe des XVIe et XVIIe siècles est une scène géopolitique presque continuellement engagée dans des relations de rivalité dont l’enjeu est d’occuper la place de puissance dominante: la fin du XVIe siècle est ainsi marquée par la guerre qui oppose l’Angleterre d’Élisabeth Ière à l’Espagne de Philippe II, tandis qu’au cours de la première moitié du XVIIe siècle, le centre névralgique des conflits se déplace vers l'Espagne et la France, dans le cadre de la guerre de Trente ans. On sait pourtant que ce climat politique agité n’a pas empêché les auteurs des différents pays européens de lire les œuvres de leurs voisins, de les adapter et d’en véhiculer les idées au sein de leurs propres ouvrages. Si l'on ne peut prétendre que le domaine culturel était radicalement indépendant du politique, il est certain que la circulation des œuvres entre l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, l'Angleterre et la France a tissé des liens indéfectibles entre les différents pays européens au moment même où ceux-ci s’opposaient dans des conflits. Ce double mouvement de méfiance politique et d'ouverture culturelle a pu aboutir parfois à des situations paradoxales: ainsi, l'une des pièces qui lancent la vogue de la structure du théâtre dans le théâtre sur la scène européenne, The Spanish Tragedy (vers 1587) de Thomas Kyd, annonce dans son dénouement rien moins que la fin tragique des empires espagnol et portugais. Or, cette œuvre met également en scène les rapports entre la folie et l'illusion, problématique qui parcourt toute l'Europe, de l'Orlando furioso (1516) à Don Quichotte (1605-1615), de Hamlet (1603) à la Mariane (1636) de Tristan L'Hermite. Plus précisément, les représentations de la folie, que ce soit en Angleterre, en Espagne ou bien en France, sont étroitement liées à la structure du théâtre dans le théâtre. Georges Forestier, dans l'ouvrage qu'il a consacré à ce procédé pour la scène française du XVIIe siècle, opère un lien entre l’apparition de celui-ci et les représentations théâtrales des désordres de l'esprit1: en effet, en France, la structure est pour la première fois mise en œuvre dans les années 1634-1635, au travers des deux Comédies des comédiens de Gougenot et Scudéry, qui, sans mettre en scène de personnages de fous, évoquent les rapports entre le jeu théâtral et l'expérience de la déraison, mais aussi avec L'Hôpital des fous de Charles Beys, tragi-comédie prenant pour cadre l'asile espagnol de Valence. De même, pour ce qui concerne le théâtre jacobéen, les «Bedlam plays», qui s’inscrivent dans le décor explicite ou suggéré de l’hôpital de Bethléem à Londres, utilisent la représentation de l'asile pour développer le spectacle divertissant du fou. L'asile, comme scène intérieure permettant d’évoquer l'illusion théâtrale ainsi que son paroxysme dévoyé, la déraison, devient alors véritablement une mode dans plusieurs pays européens de la seconde moitié du XVIe siècle au début du XVIIe siècle, que ce soit au sein de la comédie ou bien dans des pièces tragiques. Ce phénomène serait révélateur, selon l'étude qu'en a donnée Michel Foucault, du «Grand Renfermement», qui conduit progressivement, à l’échelle européenne, à la séparation sociale du fou et à sa réclusion dans des hôpitaux, et qui marque un mouvement de rupture face à la relative liberté dont l'aliéné jouissait au Moyen-Âge et à la Renaissance2.

2Jean Fuzier a étudié, dans les articles qu'il a consacrés à ce sujet3, les «variations européennes» des représentations de l'asile de fous en Angleterre, Italie, Espagne et France. Pour reprendre ses termes, la mode du «théâtre de l'asile»4 constitue le fruit à la fois d'une tradition littéraire et d'observations puisées dans la réalité socio-historique. Le développement des hôpitaux, mais aussi celui de leurs visites par des «spectateurs» extérieurs, auraient ainsi contribué à enrichir ces représentations. Toutefois, en tant que spécialiste de la période élisabéthaine et jacobéenne, Jean Fuzier a surtout appliqué les conclusions de ses analyses comparatistes à la scène anglaise. Nous nous proposons donc de prolonger ici les analogies qu'il a établies, en développant notamment l'analyse du corpus français, pour en explorer les spécificités face aux «Bedlam plays». Il conviendra également d'insister sur les nuances que révèlent à la lecture les différentes représentations européennes de l'asile de fous. Ainsi, si le corpus des «Bedlam plays» est très étendu, si, de même, l'asile apparaît fréquemment dans le théâtre espagnol, les «pièces d'asile» forment un ensemble beaucoup plus restreint sur la scène française. Faut-il en conclure que le théâtre français préfère représenter le fou en liberté? Quels liens opère-t-il entre la structure du théâtre dans le théâtre et la folie, par rapport au théâtre anglais? En adoptant une double perspective transnationale et synchronique, nous tenterons d’esquisser quelques éléments de rapprochement et de distinction entre les différentes représentations de l'asile et leurs rapports à la théâtralité.

Asile et théâtralité: le comédien et le fou

3La vogue littéraire de l'asile de fous se répand en Europe au cours des mêmes décennies, à travers des œuvres qui s'influencent, dialoguent et se répondent. Selon Jean Fuzier, l'un des principaux points de départ de ce phénomène est un traité italien intitulé L'Hospidale de’ pazzi incurabili, composé par le chanoine Tomaso Garzoni et paru pour la première fois à Venise en 15865. «Œuvre-charnière», ce traité opère la jonction de deux traditions, celle des «hôpitaux-miroirs» allégoriques du Moyen-Âge, et celle, plus contemporaine, de la description de la déraison fondée sur des observations personnelles ou rapportées de cas de folie. À défaut d’avoir eu une influence directe en Italie, l’ouvrage de Garzoni est très tôt diffusé en Europe et immédiatement suivi d'œuvres qui prennent pour cadre le lieu de l'asile: sa traduction anglaise, sous le titre The Hospitall of Incurable Fooles, qui date de 1600, précède de quelques années seulement les deux premières «Bedlam plays» du théâtre jacobéen, à savoir, la première partie de The Honest Whore de Dekker (1604) et Northward Ho! (1605) de Webster et Dekker. Quant à la traduction française de François de Clarier, qui est de quelques décennies postérieure (1620), elle est suivie là encore de peu par les pièces d'asile de Charles Beys, L'Hôpital des fous, tragi-comédie de 1635, et sa version comique intitulée Les Illustres fous (1653), ou encore par une pièce de Desmarets de Saint-Sorlin, Les Visionnaires (1637), qui ne prend pas pour décor un hôpital, mais s'inspire du principe de la galerie de fous. Néanmoins, Jean Fuzier relativise aussitôt toute idée d'une influence directe et unique de Garzoni sur les scènes théâtrales européennes: selon lui, il faut ajouter aux sources de cette mode l’augmentation du nombre des hôpitaux réservés aux insensés dans toute l'Europe, mais aussi, dans le domaine littéraire, la tradition des œuvres satirico-morales du Moyen-Âge6, et, plus tardivement, l'influence déterminante d'une comédie de Lope de Vega, intitulée Los Locos de Valencia, composée vers 1590-1595, qui contribue à poser le décor de l'asile de fous sur la scène du théâtre espagnol7. Quelques années plus tard, Lope de Vega représente également l’Hôpital général de Valence dans un roman intitulé El Peregrino en su patria (1604), qui circule en Angleterre et en France: John Fletcher en adapte librement la traduction anglaise, The Pilgrime of Casteele (1621), dans une pièce intitulée The Pilgrim, tandis qu’en France, la traduction et adaptation de Vital d'Audiguier, Les Diverses fortunes de Panphile et de Nise (1614), constitue la source directe de L’Hôpital des fous et des Illustres fous de Charles Beys.

4Certes, Tomaso Garzoni n'a pas fait œuvre de dramaturge; toutefois, dans son traité, la théâtralisation de la folie se révèle très présente; elle apparaît dans sa conception même de l'hôpital comme un lieu qui se visite. Dès le titre de son «Prologo», le je de l’énonciation s'adresse aux lecteurs en tant que «spettatori»: ce sont bien des spectateurs qui sont convoqués dans l’asile pour assister au spectacle de la folie. Leur regard, qui se pose sur les insensés depuis l’extérieur de leur cellule, a pour effet de théâtraliser les descriptions qui en sont faites, en créant ainsi une sorte de «théâtre dans le traité». Chacun des vingt-neuf discours consacrés aux hommes déraisonnables vaut comme une petite scène de théâtre sur laquelle un groupe de fous spécifiques se donne brièvement en représentation. Malgré les prétentions scientifiques et médicales revendiquées par Garzoni, qui place son ouvrage sous l’autorité d’un célèbre médecin du temps, Bernadino Paterno, la taxonomie des insensés s’établit sur une nosologie qui demeure imprécise: si les «Frénétiques» (discours II) sont effectivement séparés des «Mélancholiques» (discours III) et des «Lunatiques» (discours XVII), bien souvent, les symptômes se recoupent d’une catégorie à l’autre et la répartition des fous entre les différentes cellules reste arbitraire. Adelin C.Fiorato constate que les insensés sont davantage regroupés selon «leurs tempéraments et[…] comportements8», ou encore selon les réactions que ceux-ci suscitent chez ceux qui les observent (les fous «endormis et nonchalans» au discours IV, «Yvrognes» au discours V, «Ridicules» au discours XIIII, etc.). Le traité se clôt sur un long discours XXX entièrement consacré aux femmes, qui reprend, en les condensant, les principales catégories déjà abordées pour les hommes. Le lecteur-spectateur est là encore invité à longer un vaste couloir en observant, à travers les grilles de leurs cellules, les folles, enfermées cette fois-ci de manière individuelle. Garzoni apparaît donc bien comme l'un des premiers auteurs à utiliser la structure de l'asile de fous comme un lieu théâtral, dans lequel les cellules constituent autant de petites scènes diffractant la folie. Le spectacle de la déraison est donné sous la forme d’une galerie de cas spectaculaires, que le lecteur-spectateur parcourt pour son divertissement. Mais ce défilé sert aussi à son édification morale: il s’agit de lui donner un reflet des faiblesses et péchés de l'homme, en l’invitant à les contempler pour mieux s'en protéger. Selon Adelin C.Fiorato, l’auteur de ce traité cherche à dresser un «inventaire» aussi complet que possible de tous les désordres du monde, pour les stigmatiser par le rire, mais aussi pour les conjurer par l’organisation de son ouvrage9. La déficience mentale est conçue par le chanoine comme le strict contraire de la raison: aucune contagion ne menace le visiteur de l'asile. Le fou est avant tout un marginal qui remet en question la coexistence et le bon fonctionnement du groupe, notamment par son oisiveté. François de Clarier, dans sa traduction française du traité, mentionnera par ailleurs explicitement cette double visée divertissante et morale dans le sous-titre qu'il donne au traité («Œvre [sic] non moins utile que récréative, et nécessaire à l’acquisition de la vraye sagesse10»). L'asile de fous construit par Garzoni se trouve donc bien à mi-chemin entre l'établissement pseudo-réaliste – on pense à la séparation entre les fous et les folles, à la présence d'un concierge (le «Messer dell’Hospedale») et de son personnel, aux tâches domestiques confiées aux internés, etc. – et l'hôpital allégorique, où la folie théâtralisée sert d’avertissement moral au lecteur-spectateur.

5L'influence de ce traité sur les «Bedlam plays» et les autres pièces d'asile européennes n'est pas à négliger: sans affirmer qu’elle repose entièrement sur la diffusion de cet ouvrage, une même vision de la folie comme spectacle se dégage de ces œuvres. Les fous jouent un rôle de manière involontaire sous le regard des visiteurs entrés dans l’asile; il arrive même qu’ils participent à des pièces explicitement mises en scène devant une assemblée choisie, comme dans The Changeling de Middleton et Rowley, où les fous de l’asile d’Alibius se rendent au château de Vermandero pour y donner un spectacle, à l’occasion des noces de la fille de celui-ci, Béatrice. Lorsque ces mises en scène se produisent au sein de l’hôpital, l’établissement fait figure de scène intérieure. Le regard des visiteurs, spectateurs internes relais du public réel, théâtralise les entrées en scène des insensés. Les fous qui composent ce défilé appartiennent le plus souvent à des stéréotypes traditionnels: un marchand ruiné par la perte de ses bateaux, un jaloux et un mélancolique dans The Honest Whore de Dekker, une courtisane qui se croit vierge et un musicien frappé de mélancolie érotique dans Northward Ho!, etc. Ces insensés évoluent sous le regard du public réel et des spectateurs intérieurs de l’asile sous la forme d’une galerie de curiosités: leurs propos, dont la logique suit leur imagination délirante, sont le plus souvent détachés de l’intrigue principale. Pauses dans l’action, ils servent à divertir le public, même lorsqu’ils apparaissent dans un contexte tragique (The Changeling11), ou bien à satiriser une profession ou un groupe social d’individus. Ainsi, dans Northward Ho!, le poète Bellamont et ses camarades se rendent à Bedlam pour se divertir du spectacle des fous, au cours d'un épisode non relié à l’action de la pièce. Robert R. Reed noue étroitement le succès des représentations théâtrales de l’asile londonien aux manifestations spectaculaires qu’elles permettent d’introduire:

In a drama peculiarly marked by showmanship and stage devices, nothing could have been better in tune with the excessive theatrical temperament than the uninhibited and carefully embellished symptoms of a few well-chosen Bedlamites [...]12.

6Ces galeries de fous s’enrichissent également du spectacle de la folie feinte, lorsqu’un personnage de la pièce s’introduit dans l’asile sous le masque de la déraison pour y trouver un refuge contre ses ennemis, pour s’approcher de celui ou celle qu’il aime, ou bien encore par simple jeu.

7Cette conception de la folie comme rôle théâtral – conscient pour celui qui feint délibérément l’aliénation, inconscient lorsque le fou revendique sans distance le travestissement de son identité – se retrouve sur les scènes espagnole et française. Dans Los Locos de Valencia de Lope de Vega, une véritable représentation a lieu à l’acte III, lorsque l’administrateur Gerardo met en scène, afin de la guérir de sa folie, le faux mariage de sa nièce Fedra et du fou dont elle est amoureuse, Beltràn, qui n’est autre que le héros Floriano déguisé. La présence d’un visiteur, qui a même donné une aumône aux fous avant le début du spectacle, renforce la perception de cet épisode comme pièce enchâssée. Dans les pièces d’asile de Charles Beys, la théâtralisation de la folie est également exploitée dans ses multiples potentialités. Même si nous ne pouvons affirmer que le dramaturge français avait lu L’Hospidale de’ pazzi incurabili, ou encore sa traduction française, l’on peut voir que, comme chez le chanoine italien, le lecteur-spectateur de L’Hôpital des fous et des Illustres fous est invité à considérer les entrées en scène des pensionnaires de l'asile comme une succession de petits spectacles intérieurs à la pièce: ces interventions insensées sont en apparence détachées de l'intrigue amoureuse. Ainsi, au premier acte, Dom Gomez, après avoir retrouvé son ami Dom Alfrede à Valence, l'invite à l'accompagner dans l'hôpital pour le distraire de la peine qu'il ressent à la suite de l’enlèvement de sa bien-aimée par une troupe de bandits:

Allons nous divertir dedans cet Hospital ;
On m'a prié de voir un de ces misérables.
Ils vous entretiendront de discours admirables. (I.1.118-120)13

8Dans l’asile, les deux personnages rencontrent un Musicien qui se prend pour Orphée, puis un Philosophe qui affirme être le créateur du monde. Durant ces scènes, ils deviennent spectateurs intérieurs des égarements des pensionnaires de l'asile, tandis que l'intrigue reposant sur la séparation des amants est temporairement reléguée au second plan, dans l'esprit des personnages de la pièce-cadre comme dans celui du public réel. Le dramaturge reprend au Peregrino en su patria de Lope de Vega le schéma des deux couples de frères et sœurs séparés et la fonction d'intermédiaire qu'occupe l'asile, dans lequel les amants viennent se réfugier. De L’Hôpital des fous aux Illustres fous, l’importance dramaturgique des insensés s’accroît, de même que leur nombre: en plus du Concierge et de la galerie des fous seulement mentionnés, un Joueur ruiné par sa passion ainsi qu’un Comédien, viennent s’ajouter aux Musicien, Philosophe, Astrologue, Alchimiste, Plaideur, et Poète de la première version, tandis que le Soldat disparaît.

9Certains fous de son établissement jouent un rôle sans en avoir conscience: leur imagination délirante les conduit à usurper une identité fantasmée. Ainsi, à l’acte III des Illustres fous, une joute verbale, qui tourne par la suite au combat physique, s’amorce entre l’Astrologue qui prétend être le Soleil, le Philosophe qui se proclame Jupiter, et l’Alchimiste qui déclare créer le Soleil au moyen des planètes (scènes 1, 3 et 4). À la fin de l'acte suivant, la similitude entre l’insensé et le comédien devient complète lorsque l'hôpital accueille toute une troupe d’acteurs devenus fous, qui arrivent avec un long défilé de bagages. De même, à la scène 2 de l'acte V, un Poète et un Comédien fous issus de cette troupe se disputent sur la question des règles et sur la prééminence de leur fonction l’un par rapport à l'autre. De même que le Musicien, le Philosophe et l’Astrologue, les membres de cette troupe adoptent tous une identité qui n’est pas la leur: ils ne parviennent plus à opérer de distinction entre leur jeu sur scène et le moment où ils sont censés abandonner la persona en faveur de la personne. Ils sont définitivement persuadés d’être les rôles qu’ils jouent. Quelques années auparavant, dans le Prologue de la Comédie des comédiens (1634) de Scudéry, le célèbre acteur Mondory avait également défini le jeu théâtral comme une séance de folie collective, où l’illusion et le faux sont pris pour la vérité14. Le théâtre, ce «charme» pernicieux, ne pousse-t-il pas le spectateur à perdre la raison en tentant de lui faire croire que Mondory n’est pas Mondoryet que la scène se trouve à Lyon alors que celui-ci sait pertinemment être à Paris? Il n’est d’ailleurs pas indifférent que cette réflexion sur les multiples identités de l’acteur soit confiée à l’illustre Mondory, qui sera souvent décrit par la suite comme plongé dans une rêverie agitée lorsqu’il cherchait à entrer dans son rôle. Selon Tallemant des Réaux, l’apoplexie de la langue qui allait l’obliger à se retirer de la scène l’aurait même frappé dans un temps où il croyait véritablement être devenu Hérode, le rôle qu’il tenait dans la Mariane15.

10Beys va plus loin encore dans cette superposition entre comédie et folie. Dans Les Illustres fous, c’est le théâtre dans son ensemble, ainsi que tous ceux qui y occupent une place, qui se retrouvent enfermés à l’asile: les comédiens, mais aussi les poètes, de même que les critiques (V.scène dernière (mettre en chiffre svp).1950-1958) et les spectateurs. Le Concierge de l’asile est plus fou encore que les fous qu’il garde: mais, au-delà de cette folie, il incarne à lui seul tous les acteurs du monde du théâtre. Il est ainsi spectateur des élucubrations de ses pensionnaires, metteur en scène lorsqu’il les introduit devant les visiteurs de son établissement, comédien involontaire lorsqu’il offre le spectacle de ses propres folies, portier, etc. Mais il incarne avant tout une image caricaturée de Charles Beys lui-même, puisque, dans un procédé de «réduplication spécieuse16», il revendique la paternité de la pièce que nous sommes en train de lire:

J'ai dessus ce sujet une bonne pensée ;
Entr'autres nous verrons une pièce avancée,
Non ! tout est achevé.

LE VALET
Comment la nommez-vous ?

LE CONCIERGE
L'Hospital des Savants ou les Illustres Fous.
Vois comme chaque fou se raille et se ballotte,
Il n'en est pas un seul au monde sans marotte. (I.2.215-220)

11En enfermant le monde du théâtre dans l’asile de Valence, Charles Beys n’a pas oublié de se ménager une place à lui, comme l’avait déjà fait Lope de Vega en se figurant sous le personnage de Belardo, poète fou qui porte son pseudonyme dans Los Locos de Valencia.

12La théâtralisation de la folie est également ce qui permet d'opérer un lien entre la pièce-cadre (les aventures amoureuses des deux couples d'amants) et les apparitions des pensionnaires de l'hôpital, à travers le procédé dramatique de la folie feinte. Comme chez Lope de Vega et dans bon nombre de «Bedlam plays», les amants Dom Alfrede et Luciane se réfugient sous le masque de la folie pour pénétrer dans le refuge que l’asile représente pour eux. Il s'agit d'adopter le déguisement mental de la déraison pour échapper à ceux qui voudraient les séparer. Dans Los Locos de Valencia, le héros Floriano se déguise en fou pour se faire admettre à l’hôpital et espérer ainsi se protéger des conséquences du meurtre du Prince d'Aragon qu'il croit avoir commis. Or, le meilleur moyen pour masquer cette vérité n’est autre que de la dévoiler: sous le nom de Beltràn, Floriano revendique le meurtre du Prince sans que personne ne le croie. Au contraire, dire la vérité sous le couvert de la folie le protège de tout soupçon face à l’officier de justice qui écoute ses propos. Dom Alfrede et Luciane font la même expérience que Floriano: devant les visiteurs de l’asile, tous deux clament leur amour l’un pour l’autre; mais le déguisement de Luciane, qui s’était vêtue en garçon pour s’enfuir de Tolède avec Dom Alfrede, fait passer leurs déclarations pour des propos insensés. Or, ce jeu sur le renversement entre vérité et mensonge, entre folie et raison, est poussé à son paroxysme chez le dramaturge français: l'on s'aperçoit très vite que Luciane et Dom Alfrede courent le risque de basculer irrémédiablement dans l'univers de la folie. À l'acte III, lorsqu'ils simulent l'égarement face au Concierge et à Tirinte, un jeu de renversement complexe se met en place entre feinte et vérité, dont le piège va très vite se refermer sur le couple: Dom Alfrede adresse des déclarations d'amour passionnées à Luciane. L'amant ne fait ainsi que dire la vérité, mais le déguisement masculin de sa maîtresse fait passer ce discours pour une pure folie. Tirinte et le Concierge, qui observent le couple, pensent que Dom Alfrede se trompe sur le sexe de Dom Fernand. Mais le point de vue surplombant du lecteur-spectateur lui permet de comprendre que l'illusion n'est pas celle que l'on croit: c'est bien plutôt du côté de ceux qui rient de Dom Alfrede et Luciane que se situe la véritable folie. Or, le brouillage des frontières entre égarement et vérité ne s'arrête pas là. Lorsque, immédiatement après, Tirinte décide d'emmener avec lui le faux Dom Fernand dans son voyage vers Madrid, pour en faire son bouffon, Dom Alfrede tente de mettre fin à la feinte en dévoilant le déguisement de Luciane. Mais il a poussé le déguisement trop loin: le retour à la vérité n'est plus possible et aucun de ses interlocuteurs n’est plus disposé à le croire. Le discours de la raison ne parvient plus à s'imposer face à celui de la folie feinte. Le personnage du Concierge, à la fois gardien des pensionnaires de l'asile et lui-même victime d’accès de folie réguliers, est révélateur de cette double nature propre à l'être humain. Si le monde est représenté comme un théâtre sur lequel chacun joue un rôle, il est aussi un vaste hôpital où nous risquons tous de devenir complètement fous.

«Ces folies pour lesquelles on ne renferme personne17»…

13L’œuvre de Charles Beys prolonge dans le domaine français le «théâtre de l’asile» espagnol ainsi que le corpus des «Bedlam plays». Or, L’Hôpital des fous et Les Illustres fous ne sont-elles pas des pièces isolées dans le répertoire national? Si l’on compare quantitativement le corpus français des pièces d’asile avec ses homologues européens, l’on s’aperçoit très vite de la faiblesse numérique de celui-ci. En Espagne, à la suite de Los Locos de Valencia, les hôpitaux littéraires prolifèrent: José de Valdivieso représente de manière allégorique l’Hospital del Nuncio de Tolède dans son auto sacramental intitulé El Hospital de los locos (1604); Lope de Vega choisit cette fois-ci le manicomio de Saragosse dans El Loco por fuerza. En prose également, l’hôpital de Valence est mentionné dans les Diàlogos de Philosophia natural y moral (1574) de Pedro de Mercado, tandis que celui de Valladolid se trouve dans le Colloque des chiens (1613) de Cervantes. Hélène Tropé rappelle que ces multiples allusions à des maisons de fous dans la littérature espagnole correspondent à une réalité historique, puisque, dès le début du XVe siècle, les hôpitaux dédiés aux aliénés se répandent à travers tout le territoire, comme à Valence en 1409, à Saragosse en 1425, à Séville et Valladolid en 1436, à Palma de Majorque en 1456, à Tolède en 1480, à Barcelone en 1481, à Grenade en 1527, etc18. L’on relève un phénomène semblable sur la scène anglaise avec les «Bedlam plays»: si l’hôpital londonien de Sainte-Marie de Bethléem est rarement mentionné sous son vrai nom (Nothward Ho!), il est aisément indentifiable sous quelques masques exotiques: l’hôpital de Milan dans The Honest Whore, l'asile d'Amalfi dans The Duchess of Malfi, ou encore celui d’Alicante dans The Changeling.

14Au contraire, pour ce qui concerne le XVIIe siècle français, nous trouvons très peu d’exemples de pièces d’asile. Georges Forestier, dans son ouvrage sur le théâtre dans le théâtre, distingue une catégorie d’œuvres qu’il nomme les «pièces de fous19»: mais celle-ci n'inclut que trois pièces, la tragi-comédie et la comédie de Beys, ainsi qu’une comédie en trois actes de Raymond Poisson intitulée Les Fous divertissants, datant de la fin du siècle (1680) et prenant pour décor l’hôpital des Petites-Maisons. Georges Forestier insiste par ailleurs sur la proximité de cette comédie avec les pièces de Beys, dont elle adapte certaines tirades et épisodes, en ménageant des scènes ou des intermèdes chantés et dansés par les fous – à la scène 9 de l’acte II, on trouve également un écho du duo amoureux chanté par Angélique et Cléante dans Le Malade imaginaire. À part le Joueur de Bassette, les trois folles Cléopâtre, Lucrèce, Porcie, et les amoureux transis, les insensés mis en scène par Poisson sont tous liés au monde de l’art: on y relève un Vieux Poète, un Jeune Poète et des Musiciens fous, ainsi qu’un Machiniste capable de créer des décors grandioses. La description du fonctionnement de l’asile se limite à la mention des loges et de la paille donnée à ses pensionnaires, ainsi qu’aux mauvais rapports que les stupides valets de Grognard entretiennent avec eux. Aucune approche nosologique de la folie n’est entreprise: les fous musiciens, dont les spectacles divertissent, sont autorisés à évoluer librement dans l’hôpital; les plaintes amoureuses qu’ils chantent forment des discours tout à fait cohérents. L’exploration des liens entre théâtralité et folie se borne à des procédés dramatiques conventionnels: l’intrigue de la pièce (Angélique, la fille de Monsieur Vilain, doit épouser Monsieur Grognard, concierge des Petites-Maisons; or elle aime d’un amour réciproque Léandre, qu’elle presse de trouver un moyen de rompre ce projet de mariage) n’est reliée aux apparitions des fous que par le fait que l’amant d’Angélique simule un «fou d’opéra» dans le but de pénétrer dans l’asile et d’y retrouver la jeune fille. Il se fait passer pour un esprit gâté par sa passion des airs chantés: Grognard le trouve plaisant et le laisse circuler dans l’asile jusqu’au moment où le jeune héros devient trop «privé» à l’égard d’Angélique. Mais Léandre ne prend à aucun moment le risque de basculer lui-même dans la déraison. Les frontières sont nettes et sans ambiguïté entre les personnages raisonnables et les insensés. La folie revêt ici une fonction avant tout ornementale. Le modèle du ballet est par ailleurs plusieurs fois explicitement convoqué:

M. GROGNARD
Vous voyez si nos Foux
Se concertent entr'eux, que ce n'est que pour nous.
Vous les venez de voir mettre tout en pratique;
Eux-mesmes font les Pas, les Vers, & la Musique.

M. VILAIN
On voit quelques Balets à present; mais je crois
Qu'on n'en verra jamais de si beaux qu'autrefois. (I.3)20

15Grognard et Vilain se souviennent avec nostalgie des bouffonneries de Mondor, sur la place Dauphine. Les fous divertissent avant tout parce qu’ils jouent de la musique, chantent et dansent, plutôt que par le spectacle de leur déraison en tant que telle.

16Indépendamment des trois pièces que nous venons d’évoquer, il semble n’y avoir guère eu d’autres pièces d’asile au XVIIe siècle21. Nous suivrons donc Georges Forestier lorsqu’il répugne à employer le terme de tradition pour le «théâtre de l’asile» français22. Celui-ci attribue ce faible nombre de pièces au fait que les variations sur la structure de l’asile comme théâtre sont limitées. Mais l’exemple des théâtres anglais et espagnol nous montre justement que de telles variations étaient possibles. L’hôpital semble même parfois avoir été délibérément écarté de la scène dramatique par les dramaturges français: ainsi, outre Charles Beys, El Peregrino en su patria, par l’intermédiaire de sa traduction française, a également influencé Alexandre Hardy (Lucrèce, publiée en 1628) et Rotrou (Céliane, publiée en 1637)23. Or, aucun de ces deux auteurs n’a repris les épisodes dans lesquels les fous étaient théâtralisés. Hardy compose une tragédie sanglante à partir d’une histoire intercalée dans l’intrigue principale du roman de Lope24, tandis que, dans Céliane, Rotrou s’inspire davantage de l’intrigue amoureuse principale, mais en laissant de côté les épisodes liés aux fous. Beys a été le seul à reprendre à Lope les représentations de l’hôpital de Valence. L’absence de tradition du théâtre d’asile est donc bien une spécificité française.

17Ainsi, les deux pièces de Beys représentent une exception dans le paysage théâtral français des décennies 1630-1650, en tant qu’elles théâtralisent le petit monde clos de l’asile de fous. Mais elles marquent également un hapax dans le corpus contemporain, dans la mesure où elles s’inscrivent dans la droite lignée de la tradition érasmienne. La folie apparaît comme un miroir heuristique tendu aux hommes pour leur faire prendre conscience des failles de leur raison. Les fous enfermés dans l’asile sont des moralistes: lorsqu’ils n’évoquent pas leur propre identité illusoire, les propos qu’ils tiennent sont tout à fait censés et cohérents. Ceux-ci n’ont pas perdu la raison du fait de leur stupidité, mais au contraire parce que leur cerveau s’est desséché à force d’études et de lectures excessives, qui ont aggravé leur humeur mélancolique en l’acheminant vers une véritable pathologie mentale:

Il est vrai qu’aussitôt qu’ils ont fait leurs études,
Leurs esprits sont troublés de mille inquiétudes,
Et voulant pénétrer les plus rares secrets,
Dans un champ inconnu ne font plus de progrès;
De sorte qu’ils s’en vont par les espaces vides,
Et leur cerveau manquant de qualités humides,
Presque insensiblement se laisse évaporer,
Comme le flambeau s’use à force d’éclairer. (I.2.139-146)

18L’étiologie de leur folie a également rapport avec leur trop forte présomption, qui a perverti leur imaginaire, entraînant une confusion de leur identité. On pense ici aux «Fols Glorieux» du discours XV du traité de Garzoni. Lucides sur la folie d'autrui, les pensionnaires de l'asile sont incapables de reconnaître leur propre déraison. En cela, ils ne font que refléter la cécité coutumière de l'homme, impitoyable dans ses jugements sur autrui, mais toujours plus indulgent lorsqu'il s'agit de lui-même:

Nous voyons clairement les misères des autres
Et sommes bien souvent aveugles dans les nôtres. (III.3.965-968)

19La folie ne se définit pas ici comme le contraire de la raison, mais comme son double, son reflet déformé; il est aisé de basculer de l'une vers l'autre, parfois sans retour possible. Ainsi, chaque visiteur réel ou fictif de l’asile peut y rencontrer sa propre image, comme nous l’indique le personnage de Julie, édifiée contre les ravages de la passion par la vision de la femme du Concierge, cette folle amoureuse des fous:

Tout le monde en ce lieu peut trouver son exemple ;
C'est un miroir vivant où chacun se contemple,
Je m'y suis reconnue assez visiblement
En celle qui partout veut suivre son amant :
Je suis folle comme elle et cours après un homme. (V.3.1671-1675)

20Plus qu’une variation autour de ses sources italienne et espagnole, L’Hospidale de’ pazzi incurabili, Los Locos de Valencia et El Peregrino en su patria, le dramaturge français a donc opéré une inversion radicale des rapports entre folie et sagesse. Chez Garzoni et Lope de Vega, les frontières entre le monde des hommes raisonnables et l’univers des insensés restent nettement dessinées. Chez Beys, au contraire, le lecteur-spectateur est invité à rire des personnages tout en reconnaissant sa propre folie.

21Néanmoins, si les pièces de Beys forment presque l’intégralité du «théâtre de l’asile», le fou est loin d'être absent de la scène française dans la première moitié du siècle. On le trouve aussi bien dans la comédie, la tragédie, que la tragi-comédie, que l'on pense à la crise de démence de L'Hypocondriaque (1628) de Rotrou, aux Folies de Cardénio (1630) de Pichou, pièce inspirée de l’une des intrigues du Don Quichotte, à l’égarement d’Éraste dans Mélite (1630) de Corneille, aux fureurs d'Hérode dans la Mariane (1636) de Tristan L'Hermite, aux Visionnaires (1637) de Desmarets de Saint-Sorlin, etc. Corneille, lorsqu'il met en scène les visions d'Éraste, pris d'un accès de folie parce qu'il croit à tort avoir mené à la mort les deux amants Mélite et Tircis, reconnaît trente ans plus tard avoir cédé à une mode qui ravissait alors le public:

[...] comme c’était un ornement de Théâtre qui ne manquait jamais de plaire, et se faisait souvent admirer, j’affectai volontiers ces grands égarements, […]25.

22Les hallucinations infernales qu'exprime le personnage en s'adressant aux différentes entités mythologiques qui peuplent le séjour des morts (Charon, le dieu-fleuve Styx, Mégère et les Euménides, Minos) ont avant tout une fonction ornementale et poétique; elles visent à divertir le public par l'évocation de descriptions spectaculaires et effrayantes, dans une véritable hypotypose. Mais sa folie, née de remords cuisants, permet aussi de mettre en place le dénouement, car c'est au cours de ses visions égarées que le personnage se trahit en révélant involontairement comment il a cherché à brouiller les amants au moyen de fausses lettres. François Lecercle rappelle à quel point ces «scènes d’hallucination» étaient couronnées de succès entre la seconde moitié du XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle: généralement codifiées, elles peuvent être rapprochées du procédé de la mise en abyme dans la mesure où elles dédoublent la scène en convoquant par l’imaginaire une scène intérieure fantasmée, sans pour autant faire intervenir la structure plus exigeante du théâtre dans le théâtre26. Il n’en demeure pas moins que tous les égarés que nous venons de citer évoluent en liberté. Dans l’«Argument» des Visionnaires, que Jean Fuzier place également dans le sillage de la traduction du traité de Garzoni, Desmarets de Saint-Sorlin présente certes ses personnages comme des esprits dérangés; mais, contrairement aux visiteurs de Bedlam, nous pouvons admirer de telles folies au quotidien, dans leur entourage social, au lieu d'aller les observer à l'asile:

Dans ceste Comedie sont representez plusieurs sortes d'esprits Chimeriques ou Visionnaires, qui sont attaints chacun de quelque folie particuliere: mais c'est seulement de ces folies pour lesquelles on ne renferme personne; & tous les jours nous voyons parmy nous des esprits semblables, qui pensent pour le moins d'aussi grandes extravagances, s'ils ne les disent27.

23Paradoxalement, Desmarets fait appel à un lexique médical («atteints»), tout en présentant ses «visionnaires» hors du cadre de l'hôpital. Ses personnages ne sont pas de ceux que l’on enferme, car ce ne sont pas des fous furieux, dangereux pour ceux qu’ils côtoient, incontrôlables dans leurs mouvements. Victimes d’une perversion de leur imaginaire, chacun d’entre eux a pour prison mentale sa propre obsession: les combats héroïques pour le capitan Artabaze, la poésie amphigourique de la Pléiade pour Amidor, le «poète extravagant», la figure d’Alexandre pour Mélisse, etc. La comédie partage avec le traité de Garzoni et avec les pièces de Beys la structure de la galerie: le public assiste une fois encore à un défilé de cas spectaculaires, qui représentent chacun le rôle de leur identité usurpée. Mais la théâtralisation de la folie ne passe pas par l’introduction de l’asile comme scène intérieure.

24Même si le théâtre anglais est bien loin de représenter l'insensé comme un personnage systématiquement enfermé – on pense à la fortune du bouffon de cour chez Shakespeare et ses contemporains –, il n’en demeure pas moins que l’asile est un motif récurrent. Dans le corpus théâtral français, l’opposition entre les pièces de Beys et les représentations du fou qui leur sont contemporaines s’apparente à la distinction opérée par Robert R. Reed entre le théâtre élisabéthain, où le fou est écouté avec respect comme un messager du monde métaphysique doté de pouvoirs surhumains, même s’il ne les contrôle pas, et le théâtre jacobéen, où la déraison devient le signe de la déréliction de l'homme et de sa faiblesse ontologique28: l’œuvre du dramaturge français prolonge donc, au milieu du XVIIe siècle, le succès rencontré dès sa parution par L’Éloge de la Folie d’Erasme, publié en 1511 et traduit en français dès 1520, mais aussi la veine satirique et allégorique de La Nef des fous de Sébastien Brant, parue en 1494, traduite en français dès 1498. Dans la première moitié du XVIIe siècle français, le fou, lorsque son égarement n’est pas dû à la «passion désespérée» ou au «juste châtiment29», pour reprendre des catégories foucaldiennes, est un extra-vagant qui s’écarte des comportements et des codes en usage dans la société de son temps et qui fait preuve de travers sociaux et moraux aisément identifiables. «Fâcheux» récurrent en société, il est la cible du rire qui stigmatise le ridicule et sert, comme les murs de l’asile, à l’exclure. Contrairement aux dramaturges anglais qui produisent un discours critique sur les conditions de réclusion du fou dans l’asile, c’est moins le sort de l’interné qui intéresse les auteurs français que les caractéristiques qui font de lui un personnage à l’écart.

Le «Grand Renfermement» à l'épreuve des textes

25Bon nombre de chercheurs ont institué un rapport de cause à effet entre le mouvement de réclusion des insensés que Michel Foucault a établi à l’âge classique et l’apparition des représentations de l’asile en littérature. Robert R. Reed, dans son étude des rapports entre Bedlam et le théâtre jacobéen, a ainsi adopté une méthodologie consistant à retrouver les caractéristiques du référent de l’asile londonien dans le corpus des «Bedlam plays»30. Jean Fuzier, quant à lui, a émis l’hypothèse que les représentations de l’asile entraient dans une tradition littéraire, mais aussi sociologique, et que les spectateurs fictifs de ces institutions étaient l’écho de visiteurs réels31. Certes, l’exemple de Bedlam, visité très certainement dès le début du XVIe siècle, montre que ce lien entre réalité socio-historique et représentations littéraires est justifié32. Mais l’exemple du corpus français nous invite à appréhender cette approche avec prudence, puisque la scène dramatique de ce pays s’est somme toute assez peu intéressée à l’asile, même lorsque celui-ci est devenu une réalité nationale. Hélène Tropé explique l’écart relevé entre les conceptions de la folie chez Lope de Vega et chez Beys par les deux réalités socio-historiques distinctes de l’Espagne et de la France33. Alors que le sol espagnol accueille des hôpitaux dès le XVe siècle, en France, la réclusion des insensés, même si elle est amorcée dès le XVIe siècle, notamment avec la création du «Bureau des Pauvres» à Paris en 1544, ne devient systématique qu’à partir de 1656, avec la fondation dans cette même ville de l’Hôpital Général. Auparavant, il arrive que l’Église s’occupe des insensés, parmi les autres marginaux: Vincent de Paul réorganise ainsi l’ancienne léproserie de Saint-Lazare à partir de 1632. Les deux variations asilaires de Beys, datant d’avant la fondation de l’Hôpital Général, exprimeraient ainsi une vision archaïque de la folie, non encore marquée par la réclusion systématique des insensés. Or, l’on constate que la prise en charge des fous au sein de l’hôpital en France n’a pas de répercussions importantes sur les représentations littéraires de l’asile. Aucune mode du «théâtre de l’asile» ne se déclenche après 1656. Les Fous divertissants de Raymond Poisson expriment certes une conception de la folie semblable à celle du théâtre jacobéen, ou encore à celles de Garzoni et de Lope de Vega, mais celle-ci est déjà majoritairement répandue dans les années 1630-1650, au moment même où Beys compose ses ouvrages. Le décalage entre les réalités espagnoles, anglaises et françaises de l’asile n’explique donc pas le fait que la scène française soit marquée par une absence de tradition des pièces d’asile.

26Ainsi, il serait erroné de partir de la description que Beys fait de son établissement pour en tirer des conclusions sur la réalité des hôpitaux de fous en France dans les années 1630-1650; l’asile de ses pièces ne correspond en aucun cas à une réalité socio-historique qu'il aurait pu observer par lui-même. Les traits de son institution qui peuvent sembler puisés dans le réel sont tous issus des descriptions opérées par Lope de Vega de l'asile de Valence: la présence du Concierge et de sa famille sur les lieux de l'hôpital, la mention d'un «conseil des maîtres» sous lequel l'autorité de l'hôpital est placée, assemblée des grands de Valence qui prend la décision d'enfermer ou au contraire de relâcher un fou, la possible intervention d'un notable de la ville pour introduire un insensé dans l'asile ou l'en faire sortir, la mention de cellules où sont enchaînés les fous furieux, les registres des noms des pensionnaires tenus par le Concierge, etc. Mais les effets de réel s'arrêtent bel et bien là. Il serait également faux de faire une lecture socio-historique de l'asile mis en scène par Charles Beys, pour en déduire des éléments de description de l'asile espagnol. Selon Hélène Tropé, qui a comparé Les Illustres fous avec ses sources espagnoles, on a bien de la peine à reconnaître dans la comédie française l'établissement valencien: ne sont mentionnés ni les médecins (l'aspect curatif des pensionnaires de l'hôpital n’étant pas abordé), ni les fous pacifiques qui étaient utilisés comme domestiques, tandis que le personnel administratif de l'asile est réduit à portion congrue34. L'asile de ses pièces possède avant tout une dimension allégorique:

C'est le plus habité des hôpitaux splendides,
Jamais logis ne fut si plein de têtes vides ;
La terre qu'il occupe est un spacieux fonds ;
On voit dans ces enclos des rivières, des ponts,
Des vignes, des vergers, des étangs, des prairies,
Des villages, des bourgs, des bois, des métairies ;
Hormis dans les cerveaux, il n'est rien de désert.
Que vous dirai-je plus? Sans la carte on s'y perd [...]. (IV.3.1351-1358)

27Cet hôpital aux dimensions démesurées contient la ville de Valence tout entière, dont tous les habitants sont des fous, mais également le monde dans son intégralité. Il nous renvoie l’image symbolique de la folie universelle des hommes, et non pas de la réalité d’un établissement historiquement attesté.

28Ainsi, confronté aux textes, le «Grand Renfermement» foucaldien n’est pas aussi radical qu’on l’a souvent voulu penser. La rupture posée entre les représentations du fou en liberté au Moyen-Âge et à la Renaissance et le fou reclus de l’âge classique exige d’être nuancée en fonction des pays, mais également au sein d’une même scène littéraire nationale: comme nous le montre l’exemple du corpus théâtral français, la marginalisation sociale du fou ne s’accompagne pas forcément de son internement; à l’inverse, l’œuvre de Beys nous révèle que sa réclusion dans un hôpital réservé aux insensés ne signifie pas pour autant qu’une dichotomie nette est opérée entre folie et sagesse. Selon les études qui en ont été faites, ce paradoxe apparent se relève également au niveau de la réalité socio-historique: Hélène Tropé constate ainsi que l’institution valencienne n’était absolument pas l’espace d’un «grand renfermement», dans la mesure où, dès les premières années de l’Hôpital des Innocents, puis au temps de l’Hôpital général, les pensionnaires de l’asile étaient autorisés à sortir dans la ville pour demander l’aumône, ou encore pour participer, pour certains d’entre eux, à des processions festives organisées par les autorités de Valence35. Quant à Bedlam, Kenneth Jackson, même s’il acquiesce au sens général de l’étude de Foucault, refuse de voir dans la monstration des fous à l’asile londonien un signe annonciateur de la fondation des hôpitaux généraux, ou encore un processus ayant constitué une étape sur la voie de leur enfermement:

Given that the show of Bethlem was eventually eliminated by «enlightened» and «civilized» thinking it seems likely – again, if we stay within Foucault's logic – that the show of Bethlem was not only not part of the process of confinement but was itself opposed to that process and possibly could have delayed and mitigated the process of confinement in England. It seems likely, in fact, that the charitable show of Bethlem constituted a pre-Enlightenment relationship between the mad and the not mad that itself had to be contained and hidden away by Enlightenment processes36.

29Selon Kenneth Jackson, ces spectacles, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, incarnent un «théâtre dionysiaque» que l’on doit penser comme séparé de la scène dramaturgique contemporaine, «théâtre apollinien»: ils renforcent cette scène tout en résistant à ses tentatives d’appropriation et en refusant de se laisser dire par l’ordre de la raison. Contrairement à Foucault, Jackson ne distingue pas le théâtre de Shakespeare de l’œuvre de ses contemporains: il inclut le dramaturge dans le processus qui vise, pour la raison, à écraser la déraison37.  

30L’étude des pièces d’asile sur la scène européenne nous conduit par conséquent à nuancer l’idée d’une tradition du «théâtre de l’asile», qui serait uniforme et contemporaine à la fois en Angleterre, en Espagne et en France. Les pièces de Beys ne représentent pas une «œuvre-charnière38», selon l’expression d’Hélène Tropé, mais bien plutôt un cas singulier, par la coexistence même de l’héritage érasmien et de la structure close de l’asile. Il n’en demeure pas moins que les liens entre théâtralité et folie ont été exploités avec assiduité dans chacun de ces corpus théâtraux, même si la scène dramatique anglaise a poussé sans doute plus loin l’exploitation du procédé de la folie comme masque à travers la vogue de la tragédie de vengeance, entre les années 1580 (The Spanish Tragedy) et les années 1640 (The Cardinal de James Shirley).

31Si les dramaturges anglais et espagnols ont évoqué les conditions d’enfermement du fou, cette perspective critique est quasiment absente de la scène française, y compris au sein de l’asile allégorique de Charles Beys: le corpus dramatique français du premier XVIIe siècle se révèle plus enclin à produire un discours métathéâtral à partir de la folie, ou encore une satire de travers sociaux, qu’à parler de l’insensé et de ses traitements dans leur dimension pathologique.

Bibliographie

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Notes

1  « 1628 (Célinde), 1633 (La Comédie des comédiens), 1634 (L'Hôpital des fous) sont donc les trois dates de naissance officielles du phénomène du théâtre dans le théâtre », Georges Forestier, Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du XVIIe siècle [1981], Genève, Droz, 1996, p. 71.

2  Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique [1961], Paris, Gallimard, 1972.

3  Voir les articles de Jean Fuzier cités en bibliographie.

4  Jean Fuzier, « L'Hôpital des Fous : variations européennes sur un thème socio-littéraire de la fin de la Renaissance », in Mélanges J.-L. Flecniakoska, Montpellier, Université P. Valéry, 1980, p. 169.

5  Ibid., p. 172-174.

6  Jean Fuzier cite notamment, comme « ancêtre de l’hôpital des fous », l’œuvre anglo-latine de Nigel Wireker (ou de Longchamps), Brunellus seu speculum stultorum, qui date de la fin du XIIe siècle (ibid., p. 169).

7  « Il paraît donc opportun de souligner que si, à notre avis, L'Hospidale de' pazzi incurabili fut bien l'étincelle qui alluma, en Europe, la vogue littéraire de l'asile, il n'en demeure pas moins que le genre qui en est issu doit tout autant à l'ancienne tradition satirique et à l'observation personnelle. Et [...] il s'enrichit aussi, par-delà Garzoni, d'échanges où l'Espagne apportera sans proportion aucune avec ce qu'elle put recevoir, dans le même domaine, d'autres littératures européennes » (ibid., p. 175).

8  Tomaso Garzoni, L'Hospidale de' pazzi incurabili [1586], trad. François de Clarier, éd. Adelin C. Fiorato, Champion, 2001, [« Présentation », p. 8].

9  « L'Hospidale se présente sous la forme d'un inventaire méticuleux et exhaustif, dans lequel l'auteur entasse tout ce qu'il y a d'irrationnel, d'abnorme et d'absurde dans le monde tel qu'il le voit : une entreprise comique d'exclusion, mais aussi une tentative de dominer le chaos de la folie universelle en l'insérant dans un système rationalisé d'exposition, qui permet de la circonscrire et de l'exorciser » (ibid., p. 8).

10  Ibid., p. 63.

11  The Duchess of Malfi représente à ce titre une exception, puisque, dans cette tragédie, les entrées en scène des fous, qui parlent, chantent et dansent, sont utilisées par le frère de la duchesse pour terroriser celle-ci avant de l’assassiner.

12  Robert R. Reed Jr., Bedlam on the Jacobean Stage, Cambridge, Harvard University Press, 1952, p. 39.

13  Charles Beys, Les Illustres fous, Paris, Olivier de Varennes, 1653.

14  Georges de Scudéry, La Comédie des comédiens, éd. Joan Crow, Exeter, University of Exeter, 1975, p. 8.

15  « Ce personnage d’Herode luy cousta bon ; car, comme il avoit l’imagination forte, dans le moment il croyoit quasy estre ce qu’il representoit, et il luy tomba, en jouant ce rosle, une apoplexie sur la langue qui l’a empesché de joüer depuis » (Tallemant des Réaux, Historiettes, t. II, éd. Antoine Adam, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, p. 775-776). Voir également l’abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre, IV-1, éd. Hélène Baby, Paris, Champion, 2001, p. 405.

16  Georges Forestier, op. cit., p. 198.

17  Jean Desmarets de Saint-Sorlin, Les Visionnaires, in Théâtre complet (1636-1643), éd. Claire Chaineaux, Paris, Champion, 2005, p. 197.

18  Hélène Tropé, « Variations dramatiques espagnoles et françaises sur le thème de l'hôpital des fous aux XVIe et XVIIe siècles : de Lope de Vega à Charles Beys », Bulletin hispanique, t. 109, n° 1, juin 2007, p. 99.

19  Georges Forestier, op. cit., p. 82-83.

20  Raymond Poisson, Les Fous divertissants, Paris, Jean Ribou, 1681, p. 7-8.

21  Nous n’avons connaissance, dans l’état actuel de nos recherches, que de deux autres pièces prenant pour décor un asile d’insensés : L'Hôpital des fous ou le deuil d'Arlequin (1667 ?) de Domenico Biancolleli, œuvre que nous n’avons pas pu consulter, ainsi que, beaucoup plus tardivement, Le Mariage extravagant (1812), comédie-vaudeville en un acte de Désaugiers et Valori, dont l’action se situe dans la maison de santé du docteur Werner, à Paris. Les autres représentations de l'asile apparaissent dans des ballets de cour, comme dans le Ballet du chasteau de Bicêtre (1632), ou encore le Ballet des Petites Maisons (vers 1634).

22  Georges Forestier, op. cit., p. 82.

23  Voir Henry C. Lancaster, « Lope’s Peregrino, Hardy, Rotrou and Beys », Modern Language Notes, vol. 50, n° 2 (February 1935), p. 75-77.

24  Le jeune seigneur espagnol Télémaque a épousé Lucrèce, mais celle-ci le trompe avec un gentilhomme voisin du nom de Myrhène. Éryphile, une courtisane que celui-ci entretenait, dénonce par jalousie le couple adultère au mari. Télémaque, par ruse, met à mort les amants, mais est lui-même tué par un compagnon de Myrhène.

25  Pierre Corneille, Mélite, in Œuvres complètes, t. I, éd. Georges Couton, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, [« Examen », p. 6].

26  François Lecercle, « "Et vous ne voyez rien de ce que vous voyez". La fortune de la scène d’hallucination au théâtre (XVIe-XVIIIe siècles) », in François Lecercle (ed.), Visible/Invisible au théâtre, Textuel n° 36, p. 218-219.

27  Jean Desmarets de Saint-Sorlin, op. cit., p. 197.

28 Robert R. Reed Jr., op. cit., p. 5-6.

29  Michel Foucault, op. cit., p. 58-59.

30  « […] Jacobean comedy, as a rule, is documentary as well as theatrical; consequently, we may presume that the playwrights' depictions of Bedlamites were constructed about a reasonably sound foundation of actual observation », Robert R. Reed, op. cit., p. 29.

31  Jean Fuzier, « L'Hôpital des Fous […] », art. cit., p. 165-166.

32  De même, pour ce qui concerne l’analyse des représentations littéraires du fou de Cour dans les différents corpus européens, il est nécessaire de convoquer l’arrière-plan socio-historique de ce type d’usages. Maurice Lever, dans son ouvrage intitulé Le Sceptre et la marotte : histoire des fous de cour, rappelle que la tradition des bouffons en titre français s’éteignit sous le règne de Louis XIV (Paris, Fayard, 1983, p. 145).

33  Hélène Tropé, « Variations dramatiques espagnoles et françaises […] », art. cit., p. 132-134.

34 Ibid., p. 111-112.

35 Ibid., note 24, p. 106.

36  Kenneth S. Jackson, Separate theaters, Bethlem (« Bedlam ») Hospital and the Shakespearean Stage, Newark, University of Delaware Press, 2005, p. 256-257.

37  Ibid., p. 258-262.

38 Hélène Tropé, art. cit., p. 133.

Pour citer ce document

Par Françoise Poulet, «Fou enfermé ou fou en liberté?», Shakespeare en devenir [En ligne], Shakespeare en devenir, N°3 - 2009, mis à jour le : 28/01/2010, URL : https://shakespeare.edel.univ-poitiers.fr:443/shakespeare/index.php?id=153.

Quelques mots à propos de :  Françoise Poulet

Ancienne élève de l'École Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégée de lettres modernes, Françoise Poulet est actuellement allocataire-monitrice à l'Université de Poitiers. Elle prépare une thèse intitulée: «L’extravagance et ses représentations: enjeux de l’écart dans le théâtre et le roman du premier XVIIe siècle (1630-1650)», sous la direction de Dominique Moncond'huy. Son corpus théâtral rassemble notamment les pièces de Charles Beys, Desmarets de Saint-Sorlin, Rotrou, ...