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Imitation et dynamique créatrice : Mary Wroth lectrice de Philip Sidney
Par Aurélie Griffin
Publication en ligne le 17 décembre 2012
Résumé
Mary Wroth’s romance The Countess of Montgomery’s Urania was clearly inspired by her uncle Philip Sidney’s The Countess of Pembroke’s Arcadia (1590). The title of Wroth’s romance itself pays a direct homage to Sidney’s. The Urania is not only riddled with individual allusions to Sidney’s text, but is built upon the imitation of episodes and characteristics of the Arcadia, such as its unfinished ending. Imitation should not be seen as the opposite of original creation, for Wroth derives her own creativity from her intelligent reading of the Arcadia. In doing so, she not only affirms her « mannerist vision » (Gisèle Mathieu-Castellani), but also reveals Sidney’s own.
Dans son roman pastoral The Countess of Montgomery’s Urania (1621), Mary Wroth s’inspire à bien des égards du célèbre roman de son oncle Philip Sidney, The Countess of Pembroke’s Arcadia (1590). Depuis son titre emprunté directement à l’Arcadie, jusqu’à sa fin tronquée, l’Uranie tout entière est construite comme un hommage au roman de Sidney. Wroth développe des stratégies d’écriture qui, de l’emprunt à la réécriture en passant par la réorganisation du texte originel, créent une tension paradoxale entre imitation et recherche de l’originalité. La pratique de l’imitation, loin d’étouffer la création littéraire, en devient la source même, car Wroth dérive sa propre créativité d’une fine lecture de l’Arcadie. Ce faisant, elle affirme non seulement sa propre « vision maniériste » (Gisèle Mathieu-Castellani), mais révèle ainsi celle de Sidney.
Table des matières
Texte intégral
1Dès le frontispice de son roman, The Countess of Montgomery’s Urania (1621), Mary Wroth met en scène son appartenance au cercle Sidney/Herbert, tout particulièrement son lien de filiation avec Philip Sidney :
The right honorable the lady
MARY WROATH
Daughter to the right Noble Robert
Earle of Leicester
And neece to the ever famous, and renowned
Sir Phillips Sidney Knight. And to
The most excellent Lady Mary Countesse of
Pembroke late deceased1.
2En faisant d’emblée référence à ses prédécesseurs, l’auteur fait de sa lignée une caution littéraire. Wroth apparaît comme un membre actif du cercle Sidney/Herbert, qu’elle veut continuer à faire vivre en dépit de la mort de ses trois parents : son oncle Philip meurt en 1586, son père Robert en 1614, et sa tante l’année même de la publication de l’Uranie, en 1621. Le choix du genre littéraire, le roman pastoral, et le titre de l’œuvre, directement emprunté à l’Arcadie, mettent en exergue le lien de parenté entre Mary Wroth et Philip Sidney2. Dans le roman de Sidney, Urania est la bergère dont l’absence provoque le malheur des bergers Klaius et Strephon. De fait, l’influence de Philip Sidney sur l’œuvre de Wroth a retenu l’attention des lecteurs et des critiques, même si des études récentes se sont intéressées à celle exercée par Robert et Mary Sidney3.
3 Si les critiques s’accordent pour reconnaître le rôle joué par Philip Sidney dans la conception de l’œuvre de Wroth, les opinions divergent quant au sens à y voir : l’Uranie est-elle une imitation de l’Arcadie ? Du dix-septième au dix-neuvième siècle, plusieurs critiques présentent l’Uranie comme une imitation de l’Arcadie de Sidney. Ainsi, en 1675, Edward Philips qualifie Wroth de : « emulatress perhaps of Sir Philip Sidney’s Arcadia, by her Urania, a Poetical History of the same nature ; but much inferiour in fame4. » Sans employer le terme d’imitation, il fait bien référence à la même démarche, mais le nom « emulatress » en lui-même n’a rien de négatif ; c’est pourquoi il souligne l’« infériorité » de Wroth par la suite. C’est donc le manque de talent de l’auteur qui pose problème, non sa volonté d’imiter Sidney. De nos jours, en revanche, l’emploi du terme d’imitation est bien plus problématique. Paul Salzman, Helen Hackett, ou encore Gavin Alexander, se défendent de l’utiliser. Pour ce dernier, « it would be wrong to call Wroth’s works imitations. They use imitation intelligently at certain points and in certain ways. […] The Urania can in no way be described as an imitation of the Arcadia, popular though that view has been5 ». Pour ces critiques, qualifier l’Uranie d’imitation de l’Arcadie, c’est nier son originalité. Ils manifestent une certaine méfiance à l’égard de ce mot, qui leur apparaît visiblement comme péjoratif ou, du moins, limité ; en cela, ils semblent avoir des difficultés à se défaire de la notion actuelle d’imitation. Or, comme le rappelle Laurence Plazenet, « la notion d’imitation a été frappée d’interdit au XIXe siècle […] [car elle] est soupçonnée de relever d’un défaut de créativité6 ». L’imitation était conçue sous un jour bien différent au dix-septième siècle : selon Christine Sukic, « l’imitation est le fondement de l’écriture depuis l’humanisme renaissant, et cette imitation imite elle-même un procédé classique7 », faisant référence à la Poétique d’Aristote. Plutôt que de rejeter le terme, il nous semble utile de mettre à profit la notion d’imitation pour éclairer la composition de l’Uranie, en définissant le plus précisément possible ses rapports avec l’Arcadie de Sidney.
4 Loin de se contenter de multiplier les allusions comme autant de références passives à son célèbre modèle, Wroth convoque une remémoration constante de l’Arcadie dans l’imaginaire du lecteur. L’héroïne de Wroth, Urania, évoque immanquablement l’héroïne sidnéienne. C’est ce processus d’évocation, cet entre-deux, ce va-et-vient permanent entre les deux œuvres, que nous tenterons d’étudier ici.
5En désignant explicitement l’Arcadie comme horizon d’attente de ses lecteurs, Wroth fait planer l’ombre de Sidney sur son œuvre, et la rend d’autant plus inaccessible, car l’Arcadie se dérobe à mesure que l’auteur prend conscience de sa nostalgie pour une époque élisabéthaine idéalisée, à laquelle la mort de ses parents a définitivement mis un terme symbolique. Paradoxalement, la revendication du modèle sidnéien, ou son imitation, n’empêche pas Wroth de trouver son propre style, ni de créer l’œuvre qui lui est propre. L’imitation doit donc être conçue en lien étroit avec la création, et non comme son contraire.
6Une comparaison d’épisodes tirés de l’Arcadie (dans ses deux versions, traditionnellement appelées The Old Arcadia et The New Arcadia) et de l’Uranie permettra d’explorer la dynamique entre les œuvres et d’esquisser une typologie des allusions, emprunts, imitations ou réécritures. Comment définir la relation entre les deux romans ? Le terme d’imitation est-il satisfaisant lorsque Wroth met en scène son incapacité à reproduire le texte de Sidney? À travers les allusions, les réorganisations, le mélange de divers épisodes, cette incapacité n’est-elle pas elle-même source de création ? Enfin, à travers la mise en scène de sa lecture personnelle de l’Arcadie dans son propre roman, Wroth met en lumière le maniérisme de Sidney, qu’elle va, en retour, développer dans l’Uranie.
Allusions
7L’influence de l’Arcadie peut d’abord se mesurer au grand nombre d’allusions au texte matrice qui jalonnent l’Uranie. Wroth reprend en effet directement certains noms de personnages ou de lieux (Urania ; l’Arcadie), mais dans la plupart des cas, elle adapte les dénominations, soit par des décrochages plus ou moins importants, soit par des combinaisons. Ainsi, les personnages de l’Uranie portent fréquemment des noms qui rappellent ceux de l’Arcadie : Belizia rappelle Basilius, tandis que Parselius évoque Palladius, ou Antissia, Artaxia et Artesia. Dans le récit de Wroth, il s’agit essentiellement de personnages secondaires qui ne font qu’une brève apparition – on peut d’ailleurs se demander si leur rôle n’est pas davantage de rappeler Sidney que d’occuper une fonction réelle dans la diégèse, afin de donner une « couleur sidnéienne » au récit. Les noms de certains personnages en rapprochent d’autres : si Pamphilia est presque la version féminine de Pamphilus, elle semble également réunir Pamela et Philoclea. Les associations sont beaucoup plus ambiguës en ce qui concerne Amphilanthus, dont le nom combine ceux de l’amant malheureux Antiphilus et du héros violemment mélancolique Amphialus. Amphilanthus est présenté comme un héros courtois, politique et militaire tout au long de la première partie de l’Uranie, mais l’onomastique joue doublement en sa défaveur car son nom fait allusion à sa duplicité8, tout en évoquant de tristes sires du roman de Sidney. Non sans un certain humour, Wroth nomme l’une des sœurs de son héroïne (qui, à bien des égards, fonctionne comme l’image de l’auteur dans le texte) Philistella, fusionnant ainsi les noms de Philip et de Stella9. On peut toutefois noter que Wroth est beaucoup moins friande de noms antiques que son oncle ; on ne trouve ni Didon, ni Hélène dans l’Uranie.
8 Le lecteur observe également des similitudes entre les noms de lieux, mais celles-ci sont beaucoup moins développées, sans doute parce que les personnages de l’Uranie voyagent sans cesse, contrairement à ceux de l’Arcadie qui restent relativement sédentaires. Si les héros de Sidney ne quittent pas la Grèce, ceux de Wroth voyagent dans toute l’Europe, du Danemark à la Roumanie en passant par la Grande-Bretagne, et même jusqu’à Constantinople. Wroth a poussé très loin ses recherches géographiques, en particulier pour les îles grecques : ainsi les noms de lieux sont-ils pour la plupart authentifiés10. L’Arcadie occupe néanmoins une place centrale dans l’Uranie, aussi bien pour les événements qui s’y produisent qu’au niveau symbolique11.
Imitation structurelle : l’inachèvement
9Wroth s’est très nettement inspirée de Sidney pour la composition de l’Uranie qui suit fidèlement plusieurs caractéristiques structurelles essentielles de l’Arcadie. L’élément le plus frappant est, sans nul doute, celui de l’inachèvement : en interrompant la première partie de l’Uranie au milieu d’une phrase, Wroth imite la fin tronquée de la seconde version de l’Arcadie12.
10Dans la dernière page de l’Uranie, Wroth esquisse une résolution heureuse des tourments amoureux des héros. Pamphilia et Amphilanthus sont réunis et oublient leurs différends, et le livre promet de se terminer sur une note heureuse. À la fin du dernier paragraphe, toutefois, l’impression de clôture est contredite par l’annonce de nouveaux voyages :
now all is finished, Pamphilia blessed as her thoughts, heart, and soule wished : Amphilanthus expreslesly contented, Polarchos truly happy, and joyfull againe ; this still continuing all living in pleasure, speech is of the German journey, Amphilanthus must goe, but intreates Pamphilia to goe as far as Italy with him, to visit the matchles Queen his mother, she consents, for what can she denye him ? all things are prepared for the journey, all now merry, contented, nothing amisse ; greife forsaken, sadnes cast off, Pamphilia is the Queene of all content ; Amphilanthus joying worthily in her ; And13
11Cette résolution quasi miraculeuse des aventures n’est pas sans rappeler la fin de The Old Arcadia, lorsqu’un Basilius ressuscité donne finalement sa bénédiction aux mariages des princes. Wroth reproduit la même structure en réunissant les personnages principaux dans le dernier paragraphe, à la fois pour rappeler leurs aventures précédentes et pour en annoncer de nouvelles. Toutefois, dans l’Uranie, la joie générale contraste fortement avec l’atmosphère de désespoir permanent qui caractérise le roman. L’auteur insiste sur le contraste (« nothing amisse ; greife forsaken, sadnes cast off ») afin de souligner la dimension conventionnelle de ce dénouement brutal; mais on peut également déceler dans cette insistance un certain déni du bonheur, que le dernier mot vient renforcer. La fin annoncée (de l’aveu du narrateur, « now all is finished ») est démentie par le « and » final, et annonce les malheurs à venir. L’inachèvement est souligné par le jeu de mots possible entre « and » et « end », disant l’impossibilité de terminer le roman.
12Surtout, cette fin tronquée renvoie nécessairement le lecteur à l’inachèvement de l’Arcadie de Sidney. Le geste de Wroth prend une importance encore plus forte si l’on suit la thèse de Laurence Plazenet, selon laquelle l’interruption de l’Arcadie était volontaire14. Comme en témoigne la seconde partie de l’Uranie, Wroth aurait eu tout le loisir de mettre un terme à la première partie. L’inachèvement délibéré de l’Uranie relève donc à la fois du clin d’œil et de la provocation, Wroth se revendiquant capable d’écrire un roman à la manière de Sidney15. Wroth a, en effet, répondu à l’appel que Sidney avait lancé à ses pairs à la fin de la première Arcadie:
But the solemnities of these marriages, with the Arcadian pastorals full of many comical adventures happening to those rural lovers […], may awake some other spirit to exercise his pen in that wherewith mine is already dulled16.
13L’Uranie n’est pas une suite de l’Arcadie à proprement parler, à la différence de A Continuation of Sir Philip Sidney’s Arcadia (1651) d’Anna Weamys, par exemple. Les personnages de Wroth ont leur identité propre et ne reprennent pas les histoires là où Sidney les avait laissées. Néanmoins, en faisant revivre l’imaginaire pastoral à travers le souvenir de l’Arcadie, Wroth poursuit bel et bien l’œuvre de Sidney.
De l’imitation maniériste
L’« imitation différentielle » : Urania, la même et l’autre
14 Wroth n’attend pas la fin de son texte pour inciter ses lecteurs à se rappeler celui de son illustre prédécesseur. Comme l’ont noté de nombreux critiques, la première page de l’Uranie évoque directement le début de la seconde Arcadie. The New Arcadia s’ouvre sur les lamentations des bergers Klaius et Strephon, affligés d’avoir perdu leur bien-aimée Urania. Au début du roman de Wroth, c’est Urania elle-même qui s’afflige car elle vient d’apprendre que les bergers qui l’ont élevée ne sont pas ses parents. La bergère absente du roman de Sidney apparaît d’emblée dans celui de Wroth, et en devient l’héroïne éponyme, bien que l’héroïne véritable du roman soit plutôt Pamphilia. Il y a là un signe fort en direction de l’héritage sidnéien. La réapparition d’Urania annonce un rapport complexe entre les deux œuvres. S’agit-il de la même Urania, dont le lecteur pourrait suivre les aventures après son départ d’Arcadie? Dans l’Arcadie, le lecteur ignore ce qui est arrivé à Urania, mais l’hypothèse d’une réapparition du personnage est rapidement démentie dans le roman de Wroth. Entre les deux textes, Urania n’est associée ni aux mêmes lieux ni aux mêmes personnages. Après avoir été enlevée à son père, le roi de Naples, Urania a grandi sur l’île de Pantalaria, qui ne figure pas dans le roman de Sidney. De même, aucun berger ne répond aux noms de Klaius ou de Strephon dans le roman de Wroth. Nous avons donc affaire à deux héroïnes différentes, mais qui portent le même nom. L’image de l’Urania absente de Sidney se superpose dans l’imaginaire du lecteur à celle du roman de Wroth. Bien que Wroth emprunte le nom de l’héroïne à son oncle, il semble difficile d’utiliser le terme d’imitation pour définir ce passage de l’absence à la présence. Il serait peut-être plus judicieux de parler d’une stratégie d’allusions. En outre, Urania abandonne ses habits de bergère pour ceux de la princesse qu’elle est en réalité au milieu du deuxième livre, comme si elle s’éloignait du personnage de Sidney17. Ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, l’héroïne symbolise la relation intrinsèque et mystérieuse qui unit l’Arcadie et l’Uranie, dans un jeu de miroirs et d’échos plutôt que simples points communs et différences.
15 Le rapport entre les deux œuvres devient encore plus complexe lorsqu’on y fait intervenir la première version de l’Arcadie. Wroth s’en inspire également, ou bien décèle les modifications qui apparaissent dans la seconde version18. Ainsi, la première page de The New Arcadia est annoncée à deux reprises dans The Old Arcadia, de manière très succincte au cours des troisièmes églogues, puis avec bien plus de détails au début des quatrièmes églogues :
as for Strephon and Klaius, they had lost their mistress, which put them into such extreme sorrows as they could scarcely abide the light of the day, much less the eyes of men19.
Strephon and Klaius would require a whole book to recount their sorrows – another place perchance will serve for the declaring of them. But in short two gentlemen they were both in love with one maid of that country named Urania, but indeed of far greater birth. For her sake they had both taken this trade of life, each knowing other’s love […]. But after many marvellous adventures, Urania never yielding better than hate for their love, upon a strange occasion had left the country, giving withal strait commandment to these two by writing that they should tarry in Arcadia until they heard from her. And now some months were passed that they had no newes of her20 ;
16Si Sidney a suivi son propre conseil et consacré un livre (du moins en partie) aux malheurs de Klaius et Strephon, Wroth a également pu y voir une incitation à consacrer un roman aux tourments de l’absente Urania.
17Pourtant, l’image esquissée de l’Urania de Sidney ne s’accorde guère avec la nature généreuse et compatissante du personnage de Wroth21. Les deux Urania ne semblent partager que la beauté et la tenue de bergère. Urania, ou plutôt, sa représentation picturale, est en effet décrite lors du passage de la galerie des beautés, lorsque des chevaliers défilent en brandissant le portrait de leur maîtresse :
[…] but the next picture made their mouths give place to their eyes.
It was of a young maid which sat pulling out a thorn out of a lamb’s foot, with her look so attentive upon it, as if that little foot could have been the circle of her thoughts; her apparel so poor, as it had nothing but the inside to adorn it ; a sheep-hook lying by her with a bottle upon it. But with all that poverty, beauty played the prince and commanded as many hearts as the greatest queen there did. Her beauty and her estate made her quickly to be known to be the fair shepherdess Urania […] 22
18Comparons ce passage avec la description initiale de la bergère dans l’Uranie :
Forth came the faire shepherdesse Urania (faire indeed; yet that farre too meane a title for her, who for beautie deserv’d the highest stile could be given by best knowing Judgements). Into the Meade she came, where usually shee drave her flocks to feede, whose leaping and wantonnesse shewed they were proud of such a Guide: But she, whose sad thoughts led her to another manner of spending her time, made her soone leave them, and follow her late begun custome; which was (while they delighted themselves) to sit under some shade, bewailing her misfortune23;
19Il est probable que Wroth ait eu Sidney en tête lorsqu’elle parle de « highest stile » et de « best knowing Judgements » ; le frontispice invite le lecteur à interpréter ces expressions de la sorte. Démontrant sa connaissance approfondie de l’Arcadie, Wroth va « piocher » dans différents passages la matière de son propre roman. Pour reprendre les termes de Jacques Bompaire, Wroth fait un bon usage de l’imitation car, à la différence d’une « mauvaise imitation » qui ne serait autre que le « plagiat », elle fait preuve d’ « éclectisme24 » en remaniant divers éléments du texte-source en vue d’une création nouvelle. Wroth invite elle-même ses lecteurs à comparer les deux passages, et si elle s’avoue incapable de soutenir la comparaison avec Sidney, cet aveu d’impuissance est orchestré comme un topos poétique. L’allitération en [f] semble dématérialiser l’adjectif « fair » tout au long de la phrase, dans un jeu d’échos qui affirme la seule pertinence du terme tout en le vidant de sa substance. Il n’y a pas de meilleur mot que « fair » pour décrire la beauté d’Urania ; et pourtant l’adjectif sonne creux, car le langage est insuffisant pour définir sa beauté. La répétition exacte de l’expression « the fair shepherdess Urania » dans les deux textes indique que ces mots sont indissociables : dans l’imaginaire du lecteur, Urania sera toujours une belle bergère – quitte à découvrir plus tard qu’elle est en réalité une princesse, douée de sa propre personnalité – parce que Sidney l’a inventée ainsi.
20Pourtant, chez Wroth, la mise en question de l’adjectif « fair » montre que depuis la publication de l’Arcadie, le mot a perdu de son sens, parce qu’il a été trop utilisé. Dans le texte de Sidney, la description attendue de la beauté d’Urania laisse la place à celle de son attitude dans le tableau, qui révèle sa vertu chrétienne : en retirant l’épine de la patte de l’agneau, Urania fait figure de Marie-Madeleine pansant les blessures du Christ. L’image suggère également celle de la couronne d’épines. Ainsi, le nom « beauty » répété deux fois, et l’adjectif synonyme « fair », suffisent à décrire l’apparence physique car celle-ci n’est pas essentielle. Chez Wroth, l’adjectif « fair » se passe même de « beauty », mais ce resserrement lexical va dans le sens contraire de l’instabilité sémantique. Le texte de Wroth se nourrit des associations qu’il établit avec celui de Sidney, mais par là-même, signale ses propres manques. Alors que Sidney rappelle les connotations religieuses de l’identité d’Urania, muse de la poésie chrétienne, l’héroïne de Wroth ne semble être rien d’autre qu’une bergère25. Wroth crée ainsi ce que Thomas Greene appelle une imitation « heuristique » :
Heuristic imitations come to us advertising their derivation from the subtexts they carry with them, but having done that, they proceed to distance themselves from the subtexts and force us to recognize the poetic distance traversed. […] the informed reader notes the allusion but he notes simultaneously the gulf in the language, in sensibility, in cultural context, in world view, and in moral style26.
21La démarche de Wroth correspond également à celle de l’« imitation différentielle » définie par Claude Gilbert-Dubois comme une caractéristique du maniérisme :
L’imitation différentielle, qui est le propre du maniérisme, consiste à situer l’imitateur sur un plan d’infériorité, et sous prétexte d’impossibilité à atteindre la perfection magistrale, à introduire des marques différentielles dans toutes les failles où elles peuvent s’introduire27.
22À travers l’imitation de son modèle littéraire plutôt que celle de la nature, Wroth a déjà rompu le lien entre l’art et la réalité qui définissait la mimesis pour l’artiste renaissant. En affirmant son incapacité à atteindre la perfection de son modèle, Wroth éloigne davantage son œuvre de la nature, et dans cet écart s’insère le doute qui, selon Gisèle Mathieu-Castellani, caractérise désormais la relation de l’artiste au monde:
La poésie maniériste joue de la relation d’incertitude qui s’établit non seulement entre l’œuvre et son lecteur, mais aussi entre l’écrivain et son discours, entre le sujet et le monde, dont il ne perçoit que des reflets mouvants28.
23 Le texte de Wroth est plein d’échos de son prédécesseur et ne prend tout son sens que dans un dialogue avec celui-ci. Dès la première page, Wroth cultive les ressemblances avec son modèle et s’en démarque à la fois. Entre les deux textes, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Wroth utilise le texte de Sidney pour montrer que celui-ci ne peut plus être lu de la même façon : une trentaine d’années après sa publication, les mots ont perdu de leur sens.
Les exécutions illusoires, ou la lecture au miroir
24Cette pratique de l’imitation apparaît clairement dans l’épisode de la fausse exécution de Meriana29. Le procédé est brièvement suggéré par Sidney dans la première version de l’Arcadie, lorsque le roi de Lydie organise la fausse exécution de l’amant de sa fille Erona, Antiphilus, afin de forcer celle-ci à épouser le roi de Perse Otanes :
[the king] lastly making a solemn execution to be done of another under the name of Antiphilus, whom he kept in prison. […] when she thought him dead, it was manifestly seen she sought all means, as well by poison as knife, to follow him30.
25Aucun détail n’est donné sur la manière dont cette mise en scène a été orchestrée. Dans la seconde version de l’Arcadie, Sidney développe le procédé au point de le répéter à deux reprises. Ce qui n’était qu’une ébauche dans The Old Arcadia devient un épisode central mettant en scène la mort des deux héroïnes, Pamela et Philoclea. L’épisode s’étend sur deux chapitres du livre III (chapitres 21 et 22)31. Une des grandes évolutions du passage entre les deux versions consiste en la scission narrative de la scène et de l’explication du procédé en deux moments et trois instances narratives distinctes. La scène oscille entre le récit du narrateur omniscient à la troisième personne et le point de vue subjectif de Zelmane, tandis que les explications sont fournies au discours direct par Philoclea. Le jeu entre ces instances narratives permet à Sidney de sélectionner scrupuleusement les informations, faisant intervenir la focalisation interne lorsque le narrateur omniscient risquerait de nous en dire trop. Alors que Sidney précisait d’emblée que la victime n’était pas celle qu’elle semblait être dans The Old Arcadia, il se garde bien de mettre le lecteur aussi explicitement dans la confidence dans The New Arcadia, ce qui lui permet, bien entendu, de créer le suspense. Zelmane et Philoclea spectatrices ne sont pas capables de reconnaître les signes qui leur permettraient de distinguer le vrai du faux32. Lors de l’exécution de Pamela, le narrateur se contente d’indiquer que Zelmane et Philoclea croient identifier instantanément la victime, mais il suggère discrètement que leur perception est erronée en mettant l’accent sur la confusion de leurs sens, « astonished senses » devant être compris dans son sens plein :
And by and by came in at one end of the hall, with about a dozen armed soldiers, a lady, led by a couple, with her hands bound before her: from above her eyes to her lips muffled with a fair handkerchief, but from her mouth to the shoulders all bare: and so was led on to a scaffold raised a good deal from the floor, and all covered with crimson velvet. But neither Zelmane nor Philoclea needed to be told who she was: for the apparel she ware made them too well assured that it was the admirable Pamela; whereunto the rare whiteness of her naked neck gave sufficient testimony to their astonished senses33.
26L’expression « too well assured » est ironique, puisqu’elle suggère que Zelmane et Philoclea se trompent, et indique le décalage entre le point de vue des personnages et celui du narrateur omniscient. Lors de l’exécution de Philoclea, le narrateur souligne davantage la fragilité des sens, leur caractère faillible : « The horribleness of the mischief was such as Pyrocles could not at first believe his own senses, but bent his woeful eyes to discern it better ; where too well he might see it was Philoclea’s self, having no veil but beauty over the face, which still appeared to be alive34 ». Pyroclès-Zelmane ne sait plus ce qu’il doit croire ; mais est-ce la faute de l’émotion, ou bien de sa vision nécessairement faillible ?
27L’auteur exploite de manière particulièrement frappante les potentialités visuelles de l’exécution, qui devient une véritable scène de théâtre à mesure que le spectateur est intégré au récit à travers le point de vue de Pyroclès travesti en Amazone. Depuis la chambre où elle est emprisonnée, Zelmane et Philoclea croient tout d’abord assister à l’exécution de Pamela, alors qu’il s’agit, en réalité, d’Artesia, comme l’explique la princesse : « And first she [Cecropia] gave to mine eyes the miserable spectacle of my sister’s (as I thought) death : but indeed it was not my sister ; it was only Artesia35 ». La décapitation est bien réelle, mais il y erreur sur la personne. Zelmane croit ensuite voir la tête tranchée de Philoclea posée sur une coupe d’or ; cette fois, Philoclea tient bien son propre rôle, mais un accessoire crée une illusion d’optique et la fait passer pour morte :
they assayed the like with my sister, by bringing me down under the scaffold and (making me thrust my head up through a hole they had made therein) they did put about my poor neck a dish of gold whereout they had beaten the bottom, so as having set blood in it, you saw how I played the part of death […]36
28Dans les deux cas, le personnage est la victime de ses sens, troublés par une mise en scène ingénieuse et perverse. Philoclea elle-même attire l’attention du lecteur sur la dimension théâtrale de l’événement (« how I played the part of death »). La représentation est redoublée, car au-delà de la mise en scène de la mort sur l’échafaud, érigée en spectacle sous le règne d’Élisabeth I, se joue une scène qui n’est pas vraie : soit la mort n’est pas réelle, soit la victime n’est pas celle que l’on croit. Dans un passage qui semble anticiper la violence des tragédies jacobéennes, la cruauté de Cecropia permet à Sidney de donner un tour sanglant à la dénonciation des apparences trompeuses que l’on retrouve tout au long du roman37.
29 Cette représentation d’une illusion dont le succès est particulièrement inquiétant révèle la vision maniériste de Sidney et s’accorde avec l’atmosphère de mélancolie de plus en plus profonde qui envahit progressivement le roman. Or, Wroth imite les fausses exécutions en reprenant à son compte à la fois les images et la structure de l’épisode. Le lecteur assiste au début du livre 1 à la fausse exécution de Meriana, princesse enlevée et séquestrée par le vil Clotorindus. Son amant, Rosindy, retrouve sa trace et commande à son armée d’assiéger la cité. De loin, il croit assister à la mort de Meriana, mise en scène grâce à un accessoire théâtral dont l’utilisation sera expliquée plus tard par Meriana elle-même38. Comme chez Sidney, le narrateur à la troisième personne nous fait partager la vision incomplète du personnage qui contemple la scène avec horreur :
Presently was shee out of Rosindys sight, and presently againe brought into it to his extreamest miserie, for onely that peerelesse head was seene of him, being set upon a pillar, and that pillar being upon the top of a Pallace, the haire hanging in such length and delicacie, as although it somewhat covered with the thicknesse of it, part of the face, yet was that, too sure a knowledge to Rosindy of her losse, making it appeare unto him, that none but that excellent Queene was mistrisse of that excellent haire39.
30Comme dans The New Arcadia, l’utilisation d’un accessoire de théâtre qui ne laisse apparaître que la tête du personnage provoque une illusion référentielle trop efficace. Si Wroth – comme Sidney avant elle – souligne la certitude de Rosindy pour mieux la critiquer (« too sure a knowledge », « none but that excellent Queene »), il n’empêche que le coup de théâtre qui clôt l’épisode est source à la fois du soulagement des personnages et de l’angoisse épistémologique du lecteur : comment Pyroclès et Rosindy ont-ils pu se tromper sur l’identité de leur bien-aimée ? Comment distinguer la mort de la vie quand la mise à mort n’est qu’une illusion ? Ainsi le dénouement heureux de l’épisode, topos du roman pastoral, peine-t-il à dissimuler l’inquiétude fondamentale qu’il représente. Comme l’écrit Claude Gilbert-Dubois, « à force de vivre par des images et par elles de faire vivre l’art, le maniérisme en arrive à mettre en doute l’essence des choses : si tout est muable, si tout se transforme à notre gré, où est le réel40? »
31En imitant l’épisode sidnéien, Wroth propose une lecture maniériste d’une œuvre déjà maniériste elle-même, dans un vertige d’illusions qui souligne l’aporie de la dénonciation des apparences trompeuses41. Dans le roman de Sidney, les fausses exécutions font d’Artesia une victime collatérale, car on ne saurait jouer impunément avec la vie et la mort. Chez Wroth, Meriana est à la fois victime et sauvée, morte et vivante, et s’il y a une victime, c’est Clotorindus, qui choisit de se donner la mort plutôt que de se rendre, comme s’il devait être puni d’avoir échoué au jeu des illusions. De plus, le lecteur familier de l’Arcadie bénéficie de sa connaissance préalable de l’épisode pour anticiper le dénouement. Puisque la fin est déjà connue, il n’y a pas de véritable suspense : ainsi la construction du suspense recherchée dans la scission de l’action et des explications n’est elle-même qu’illusoire. Tout le passage devient donc un jeu littéraire, qui en renvoyant à Sidney, provoque une perte des repères entre vrai et faux, sincérité et mise en scène, et qui pousse la dénonciation des illusions jusqu’à l’aporie. Avec l’Uranie, le roman pastoral bascule entièrement du côté sombre, sans possibilité de revenir en arrière.
32 The Countess of Montgomery’s Urania de Mary Wroth est bel et bien une « imitation » de The Countess of Pembroke’s Arcadia de Philip Sidney, mais une imitation personnelle, créative et désespérée ; selon les termes de Claude Gilbert-Dubois, une « imitation différentielle », à travers laquelle l’auteur cherche à créer son œuvre individuelle dans l’imitation d’un modèle perçu et présenté comme inaccessible. L’œuvre de Mary Wroth pousse à l’extrême l’esthétique pastorale, jusqu’à mettre en lumière tout le fonctionnement du genre, y compris peut-être, ses incohérences. Roman maniériste, l’Urania s’affirme dans la dénégation de soi, doutant de tout, y compris de lui-même : « L’énoncé est questionnant, problématisant toute assertion. C’est que le sujet lui-même doute, il doute de posséder la Vérité, ne trouvant dans le monde qui l’entoure que de confuses images, il doute de lui-même et de son identité, toujours mal assurée42 ». Mary Wroth cherche à donner un second souffle à l’œuvre de son oncle, près de trente ans après sa publication. Ce faisant, elle poursuit également l’œuvre de sa tante, qui avait supervisé la seconde édition de l’Arcadie, au point que l’éditeur Hugh Sanford écrivit dans l’avant-propos : « it is now by more than one interest The Countess of Pembrokes Arcadia ; done, as it was, for her, and as it is, by her. » Mary Wroth a peut-être considéré que la destinée posthume de l’œuvre de son oncle relevait de sa responsabilité, après la mort de sa tante survenue l’année même où l’Urania fut publiée. En imitant Sidney, Mary Wroth contribue à en faire un « classique », un auteur digne d’être imité43. Grâce au roman de sa nièce, l’œuvre de Sidney resterait donc une affaire de famille.
Notes
1 The Countesse of Montgomeries Urania, Londres, 1621, frontispice.
2 Selon Josephine Roberts, la filiation entre Sidney et Wroth est délibérément mise en scène à l’intérieur du roman : « Wroth suggests the importance of her uncle by casting him as the King of Pamphilia, who chooses his niece as his heir (145. 27). Wroth thus self-consciously defines and explores her role as successor to her uncle. » Voir Josephine Roberts (éd.), The First Part of the Countess of Montgomery’s Urania, Tempe, Arizona, 2005 [1995], Introduction, « Personal Contexts », p. xcvi.
3 Il y a beaucoup à dire sur l’influence que Robert et Mary Sidney ont exercée sur l’écriture de Wroth. Pour l’influence spécifique de Mary Sidney sur sa nièce, voir l’article de Margaret P. Hannay, « ‘Your vertuous and learned Aunt’ : The Countess of Pembroke as Mentor to Mary Wroth », in Naomi J. Miller, et Gary Waller (eds.), Reading Mary Wroth : Representing Alternatives in Early Modern England, Knoxville, University of Tennessee Press, 1991, p. 15-34. Hannay étudie à la fois l’influence de Mary et Robert Sidney dans sa biographie de Wroth, Mary Sidney, Lady Wroth, Farnham, Ashgate, 2010, p. 38-39. Sur le cercle Sidney/Herbert, voir Gary Waller, The Sidney Family Romance, Detroit, Wayne State UP, 1993.
4 Edward Philips, Theatrum Poetarum, Londres, 1675, p. 260.
5 Gavin Alexander, Writing After Sidney : The Literary Response to Sir Philip Sidney, 1586-1640, Oxford, OUP, 2006, p. 287, p. 290.
6 Laurence Plazenet, L’Ebahissement et la délectation : Réception et poétiques comparées du roman grec en France et en Angleterre aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Honoré Champion, 1997, p. 16.
7 Christine Sukic, « ‘Oft turning others’ leaves’ : la contrainte de l’imitatio dans les sonnets anglais des XVIe et XVIIe siècles », Revue Interdisciplinaire "Textes & contextes" [en ligne], Numéro 4 : "Varia 2009", 5 janvier 2010. Disponible sur Internet : http://revuesshs.u-bourgogne.fr/textes&contextes/document.php?id=946 ISSN 1961-991X (consulté le 22/05/12), p. 1. Au début de la Poétique, Aristote écrit en effet « l’épopée, et la poésie tragique comme aussi l’art du poète de dithyrambe et pour la plus grande partie, celui du joueur de flûte ou de cithare, se trouvent tous être, d’une manière générale, des imitations » : Aristote, La Poétique, Paris, Livre de Poche, 1990, p. 85.
8 Amphilanthus signifie « amant de deux femmes » : « [Amphilanthus’s ]name signifies ‘the lover of two’ », comme l’indique Josephine Roberts (éd.), The Poems of Lady Mary Wroth, Baton Rouge, Louisiana State UP, p. 42.
9 L’une des jeunes sœurs de Mary Wroth avait d’ailleurs été nommée Philip en hommage à son oncle ; cf. Margaret P. Hannay, Mary Sidney, Lady Wroth, Farnham, Ashgate, 2010, p. 37-38.
10 Josephine Roberts (éd.), The First Part of the Countess of Montgomery’s Urania, op. cit., Introduction, « Political Contexts », p. xliv : « Although many of the names of countries and cities will be unfamiliar to a twentieth-century reader, it is possible to identify nearly all the locations on Mercator’s 1611 maps of Asia and Greece. » (voir également la note 16 de cette même page).
11 C’est notamment en Arcadie que Pamphilia grave des vers sur le tronc d’un arbre ; c’est également en Arcadie que Leonius revêt l’apparence de la nymphe Leonia.
12 La première édition de l’Arcadie, dirigée par Fulke Greville et publiée en 1590, s’achève sur la phrase suivante « Whereat ashamed, (as having never before done so much in his life) », à laquelle s’ajoutent une triple astérisque et une illustration qui soulignent visuellement l’incomplétude du récit. Voir Philip Sidney, The Countess of Pembrokes Arcadia, Londres,1590, dernière page. Pour son édition « concurrente », publiée en 1593, Mary Sidney a choisi de compléter la seconde Arcadie par les deux premiers livres de la première, et d’y joindre d’autres écrits de son frère, notamment Astrophil and Stella. De même, le roman de Wroth est directement suivi de la suite de sonnets Pamphilia to Amphilanthus, qui prolonge et complète le récit. Il est possible que Wroth ait ainsi entendu rendre hommage à l’édition de l’Arcadie par sa tante.
13 Josephine Roberts (éd.), The First Part of the Countess of Montgomery’s Urania, op. cit., p. 661.
14 Laurence Plazenet, « Mélancolie et inachèvement de la pastorale », Etudes Epistémè, n°3,2003,p. 23-29.
15 La seconde partie de l’Uranie se termine également au milieu d’une phrase : « Amphilanthus wa[s] extreamly » ; voir Josephine Roberts, Susan Gossett et Janel Mueller (éd.), The Second Part of the Countess of Montgomery’s Urania, Tempe, Arizona, 1999, p. 418.
16 Katherine Duncan-Jones (éd.), The Old Arcadia, Oxford, OUP, p. 361.
17 Josephine Roberts(éd.), The First Part of the Countess of Montgomery’s Urania, op. cit., p. 231.
18 Que celles-ci soient le fruit de Mary ou de Philip Sidney n’a qu’une importance relative pour notre propos. En effet, Mary Wroth n’a jamais connu son oncle et se réfère davantage à sa figure littéraire qu’à sa personne. En outre, l’Uranie lui permet de rendre hommage à sa tante (à travers le personnage de la reine de Naples, poétesse excellente selon les termes du roman) ; il est donc possible qu’elle rende également hommage à l’édition de l’Arcadie établie par Mary Sidney en 1593, qui sera rééditée tout au long du dix-septième siècle.
19 Katherine Duncan-Jones (éd.), op. cit., p. 213.
20 Ibid., p. 284-285. S’ensuit un long poème dialogué.
21 Urania passe en effet la plus grande partie du roman à recueillir les confessions de ses compagnes victimes d’amours malheureuses.
22 Maurice Evans (éd.), The Countess of Pembrole’s Arcadia, London, Penguin, 1977, p. 160-161.
23 Josephine Roberts (éd.), The First Part of the Countess of Montgomery’s Urania, op. cit., p. 1.
24 Voir Jacques Bompaire, Lucien Écrivain : Imitation et création, Paris, Les Belles Lettres, 2000 [1958], p. 82-83.
25 Pour une lecture chrétienne et néoplatoniste d’Urania, voir l’article de Katherine Duncan-Jones, « Sidney’s Urania », The Review of English Studies, New Series, vol. 17, n°66, (May, 1966), p. 123-132, p. 127. Le rôle d’Urania comme muse de la poésie chrétienne dans l’Angleterre de l’époque est souligné par la publication du recueil de poésie Austins Urania, or the heavenly muse de Samuel Austin (Londres, 1629).
26 Thomas M. Greene, The Light in Troy : Imitation and Discovery in Renaissance Poetry, New Haven, Londres, Yale UP, 1982, p. 39.
27 Claude Gilbert-Dubois, La Poésie au XVIe siècle, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 1999 [1989], p. 50.
28 Gisèle Mathieu-Castellani, « Vision baroque, vision maniériste », Etudes Epistémè, n°9, 2006, p. 45.
29 Josephine Roberts(éd.), The First Part of the Countess of Montgomery’s Urania, op. cit., p. 158.
30 Katherine Duncan-Jones (éd.), op. cit., p. 60.
31 Maurice Evans (éd.), The Countess of Pembroke’s Arcadia, p. 557-563 pour les exécutions, et p. 568-569 pour les explications de Philoclea à Zelmane.
32 On trouve ici une préfiguration de ce que Ian Watt nomme le « delayed decoding » : « This narrative device may be called delayed decoding, since it combines the forward temporal progression of the mind, as it receives messages from the outside world, with the much slower reflexive process of making out their meaning ». Voir son Conrad in the Nineteenth Century, Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1979, p. 175.
33 Maurice Evans (ed.), op. cit., p. 557.
34 Ibid., p. 563.
35 Ibid., p. 568.
36 Ibid., p. 569.
37 Cette dénonciation apparaît notamment à travers les identités multiples des princes, Pyroclès/Daiphantus/Zelmane et Musidorus/Palladius/Dorus.
38 Josephine Roberts (éd.), The First Part of the Countess of Montgomery’s Urania, op. cit., p. 160 : « The Queene Meriana, and Rosindy in this content, the counterfeting was found, and the device discover’d, which was told by a servant of Clotorindus used in the businesse, which was, that pillar had bin made and set there by her Father, a man excellently graced in all arts, and especially in prospectives, to try his skill he made this, which though so big, as one might stand in it, yet so farr, it seemd but as a small piller, of purpose made to hold a head uppon, and so had they rais’d her within it, as no more appeard above it then her chinne comming over it, it was as if stucke into her throat the just disstance and art in the making being such and so excellent as none could but have thought it had beene her head cut off, besides the greife and her owne complection naturally a little pale, made her seeme more then usually, and so nearer death, the intent being to make Rosindy beleeve shee was dead, which conceit, he hoped would leade him thence. »
39 Josephine Roberts (éd.), The First Part of the Countess of Montgomery’s Urania, op. cit., p. 158.
40 Claude Gilbert-Dubois, Le Maniérisme, Paris, PUF, 1979, p. 30.
41 Sur Sidney maniériste, voir Christine Sukic, art. cit., p. 6.
42 Gisèle Matthieu-Castellani, op. cit., p. 4.
43 Claude Gilbert-Dubois définit l’œuvre classique comme celle qui « sert de modèle établi » dans Le Baroque en France et en Europe, Paris, PUF, 1995, p. 30.