Lear de Aribert Reimann, ou Shakespeare à l’opéra
Lear by Aribert Reimann, or Shakespeare at the opera

Par Jean-Philippe Heberlé
Publication en ligne le 12 novembre 2023

Résumé

This article discusses Aribert Reimann’s opera Lear. The Opera was premiered, in German, on July 9th, 1978, at the National theater in Munich. The English version was premiered in San Francisco in 1981. The original German libretto was written by Claus. H. Henneberg; The English libretto was conceived by Desmond Clayton. It was Dietrich Fischer-Dieskau who suggested Reimann to adapt King Lear and turn this famous and complex play into an opera in 1968. At first Reimann was not eager to follow Dietrich Fischer-Dieskau’s suggestion but after reading the play again and again, and discussing King Lear with the German baritone, he decided to work on the Lear project in 1975. He decided to work with Claus H. Henneberg who wrote the libretto of Reimann’s Melusine in 1970. It was after the libretto was written that Reimann started composing the music, even if most of the musical ideas of the score were already quite clear in his mind before the definitive text was finalized. Henneberg’s text is absolutely in keeping with Shakespeare’s plot even though some structural elements had to be altered in order to fit with the operatic genre. Through a series of mirror effects, underlined by the two-part division of the opera, he succeeds in making obvious some elements which were latent in King Lear. As for Reimann’s score, it contributes to reinforcing what is suggested either by Henneberg’s new text or Shakespeare’s play. In order to make its music effective, he resorts to different operatic conventions, adding choruses or giving all its importance to the way voices are attributed to the characters for instance. Apart from operatic conventions, Reimann also bases his score on serial principles whose chore element here is a pair of related hexachords. The series associated with other musical elements contribute to conveying musically the idea of chaos, which is of prime importance as much in King Lear as in Lear. It was risky and daring to try to adapt this famous play, but through the perfect alliance of Reimann’s music and Henneberg’s text, Lear is a modern musical rendering of the play as well as a worthy operatic tribute to Shakespeare.

Texte intégral

1La transposition opératique, comme toute transposition, implique des changements. Certains sont nécessaires, parce qu’ils sont liés autant à la nécessité d’adapter l’histoire à la durée d’un opéra qu’à la nécessité de laisser à la musique toute sa place dans un genre qui par nature est l’alliance des mots et des notes. D’autres changements sont moins importants et relèvent du librettiste qui cherche à introduire certaines différences pour marquer l’hypertexte de son empreinte, ou pour introduire des éléments qui indiquent qu’il prend ses distances avec l’hypotexte. Autant le dire d’emblée, Lear de Aribert Reimann – pour la musique – et de Claus H. Henneberg – pour le livret – ne cherche pas à se démarquer de l’hypotexte shakespearien. Si l’on trouve certaines altérations par rapport à la pièce, elles sont principalement liées aussi bien à l’adaptation de l’histoire au nouveau format qu’à la volonté de mettre en exergue de manière patente ce qui était latent chez l’élisabéthain, justement parce que le format opératique, en réduisant l’espace dévolu aux mots pour laisser toute sa place à la musique, implique que l’on clarifie les choses et que l’on soit plus didactique. Quels sont donc les changements opérés par le librettiste ? Quel est l’apport du compositeur ? Comment s’opère l’articulation entre le texte et la musique dans Lear ? Qu’est-ce que cela implique comme réécriture ? Voilà quelques-unes des questions que je voudrais aborder dans cet article après avoir présenté la genèse de l’œuvre et l’intérêt que porte Reimann à la mise en musique de textes littéraires.

2A. Reimann est un compositeur allemand né à Berlin le 4 mars 1936. Bien qu’il écrive aussi de la musique orchestrale, il se distingue plus particulièrement à travers deux genres musicaux qui allient le texte et la musique : l’opéra et la mélodie. Accompagnateur, entre autres, d’Elizabeth Grümmer, de Catherine Bayer, de Brigitte Fassbaender et de Dietrich Fischer-Dieskau, il se lie d’amitié avec ses interprètes pour lesquels il lui arrive de composer de nouvelles œuvres. C’est le cas de Fünf Gedichte von Paul Celan / Cinq poèmes de Paul Celan, un lied pour baryton et piano qu’il compose en 1960 pour D. Fischer-Dieskau, qui sera également à l’origine du projet consacré à Lear. Hormis Celan, Reimann apprécie et met en musique les textes des sonnettistes Louise Labé et Michel-Ange, des romantiques allemands Hölderlin, Günderrode et Eichendorff, et de modernistes comme Rilke. Il compose aussi sur les textes d’auteurs anglophones comme Percy Bysshe Shelley, John Keats, Lord Byron, Edgar Allan Poe, James Joyce ou Sylvia Plath. Le thème principal qui unifie l’œuvre vocale de Reimann, et dont on trouve des échos chez les auteurs cités, est la face cachée de la vie.

3En ce qui concerne son œuvre lyrique, Reimann a composé sept opéras. D’autres auteurs que ceux évoqués précédemment fournissent l’hypotexte de leur livret : August Strindberg pour Ein Traumspiel / Le Songe : Un jeu des rêves (1965) et Die Gespenstersonate / La Sonate des Spectres (1984), Yvan Goll pour Melusine / Mélusine (1971), Franz Kafka pour Das Schloss / Le Château (1992), Euripides pour Troades Les Troyennes (1986), Federico Garcia Lorca pour Bernarda Albas Haus / La Maison de Bernarda Alba (2000) et Shakespeare pour Lear (1978). Dans cet opéra, il aborde différents thèmes dont la tragédie humaine, le conflit entre la réalité et les rêves ainsi que, une nouvelle fois, la face cachée de la vie.

4Représenté pour la première fois dans sa version originale en allemand au Nationaltheater de Munich le 9 juillet 1978, Lear fut également joué dans sa version anglaise à San Francisco en 1981 et à Londres en 1989. Le livret allemand est de C. H. Henneberg qui avait déjà écrit le livret de Melusine pour A. Reimann en 1970 ; le livret anglais est l’œuvre de Desmond Clayton1. Un enregistrement commercial de l’opéra capté sur le vif à Munich en octobre 1978 existe et permet de se rendre compte de la richesse de la partition musicale où les couleurs sombres dominent.

5S’il fut joué pour la première fois en 1978, la genèse du projet remonte à une décennie plus tôt. En effet, en 1968, D. Fischer-Dieskau demande à A. Reimann s’il est intéressé par la mise en musique du Roi Lear de Shakespeare. Le compositeur hésite mais finit par rejeter l’idée d’un tel projet. Comme il l’écrit dans son essai « Souvenirs et vision, et ce qui peut en résulter : notes sur Lear », il va durant la fin des années soixante et le début des années soixante-dix relire régulièrement la pièce et en parler souvent avec Fischer-Dieskau. En 1972, il « décide d’approfondir la question […] et remarque […] que beaucoup d’éléments de la pièce sont déjà en train de se transformer en musique2 ». Les œuvres qu’il compose à cette époque, bien que Lear soit en arrière-plan, sont, selon le compositeur, autant de jalons qui vont le mener directement à la composition de l’opéra. Parmi ces œuvres, Reimann cite les Variations pour orchestre qu’il considère comme un prélude qui aborde « l’isolement de l’homme dans une solitude absolue, livré à la brutalité et aux remises en question inhérentes à toute existence3 ». En 1975, l’Opéra de Bavière, à Munich, lui passe commande de Lear. En 1976, il annote la dernière version du livret de Henneberg et, une fois qu’il sait comment terminer musicalement l’opéra, il se lance dans sa composition. Le lecteur qui serait intéressé dans le détail par les différentes étapes de la composition peut se référer aussi bien à l’essai de Reimann4 qui figure dans le livret de l’enregistrement discographique de l’opéra qu’au chapitre consacré à Lear dans Reimann: Leben und Werke, un récent ouvrage que Wolfgang Burde a consacré au compositeur allemand et à sa musique5. On notera que, si Reimann attendit que le livret fût terminé avant de se lancer dans l’écriture de la partition musicale, une grande partie de ses idées musicales naquirent bien avant que l’opéra ne lui fût officiellement commandé par l’opéra de Bavière, c’est-à-dire avant que les premières lignes du livret ne fussent écrites.

6Le livret est donc l’œuvre de C. H. Henneberg et respecte à la lettre l’intrigue de la pièce de Shakespeare, au point de citer de manière verbatim ou quasi-verbatim le texte de l’élisabéthain, comme le montre à titre d’exemple ces extraits6 :

Reimann’s Lear

Lear. Aus nichts wird nichts.
Lear. Nothing will come of nothing

(Part 1, scene 1)

Lear. Ich bin ein Mann, an dem man mehr gesündigt, als er sündigte
Lear. I am a man more sinned against than sinning, yes, more sinned against.

(Part 1, scene 3)

Shakespeare’s King Lear

Lear. Why no, boy; nothing can be
made out of nothing.

(Act I, scene 4, l. 130)

Lear. I am a man
More sinn’d against than sinning.

(Act III, scene 2, l. 59-60)

7Si le texte de Henneberg suit fidèlement les événements de la pièce, le librettiste effectue néanmoins certaines modifications. En effet, l’opéra n’est pas divisé en actes mais en parties qui sont au nombre de deux (Erster Teil / Part One et Zweiter Teil / Part Two), alors que la pièce de Shakespeare est subdivisée en cinq actes – du moins par les éditeurs. Chacune des deux parties est subdivisée en scènes : quatre scènes pour la première partie et sept scènes pour la seconde. Des interludes purement musicaux sont également insérés entre chacune des scènes de la première partie, ainsi qu’entre les scènes quatre et cinq, puis cinq et six de la seconde. La première partie reprend le premier et le second acte du Roi Lear, la seconde reprend le quatrième et le cinquième acte. Quant aux événements du troisième acte, ils sont ventilés dans les deux parties. La grande scène de la folie de Lear sur la lande se trouve à la fin de la première partie ; l’arrestation et la mutilation de Gloucester se trouvent au début de la seconde partie. Ainsi les deux parties de l’opéra scindent le texte de la pièce exactement en deux, la charnière se trouvant à peu de choses près au milieu du troisième acte. Quelles sont les raisons qui ont pu conduire le librettiste à diviser l’opéra en deux parties ?

8Cette division peut d’abord s’expliquer par l’accent mis sur la dualité, aussi bien dans l’opéra que dans la pièce, à travers le conflit entre le bien et le mal, l’opposition entre trahison et fidélité. En effet, l’opéra reprend toute une série d’oppositions binaires ou de dualités qui se trouvent dans la pièce. Le choix d’une structure qui se fonde sur deux parties vise à refléter ces oppositions ou ces dualités. En effet, certains personnages sont bien typés : Goneril et Régane sont clairement du côté du mal, alors que Kent et Gloucester semble être davantage l’incarnation du bien, même si en réalité certains de ces personnages et d’autres sont plus complexes, puisque la pièce montre la difficulté de définir le bien et le mal en relativisant ces deux notions. Ainsi, Edmond incarne le parfait méchant, mais il a compris mieux que Lear, par exemple, que les choses sont en constante évolution et non figées à tout jamais dans le marbre. En cela, il a une conception du fonctionnement du monde et de la langue plus juste et plus moderne que Lear, qui en a une vision erronée et archaïque. Une autre raison qui peut expliquer cette structure binaire se trouve peut-être dans l’opposition entre les événements sanglants et ceux qui ne le sont pas. Dans la première partie, la souffrance infligée à Lear par ses filles est psychologique et morale alors que dans la seconde partie la violence est davantage physique. En outre, la structure binaire a également le mérite de souligner au plan structurel le parallélisme de certaines situations, parallélismes que l’on retrouve dans certaines micro-analyses de l’opéra. Comme nous le verrons, ces parallélismes (ou ces effets de miroir) contribuent toujours à mettre l’accent de manière patente sur ce qui était latent ou moins clairement énoncé dans la pièce. En ce qui concerne la structure, l’un des parallélismes les plus évidents réside dans le fait que chaque partie nous présente la chute de personnages qui détenaient le pouvoir. Dans la première partie, on assiste à la chute de Lear et à sa déchéance mentale, alors que, dans la seconde, on assiste à celles de Goneril et de Régane. La folie de Régane est plus particulièrement soulignée par la manière dont elle rit après avoir crevé le second œil de Gloucester. Ces chutes successives sont bien emblématiques de ce monde en évolution perpétuelle dont nous parlions auparavant. Une fois encore, il n’y a rien ici qui ne soit dans la pièce, mais le librettiste met à jour une série de faits qui de latents dans la pièce deviennent patents dans l’opéra. Cette intensification de la souffrance infligée à autrui correspond bien au schéma traditionnel de la tragédie. La structure met d’emblée l’accent sur la dimension pédagogique ou didactique de cette réécriture opératique du Roi Lear.

9Cette dimension didactique se retrouve aussi dans la concaténation de scènes et d’événements. À titre d’exemple, dans la pièce, Lear se rend chez Régane après avoir quitté Goneril qui lui reprochait le comportement de sa suite. Plus tard Goneril rejoint Lear et Régane. Les deux sœurs désirent qu’il réduise son équipage. Lear s’en va se sentant trahi par ses deux filles. Dans l’opéra, ces événements se réduisent, scène 2 au départ de Lear, chassé par ses deux filles qui lui reprochent le nombre trop important des serviteurs qui l’accompagnent. La scène se déroule dans un lieu unique, un palais où se trouvent à la fois Goneril et Régane. Cette réduction permet de montrer qu'à ce moment de l'action Régane et Goneril agissent de concert. Dans ce palais, Lear découvre Kent mis aux fers non parce qu’il a provoqué Oswald (Le Roi Lear, acte 2, scène 2) mais parce qu’il est accusé d’espionnage (Lear, première partie, scène 2). Cette légère altération par rapport à la pièce originale sert de mise en abyme métafictionnelle puisqu'elle indique au spectateur qui connaît la pièce de Shakespeare que sa réécriture par Reimann et Henneberg n'est pas une simple copie de l'hypotexte. Il s'agit d'une réécriture qui, si elle reprend les événements qui se déroulent dans Le Roi Lear, en propose un remodelage. Ce remodelage vise à aller à l'essentiel comme le montre tout autant l'emboîtement entre la scène 2 et la scène 3 dans la seconde partie de l'opéra. En effet, scène 2, le très court dialogue entre Goneril et Edmond où, celle-ci, jugeant le Duc d’Albany trop faible, invite le fils illégitime de Gloucester à rendre visite au Duc de Cornouailles pour qu'il mette l'armée en ordre de marche pour affronter les Français, se poursuit à la scène suivante où le chant des deux protagonistes s'enchevêtre avec celui de Cordélia qui, prise de pitié pour son père, se préoccupe de son état mental. Cet emboîtement permet d'opposer la loyauté de Cordélia à Lear et la déloyauté de Goneril :

Szene 2

Goneril.
Es fließt viel Blut,
und mein Gemahl wird schwach.
Er fürchtet die Macht.
Du, Edmund, gehe zum Schwager,
rüste die Heere zur Schlacht.

Szene 3

(im französischen Lager bei Dover)
Cordelia.
Man fand den Vater resend
wie das empörte Meer.
Ich schickte Leute aus,
Daß sie ihn suchen
und vor mein Auge bringen.
Goneril.
Ich werde bleiben
und die Waffen tauschen
Edmund.
Ich bin der Eure
in der Gefahr der Schlacht.
Cordelia.
All ihr glücklichen Geheimnisse, …

Scene 2

Goneril.
The blood's flowing fast,
and Albany's far too weak.
He shies away from power.
You, Edmund, go and see Cornwall,
muster the armies for war.

Scene 3

(The French camp near Dover)
Cordelia.
They found my father raging,
mad as a stormy sea.
I've sent retainers out,
hoping they'll find him
and bring him here before me.
Goneril.
I must stay here,
and act as master.
Edmund.
I am your servant
in the ranks of death.
Cordelia.
All you strange and blessed secrets, ...

(Part 2, scenes 2 & 3)

10Ainsi, la nouvelle structure de l'opéra, la réduction de certains passages et l'emboîtement de certaines scènes ne nuisent en rien à la compréhension des enjeux et des thèmes de la pièce. Bien au contraire, ils contribuent à les mettre en valeur de manière plus claire et plus évidente.

11Cette façon d'éclairer le spectateur se trouve également dans le rôle joué par le fou qui, en étant à la fois sage et fou comme dans l'hypotexte, acquiert dans l'opéra une autre fonction qui n'est pas sans rappeler les grandes tragédies grecques de l'antiquité7. En effet, le fou tient le rôle du chœur en portant des commentaires sur l'action ou en guidant le spectateur dans sa compréhension de la pièce.

Narr.
Wer nicht lächeln kann, wie der Wind weht,
der wird bald Schnupfen bekommen.
Der König hat zwei Töchter verbannt,
um wider Willen die dritte zu segnen.
Der arme, alte Mann.
Narr.
Und Gloster? Des Königs Spiegelbild.
Er läßt sich leicht betrügen.

Fool.
If you cannot smile as the wind sits,
you'll catch cold shortly.
This fellow has banished two daughters
and blessed the third against his own will.
The foolish, poor old man.

(Part 1, scene 1)

Fool.
And Gloucester? The king's reflection?
He's easy to betray.

(Part 1, scene 1)

12En présentant Gloucester comme le miroir de Lear (« The king’s reflection »), le fou, en quelques mots, met l’accent sur l’un des grands parallèles qui structurent la pièce de Shakespeare puisque Gloucester est, d’une certaine manière et par bien des aspects, un double de Lear. En effet, ces deux personnages vivent des événements quelque peu similaires. Ils croient tous deux avoir été reniés par leurs enfants les plus chers. Lear pense que Cordélia, parce qu'elle a refusé de le flatter par des mots, n’a que de l’ingratitude pour lui. Quant à Gloucester, manipulé par Edmond, son fils illégitime, il est mené à croire qu’Edgar, son fils légitime, veut attenter à sa vie. Tous deux sont conduits, avant de prendre conscience tardivement de leur fourvoiement, à préférer leurs autres enfants. Reimann souligne sur le plan musical le parallélisme des situations autour de laquelle s’articule l’intrigue du Roi Lear.

13En attribuant à Cordélia et à Edgar deux séries dodécaphoniques qui se fondent sur les mêmes notes, le compositeur allemand souligne en musique le parallélisme de leurs situations. Non seulement il montre le parallélisme des situations de Cordélia et Edgar, mais, en utilisant ces séries gémellaires comme leitmotive ou éléments structurels de son opéra, il montre que le rejet de Cordélia et d’Edgar est au cœur de la tragédie, sa justification. Dans « Souvenirs et vision, et ce qui peut en résulter : notes sur Lear », Reimann souligne autant la genèse que les fonctions musico-dramatiques de ces séries :

Cordelia : lyrique, toujours achevé, équilibré. Je trouve pour elle une série :

1
ut

2
si

3
ut#

4

5
mib

6
fa

7
mi

8
fa#

9
sol

10
lab

11
sib

12
la

→ Edgar 7-12

→ Edgar 1-6

Mouvements rétrograde et contraire sont identiques. De cette série est issue la série d’Edgar.

1
mi

2
fa#

3
sol

4
lab

5
sib

6
la

7
ut

8
si

9
ut#

10

11
mib

12
fa

→ Cordelia 7-12

→ Cordelia 1-6

Ici encore le mouvement rétrograde est identique au mouvement contraire.

Ces séries, disposées en croix, conduites en canon, se révèlent à travers l’œuvre une sorte de motif pour Cordelia et Edgar, ou deviennent la structure dodécaphonique des quatuors à cordes qui accompagnent le fou8.

14Ces séries rapprochent donc Cordélia et Edgar d’un point de vue musical. Quant à la tessiture de leurs voix, ainsi que celle des autres personnages, elle dessine également un réseau symbolique qui contribue à renforcer musicalement ce qui est suggéré ou affirmé par le texte. Cordélia est une soprano et Edgar un ténor qui devient contre-ténor lorsqu’il feint de perdre la raison sur la lande lors de ses conversations avec Lear. Le changement de tessiture d’Edgar met également l’accent sur son changement d’identité. Si Cordélia et Edgar ont deux voix hautes, ce qui s’accorde parfaitement avec la symbolique opératique des voix, c’est pour montrer le parallélisme que l’on vient d’évoquer, mais c’est aussi, toujours selon les conventions opératiques, parce qu’ils sont les enfants d’autres personnages auxquels les voix basses sont traditionnellement attribuées9. Ainsi Lear et Gloucester sont respectivement un baryton et un baryton basse, tessitures figurant aussi bien la fonction paternelle que la fonction d’autorité en général. Si Lear n’est pas une basse, tessiture généralement dévolue à un roi, c’est sans doute davantage parce que Reimann avait Fischer-Dieskau à l’esprit lors de l’écriture du rôle que pour signifier la faiblesse de Lear dans l’accomplissement de ses fonctions régaliennes. La proximité des tessitures de ces deux personnages contribue, comme pour Cordélia et Edgar, à montrer le parallélisme de leurs situations. Quant aux enfants de Gloucester et de Lear, ils sont tous ténors (Edgar et Edmond) ou soprano (Goneril, Régane et Cordélia). On sait, pourtant, ce qui oppose Edgar et Edmond, ainsi que Goneril et Régane, d’une part, et Cordélia, d’autre part, c’est donc bien pour répondre aux conventions opératiques qui régissent l’attribution des voix entre les membres d’une même famille que Reimann leur attribue des tessitures similaires. Cependant, à travers cette convention, Reimann réussit à traduire musicalement ce qu’exprime le texte. Par exemple, Cornouailles, le mari de Régane, est un ténor, et Albany, le mari de Goneril, est un baryton. Or, Cornouailles est aussi tyrannique et maléfique que sa femme, soprano, alors qu’Albany, baryton, cherche à la fin de l’opéra comme à la fin de la pièce à se rapprocher du Roi de France et de Cordélia. Sa tessiture de baryton montre qu’il se démarque de Goneril et de Régane et qu’il est plus proche, vocalement et par son action, de Lear et de Gloucester. Quant au fou, il ne chante pas mais parle, comme pour mieux insister sur sa fonction de commentateur de l’action. Seul Kent, qui est un ténor et qui, restant fidèle à Lear, n’opère aucun rapprochement avec la faction usurpatrice, a une tessiture qui s’explique peut-être par la volonté de Reimann de ne pas se plier totalement aux conventions opératiques et de montrer ainsi, comme chez Shakespeare, que les conventions ont leurs propres limites ou qu’elles ne sont simplement que conventions.

15D’un point de vue strictement instrumental, l’un des éléments les plus importants de l’opéra, c’est la musique de la tempête sur la lande dans le second interlude et au début de la troisième scène de la première partie. Dans cette scène, Lear rencontre Edgar qui, tout autant que Gloucester, est le double du vieux roi. En effet, les deux personnages ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes et ont changé d’identité. Lear est devenu fou et Edgar s’appelle Tom et simule la folie, ce qui est suggéré musicalement par une flûte qui joue dans les registres les plus aigus de l’instrument, mais aussi par la voix de contre-ténor de Tom. Or, les registres les plus aigus, que ce soit pour la voix ou pour les instruments, symbolisent par convention la folie10. Ce changement ontologique, qui s’opère pour Lear et Edgar, est exprimé par la tempête qui symbolise le retour aux origines, la renaissance et la création d’une nouvelle identité. La tempête revêt également une autre fonction, comme souvent chez Shakespeare : elle sert à exprimer le chaos cosmique, la remise en cause d’un ordre préétabli. C’est pour cette raison que le premier interlude, qui intervient lorsque Lear répudie Cordélia, est musicalement conçu comme un orage qui va éclater : « l’interlude I doit se préparer progressivement et éclater comme un orage11 ». En fait, Reimann va concevoir ses interludes comme de mini poèmes symphoniques qui traduisent ou annoncent musicalement la tragédie qui se noue devant les yeux des spectateurs. C’est ainsi qu’il décrit la manière dont il envisage d’écrire le premier interlude en janvier 1977 :

Interlude : (première moitié : emphase exaltée, deuxième moitié : chute dans des tréfonds qui se délitent, désordonnés, instables.) Désagrégement des groupes instrumentaux, nouvelles combinaisons. Le fait de basculer du côté du chœur, qui se conduit de façon débridée et ivre, doit préparer la scène de Goneril et Régane, signaler leur position de force. Il faut rendre audible, simultanément, que cela signifie pour Lear le début de la tragédie12.

16En écrivant une musique qui traduit en notes la tempête, Reimann s’inscrit dans une longue tradition opératique. En effet, on trouve, par exemple, des tempêtes « musicales » dans Didon et Énée de Henry Purcell, dans Idoménée de Mozart, dans Thésée de Jean-Baptiste Lully, dans Le Turc en Italie de Gioacchino Rossini, mais aussi dans l’un des premiers opéras de Richard Wagner, compatriote de Reimann : Le Vaisseau fantôme. Ces passages sont donc justifiés autant par le livret et l’hypotexte que par la nécessité d’inscrire Lear dans la tradition opératique occidentale. En effet, Lear n’est pas une simple mise en musique de la pièce de Shakespeare mais un véritable opéra qui passe par un remaniement de l’hypotexte afin de l’adapter au genre opéra, comme nous l’avons vu. Puisqu’il s’agit d’un véritable opéra, Reimann respecte certaines conventions – comme la distribution des voix selon le rôle des personnages –, mais il fait également chanter des personnages qui, dans Le Roi Lear, ne parlent pas13, afin de créer des chœurs et ainsi s’inscrire dans la grande tradition opératique et chorale. Les personnages muets dans la pièce sont, entre autres, les serviteurs de Lear, c’est-à-dire ceux qui vont donner à Goneril et Régane un prétexte pour chasser Lear de chez elles. Reimann et Henneberg font chanter la suite de Lear et mettent l’accent sur le comportement d’ivrogne de ses serviteurs. Ce qui était suggéré dans la pièce est ici représenté pour montrer ce qui a poussé Goneril et Régane à éconduire leur père, mais aussi pour faire intervenir un chœur dans la plus pure tradition opératique :

2. Szene

(Hof im Palast)
Lears Gefolge.
Ist nicht das Alter lustig und faul
Und sind wir nicht frei von Sorgen?
Es trifft der Tod den müden Gaul
an der Tränke vielleicht schon morgen.
Lear.
(Lear kommt mit dem Narren)
Sauft, freßt, reißt Witze!
Ab ist die Last des Herrschens von unseren Schultern.
Jetzt leben wir dem Tag, der Sonne, Regen Wind.
Lears Gefolge.
Leicht ist der Dienst
schwer ist der Wein, …

Scene 2

(A palace courtyard)
Lear’s followers.
Old Age is full of gladness and joy,
and has but one source of sorrow:
who knows if death will not pass by
and areap us away tomorrow?
Lear.
(Enter Lear with the Fool)
Eat, drink, be merry!
Shorn of the cares of kingship, life’s one long carousel.
Now all day is ours, the sunshine, rain and wind.
Lear’s followers.
Duty is light,
Not so the wine, …

17Ainsi, les nécessités dramatiques sont conjuguées à l’une des conventions opératiques, l’alternance d’airs et de chœurs, même si Lear n’est pas un opéra à numéros mais un opéra verdien ou wagnérien car les scènes s’enchaînent dans un flot sonore continu.

18Enfin, pour conclure sur le rôle de la musique à des fin musico-dramatiques dans Lear, je noterai que l’ensemble de la partition, malgré quelques passages mélodiques, est essentiellement atonale, comme pour mieux mettre en évidence l’impossibilité de créer l’harmonie dans un monde où règnent le désordre et le chaos. Andrew Clements, dans l’article qu’il a consacré à l’opéra de Reimann dans The New Grove Dictionary of Opera, résume, après avoir mis l’accent sur l’importance de la série associée à Cordélia et Edgar dans la structure musicale de l’opéra, les principales caractéristiques musicales de la partition ainsi que leur importance musico-dramatique :

Reimann’s score is based on serial principles and founded on a pair of related hexachords (c-b-c#-d-eb-f, e-f#-g-ab-bb-a). They furnish the note row of Cordelia’s theme and are reversed to form Edgar’s, as well as appearing melodically to articulate crucial monologues throughout the opera. Other elements, especially the Fool’s “folksongs” which punctuate his spoken utterances in the first act, are tonally based, though these are accompanied by serially derived textures that obscure their tonality. Vocal patterns are derived from speech rhythms; those for Lear are the most varied, ranging from freely notated parlando to precisely specified declamation, while the music for his daughters and Edgar (changing gradually from tenor to countertenor and back again) is the most conventionally operatic.

The instrumental writing, for a vast orchestra that includes a string section sometimes divided into 48 parts and a formidable array of percussion, is bold and highly dissonant, favouring massive chord clusters (including quartertones) and textures generated by micro-polyphony14.

19En conclusion, Lear de A. Reimann et de C. H. Henneberg ne trahit pas les lectures qu’offrent la pièce de Shakespeare. En transposant Le Roi Lear en opéra, il me semble que le compositeur allemand et son librettiste réussissent à éclaircir le sens à donner à l’hypotexte, en faisant ressortir de manière patente ce qui était latent dans la pièce, en renforçant les effets de miroir à travers le remaniement de la structure. Même si de tels remaniements s’imposent par le passage du genre théâtral au genre opératique, le librettiste donne à Lear une fonction didactique qui permet aux spectateurs de mieux comprendre toutes les complexités de la nature humaine ainsi que les ressorts psychologiques de l’intrigue. C’était une gageure que de créer un opéra se fondant sur l’une des pièces les plus profondes et les plus difficiles de Shakespeare, mais Reimann, en composant une musique qui va épouser ce que suggère le texte de la pièce, contribue autant que son librettiste à la transposition opératique du Roi Lear. En effet, les moyens musico-dramatiques que nous avons étudiés complètent et renforcent le texte du livret pour rester au service du grand texte shakespearien. C’est pour toutes ces raisons, bien que je n’aie pas épuisé dans cet article toutes les facettes des relations entre Lear et Le Roi Lear, que Reimann et Henneberg ont réussi à bien traduire en mots et en notes le chef-d’œuvre de l’élisabéthain.

Bibliographie

Ouvrages et programmes :

BURDE, Wolfgang, Reimann: Leben und Werk, Mainz, Schott, 2005.

SAMUEL, R., « Music in Command », Lear, London, English National Opera, 1989 [programme book].

SCHULTZ, Klaus, dir., Aribert Reimanns Lear. Weg einer neuen Oper, München, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1984.

Articles consacrés à Aribert Reimann :

BURDE, Wolfgang, « Nervenpunkte. Der Komponist Aribert Reimann », in Opernwelt, Januar 1995.

BURDE, Wolfgang, « Werkstatt Literatur-Oper. Notizen zu Opern Aribert Reimanns », Neue Zeitschrift für Musik, Februar 1996.

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Discographie :

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Notes

1 Dans cet article, les citations du livret seront donc à la fois en allemand et en anglais.

2 Aribert Reimann, « Souvenirs et vision, et ce qui peut en résulter : notes sur Lear », dans Lear (livret), Hamburg, Deutsche Gramophone, 2000, p. 35-44.

3 Ibid., p. 35.

4 Ibid., p. 36.

5 Wolfgang Burde Reimann: Leben und Werke / Reimann: Sa vie, son oeuvre, Mainz, Schott, 2005, p. 270-301.

6 Les citations de la pièce de Shakespeare sont extraites de l’édition suivante : William Shakespeare, King Lear, ed. Kenneth Muir, London, Methuen, The Arden Shakespeare, 1972.

7 Il s’agit sans doute pour Henneberg et Reimann, en donnant ici le rôle d’un chœur au fou, de montrer les liens qui unissent la pièce de Shakespeare aux tragédies grecques. En effet, la violence de certaines scènes du Roi Lear n’est pas sans rappeler celle que l’on trouve dans le théâtre grecque antique. On pensera à L’Orestie d’Eschyle par exemple.

8 Aribert Reimann, op. cit., p. 37.

9 « Du point de vue de la typologie vocale, l’Enfant et l’Amant sont donc toujours des voix hautes, ténor et soprano, […] et les parents sont des voix graves, basse et alto en général », Dominique Pavesi, « La symbolique des voix », in Philippe Berthier & Kurt Ringer (eds.), Littérature et opéra, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1987, p. 171.

10 Voir par exemple ce qu’écrit Dominique Pavesi dans « La Symbolique des voix » au sujet des coloraturas: « […] ses personnages n’appartiennent pas au même monde que les autres personnages. La coloratura qui n’articule pas, qui ne parle pas, reste hors du monde du discours et de la raison: elle devient folle », Dominique Pavesi, op. cit., p. 175. Les vocalises de Tom sur la lande, durant l’interlude qui se situe entre la scène 3 et la scène 4 de la deuxième partie de Lear n’est pas sans rappeler ce que Pavesi écrit au sujet des coloraturas.

11 Aribert Reimann, op. cit., p. 37

12 Ibid.

13 Donner la parole à des personnages qui dans l’hypotexte sont muets n’est pas nouveau ; je citerai, à titre d’exemple, Turn of the Screw. En effet, Benjamin Britten créa des dialogues pour les fantômes de Quint et de Miss Jessel, alors qu’ils sont muets dans la nouvelle de Henry James.

14 A. Clements, « Lear », dans Stanley S. (dir.), The New Grove Dictionary of Opera, London, Macmillan, 1992, vol. 2, E-LOM, p. 1116.

Pour citer ce document

Par Jean-Philippe Heberlé, «Lear de Aribert Reimann, ou Shakespeare à l’opéra», Shakespeare en devenir [En ligne], IV. Réécritures opératiques, N°1 — 2007, Shakespeare en devenir, mis à jour le : 12/11/2023, URL : https://shakespeare.edel.univ-poitiers.fr:443/shakespeare/index.php?id=118.

Quelques mots à propos de :  Jean-Philippe Heberlé

Jean-Philippe Heberlé est Maître de Conférences au département d’anglais de l’Université Nancy II où il enseigne la littérature et la civilisation anglaises. Auteur de nombreux articles consacrés principalement à Thomas Addès, Michael Berkeley, Harrison Birtwistle, Frederick Delius, Alun Hoddinott, Peter Maxwell Davies, Michael Tippett ou Ralph Vaughan Williams, il s’intéresse aux rapports qui existent au Royaume-Uni entre musique et littérature, musique et histoire des idées, ainsi que musique ...

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