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« Dressed Resembling A Girl ». Des « boy actors » au drag : parenté ou illusion rétrospective ?
Par Oliver Norman
Publication en ligne le 03 février 2024
Résumé
Drag seems to always be drawn back to a Shakespearean origin. According to a folkloric etymology, it derives from “Dressed Resembling A Girl”, stage direction supposedly found in the Bard’s works. Drag may share a taste for a dialectic of appearance and reality with Renaissance theatre, and for a subversion of expectations. My work will attempt to show that we cannot take drag for a simple repetition of Hamlet’s famous musings on “seems”. Even if both the theatre and drag share in ties to performing, to appearance or even pageantry, we must acknowledge that drag grounds itself in an oppressed and minority political scene and cannot be directly transposed on the absence of women on the Elizabethan stage. Drawing upon concepts from Newton, Butler and Irigaray, I will attempt to think drag as mimicry, a performance of norms that aren’t necessarily gender. In so doing, I can account for the great diversity of forms of drag: not only queens, but also kings, clowns, creatures, and even more.
Le drag semble toujours déjà être rattaché à une origine shakespearienne. Une étymologie folklorique renvoie le terme à « Dressed Resembling A Girl », didascalie qui se trouverait dans les textes du Barde. Avec le théâtre de la Renaissance, le drag partage un goût certain pour la dialectique de l’apparence et de la réalité, de la subversion des attentes etc. Ce travail s’efforcera toutefois de montrer que nous ne pouvons pas faire comme si le drag n’était qu’une répétition des célèbres réflexions de Hamlet sur « seems ». Quand bien même, les pratiques partagent un lien avec la performance, avec l’apparence voire l’apparat, il faut reconnaître que le drag s’ancre dans une communauté politiquement opprimée, minoritaire, et ne peut se transposer aussi directement sur l’absence de femmes sur la scène élisabéthaine. Puisant dans la conceptualité tantôt de Newton, Butler ou encore Irigaray, nous tenterons alors de produire une pensée du drag comme mimétisme, qui performe des normes qui ne sont pas nécessairement genrées. Ce faisant nous pouvons rendre raison de la grande diversité des formes de drag : non seulement des queens, mais aussi des kings, clowns, créatures et plus encore.
Mots-Clés
drag, baroque, gender, mimicry, performance.
drag, baroque, genre, mimétisme, performance.
Table des matières
Article au format PDF
« Dressed Resembling A Girl ». Des « boy actors » au drag : parenté ou illusion rétrospective ? (version PDF) (application/pdf – 740k)
Texte intégral
La nature théâtrale du drag : une évidence ?
1Une étymologie folklorique attribue au drag une origine shakespearienne. Le drag proviendrait alors d’un acronyme employé par Shakespeare pour renvoyer à ses « boy actors » habillés en femmes sur scène : « Dressed Resembling A Girl ». Une telle étymologie est souvent reprise, mais peu discutée, que ce soit quant à la véracité historique de son origine ou à la pertinence théorique de son application. Par exemple :
Cristiano Rosa (2019) points out, the term drag evolved from an acronym [...]. In this case, the term comes from the expression ‘Dressed Resembling a Girl’ that was found in a footnote from one of William Shakespeare’s scripts, at the end of the XVIth century1.
2Sans aucun appui textuel précis dans le corpus shakespearien, l’acronyme est pris comme doté d’une existence indubitable. Tout se fait comme si le drag et les « boy actors » de la période élisabéthaine participaient d’une même essence qui trouverait ses racines dans l’absence de femmes sur la scène du théâtre urbain. En ce sens, la performance drag ne serait alors que la reconduction, sur la scène du monde contemporain, d’un geste théâtral bien plus ancien. Skeldon et Lashua, quant à eux, se montrent davantage nuancés lorsqu’ils évoquent l’étymologie en précisant « Other word origins have been suggested such ‘DRessed As Girl’ or ‘Dressed Resembling A Girl;’ however, there is little consensus on when the term was first used to describe female/male impersonation2 ». Les auteurs mettent alors en avant un problème fondamental de toute recherche sur le drag : sa nature historique incertaine, et son étymologie vague. En effet, quiconque souhaite s’y intéresser se heurte à la difficulté de connaître l’origine du phénomène et, partant, de proposer une investigation généalogique de ses fondements sociaux, philosophiques, dramaturgiques etc. Il demeure que, si l’incertitude règne, nous ne pouvons prendre pour acquis le récit folklorique : ne pourrait-on pas être face à une forme de réécriture de l’histoire d’une forme artistique, voire de plusieurs car l’équivalence placée entre le drag et les « boy actors » ne rend-il pas possible une mécompréhension du rôle de ces mêmes jeunes acteurs ? Penser les « boy actors » à l’aune du drag risque de faire penser que le travestissement au théâtre élisabéthain et jacobéen était une affaire de performance de genre, de revendication politique, en somme d’une radicalité dont ces rôles n’étaient pas dotés pour les dramaturges et publics de leur propre époque.
3Le problème resurgit lorsque nous ne souhaitons pas analyser les « boy actors » mais les performances drag contemporaines : à faire du drag la continuité d’un geste historique, ne risque-t-on pas de banaliser ce qui se donne comme radicalité dans le monde contemporain ? Le drag ne serait dès lors qu’une forme parmi d’autres d’expression artistique sans lien nécessaire à une quelconque communauté ou à des problèmes sociaux particuliers de notre monde occidental contemporain.
4Or, si l’étymologie du terme « drag » semble nébuleuse, son inscription dans les arts dramatiques l’est bien moins pour les chercheurs. Skeldon et Lashua, quand bien même leur position sur l’étymologie est nuancée, peuvent présenter la nature proprement théâtrale du drag comme une nouvelle évidence qui n’a pas à être remise en cause tant elle ferait consensus au sein de la communauté intellectuelle :
Drag has deep roots in theatre. Romaya (2012) argues that drag, in distant Western history, originated in ancient Greece where young men would play women’s roles when performing theatrical tragedies. Schacht and Underwood (2004) argue that prohibitions against women performing in theatre in the XVIIth century paved the way for drag as a profession. In Elizabethan England, women were barred from playing female roles and therefore, men or boys would act as women in plays (i.e., in Shakespearean theatre). Female impersonation became an institutionalized part of English theatre. […] While there is ambiguity around the term drag and what it means to be a drag performer, there is consensus that drag is centred on the illusions of theatrical performance3.
5Le drag serait alors, unanimement conçu comme une continuité historique de pratiques théâtrales et un jeu d’illusion. Au-delà de la simple question de savoir si les « boy actors » faisaient du drag, ce qui nous intéresse alors est de comprendre la logique des performances drag et théâtrales. En effet, si l’origine historique et historiographique semble douteuse, peut-on souscrire à une parenté de fondement ? En d’autres termes, est-il possible que sur la scène du théâtre et la scène des performances drag se joue la même pièce ? Pour soutenir cela, il nous semble que le premier lieu à interroger doit être à cheval entre la pratique et le thématique : il faut interroger la présence dans le théâtre élisabéthain et dans le drag d’une réflexion sur l’illusion ou une mise en scène de l’illusion – si nous tenons à ne pas prêter d’emblée aux propos d’un dramaturge, aux jeux d’acteurs et aux performances drag une rationalité consciente, comme si ces praticiens fussent philosophes. Or, l’illusion est indéniablement présente sur la scène des XVIe et XVIIe siècles. Le baroque marque de son sceau le théâtre en insistant sur ce que Yves Bonnefoy peut appeler un « réalisme passionnel4 », cette forme si particulière de réalisme qui entend montrer les passions, les parts d’ombre, tout en manifestant les illusions du réel lui-même. Le baroque insiste sur le paradoxe propre du réel : illusion et vérité, conscience de soi et aveuglement se côtoient dans un bal où l’un ne cesse d’échanger avec l’autre5. Ainsi l’illusion présuppose un réel avec lequel il joue et dont il démasque la réalité illusoire. Une dialectique s’opère dans laquelle tantôt le réel bascule dans le rêve et le rêve s’impose comme réalité.
6Pour bien cerner toute l’étendue de ces illusions théâtrales nous allons les interroger à partir d’un lieu exemplaire : Hamlet. En nous installant à même le texte shakespearien nous pourrons alors mettre en avant la présence du thème de l’illusion et du réel tout en l’inscrivant à même la matrice supposée du drag.
I. L’illusion sociale : le théâtre du monde et la scène drag
« Seems, madam? Nay, it is. I know not ‘seems’» (I.2.79) : l’illusion sur scène dans Hamlet
7Il semblerait alors que nous nous tiendrions dans le monde de l’artifice, du non-vrai, du faire-semblant qui serait le propre du milieu théâtral. Le drag ne serait-ce pas simplement le fait de se mettre en maquillage afin de jouer un personnage qui se donne sur une scène contemporaine, de la même manière que le « boy actor » devait se travestir pour jouer un personnage féminin dans les pièces avant l’accès des femmes à la scène ? Le drag comme le « boy acting » seraient alors une affaire de masque, de porter un artifice qui, bien loin de nous conduire vers une quelconque expérience du vrai, doivent nous présenter une verisimilitude capable de nous faire croire que le personnage sur scène est une femme, que le drag performer est une femme et non un homme sous son maquillage (dans le cas d’une drag queen AMAB6). Lieu propre du paraître et de l’ostentation, le théâtre comme le drag serait alors le monde du faux-semblant, du se-faire-passer-pour qui s’opposerait à une identité réelle, innée. Ne faudrait-il pas alors chercher dans les discours sur les apparences dans le théâtre élisabéthain et jacobéen une grille de lecture pour appréhender la nature de toute performance drag ?
8Nous pensons alors à la réponse incisive de Hamlet à sa mère lorsqu’il énonce à l’acte I, scène 2 de la pièce éponyme :
Gertrude. Thou know’st ‘tis common: all that lives must die,
Passing through nature to eternity.
Hamlet. Ay, madam, it is common.
Gertrude. If it be,
Why seems it so particular with thee?
Hamlet. Seems, madam? nay, it is, I know not ‘seems.’
‘Tis not alone my inky cloak, good mother,
Nor customary suits of solemn black,
Nor windy suspiration of forc’d breath,
No, nor the fruitful river in the eye,
Nor the dejected havior of the visage,
Together with all forms, moods, shapes of grief,
That can denote me truly. These indeed seem,
For they are actions that a man might play;
But I have that within which passes show,
These but the trappings and the suits of woe (I.2.74-89).
9L’apparence de deuil est toujours possible à travers une mise en scène de soi, nous pouvons paraître comme affectés par le décès d’un proche en adoptant un rictus triste, en modulant sa voix pour qu’elle casse, en portant des tenues socialement appropriées pour l’occasion d’un enterrement. Le costume noir, accoutrement culturellement associé au deuil, suffirait pour signifier qu’en dessous d’une manifestation extérieure se trouve logée une peine véritable. Mais tout code culturel peut se voir subvertir. Si la condition suffisante du deuil est le port de certaines tenues, alors l’endeuillé n’est-il pas tel un acteur dans un théâtre social ? Ne peut-on pas douter de sa sincérité, mettre en avant le hiatus entre ce qu’il présente et ce qu’il ressent ? Il y aurait alors deux modes ontologiques qui se disputent dans le discours de Hamlet : l’apparence ou l’illusion, monde du faire-voir, et l’être qui lui est si cher qu’il revient dans le célèbre soliloque « Être ou n’être pas ». L’épanadiplose conférant sa structure circulaire du vers « [s]eems, madam? nay, it is, I know not ‘seems’ » semble appuyer une telle distinction ontologique, l’apparence est ce qui borde le monde social, comme ce qui borde le vers ; mais l’être est le noyau autour duquel cette apparence gravite. Ce qui est véritablement peut se passer de l’apparence, n’a pas besoin de se vêtir en noir pour être.
10Non seulement le deuil de Hamlet, mais aussi sa folie sont des objets de la dichotomie paraître/être. Il tente de paraître fou, il joue le fou selon l’analyse de Jeffrey Wilson, pour influencer le comportement des autres personnages. Il se fait passer pour sans pourtant être : « what is it that brings about Hamlet’s change in behaviour, his shift from a man who is to one who seems7? ». La folie de Halmet est feinte, est un faire-semblant qui introduit une rupture au sein d’une œuvre qui ouvre sur ce qui semble être une répudiation de l’apparence séductrice et politiquement motivée. La pièce de Hamlet elle-même serait-elle donc, à l’image de ce vers du premier acte, un drame qui met en scène la tension entre deux pôles métaphysiquement distincts, à savoir entre l’apparence et l’être ? Ou bien plutôt ne doit-on pas voir dans Hamlet le passage de l’apparence à l’apparat, du paraître au faire-semblant, de l’être à l’acting ? Or, Wilson nous propose aussi une analyse de ce passage du paraître rejeté au paraître accueilli en distinguant entre le mode d’être de la philosophie et de la pièce de théâtre : le théâtre porte sur le faire, la philosophie sur le savoir8. Qu’Hamlet abandonne sa quête contre les apparences relève donc non pas tant d’un rejet de la dichotomie philosophique mais d’un changement de perspective. Il commence à tenir un discours méta-théâtral en acte II, scène 2 : « after his crack at philosophy, the very next line is “There are the players” (II.2.370), and it is here that Shakespeare revealed that Hamlet is a playgoer, a playwright, an actor, a director, and a literary theorist9 ». De philosophe, attentif à la nature du réel, Hamlet est devenu (ou s’est révélé comme) maître acteur et maître de subterfuge, vivant dans le monde de l’illusion qui est attendu par la cour d’Elseneur. Il s’inscrit de fait au sein d’une vaste scène du monde et, non seulement se plie à ses exigences (à savoir vivre selon l’apparence), mais les retourne contre ce même monde de l’apparence pour faire éclater le réel au cœur du drame : la faute de Claudius. Hamlet est un être subversif10 qui vise à jouer avec les normes de la société dans laquelle il se trouve pour mieux en manifester l’artificialité. Il passe d’une considération de la nature du réel à la mise en scène de soi-même au retour du réel lui-même. La circularité du vers que nous nous donnons à penser se confirme alors au niveau du structure dramatique de la pièce : nous passons de la semblance au réel pour revenir à l’apparence sous une nouvelle modalité. Aiguisons cette affirmation : l’apparence sous sa nouvelle modalité, le jeu de fou de Hamlet, est-ce véritablement une nouvelle modalité ? Folie avec méthode, acteur à la méthode, Hamlet ne s’inspire-t-il pas du faux-semblant qu’il constate à la cour pour le reproduire avec une technique infaillible. Le passage des « suits of solemn black » à « to be or not to be » (III.1.64) n’est pas une nouvelle forme d’apparence, une feinte qui aurait quelque chose de novateur. Il n’y a pas de différence de nature mais une différence de degré dans le jeu proposé : Hamlet joue mieux que les courtisans. Et dans ce meilleur jeu se constitue une nouvelle conséquence qui ne paraissait pas avec l’apparat des courtisans. Bien loin de simplement séduire le pouvoir, de veiller à obtenir des honneurs, Hamlet, par son jeu et par la lucidité par rapport à son propre jeu arrive à faire éclater le vrai, à rompre la société d’apparence, retirant de Claudius son aveu :
O, my offence is rank it smells to heaven;
It hath the primal eldest curse upon’t,
A brother’s murder (III.3.40-43).
11Mais, cet aveu, ne l’oublions pas, n’est pas manifesté au dehors, dans la société elle-même, il est prononcé dans un moment de recueillement intime devant Dieu, moment interrompu certes par Hamlet, mais qui n’est pas destiné à se savoir. Au fond, l’apparence reprend avec le savoir du réel qui s’y cache. Encore une fois notre vers revient puisque nous passons d’un Hamlet qui pense l’être à celui qui joue de l’apparence pour faire éclater l’être à celui qui sait l’être et pourtant qui doit observer le jeu des apparences au sein de la cour.
12Il y a alors une dialectique de l’être et du paraître qui se manifeste à travers le drame. L’apparence qui niait l’être vient être nié à son tour. Mais bien loin d’une relève de type hégélienne où nous aurions ici la fin de la dialectique, nous nous trouvons davantage dans la vision dialectique d’un Jean Wahl pour qui le troisième terme n’advient jamais. La dialectique devient oscillation constante des contraires passant l’un dans l’autre, coexistant au sein d’une paradoxologie du réel11. L’apparence vit aux côtés de l’être.
13Le premier point est ainsi posé : si le drag participe d’une compréhension proprement théâtrale de l’illusion, et non seulement d’une reprise d’une pratique de travestissement ou de « cross-dressing », ne faut-il pas que ce drag ait, comme le théâtre de Shakespeare, quelque chose à nous dire sur l’artifice du monde social dans lequel il se donne à voir ?
De la performance à la performativité : la dialectique vérité-illusion dans l’art drag jusqu’aux années 1990
14Si la pièce de Shakespeare nous permet de mettre en doute la sincérité de la cour d’Elsineur, manifestant le faux au cœur d’une situation de deuil, force est de constater que les approches théoriques du drag mettent aussi l’accent sur la question de l’artifice social. Or, si nous interrogeons l’artifice social dans le drag, ce n’est plus la question de la cour et des enjeux de pouvoir qui peuvent s’y nouer mais bien plutôt des normes de genre et de leur supposée naturalité. Le couple qui s’interroge n’est donc plus simplement l’apparaître par rapport à l’être mais la naturalité ou l’artificialité de nos conceptions sociales du genre. Cette insistance sur le jeu qui fait apparaître jouant sur la lisière entre être, faire et paraître n’est-ce pas justement ce que Judith Butler développe dans sa conception de la performativité du genre ? Du moins dans Gender Trouble, Butler se tient-elle à cette frontière en insistant sur l’heureuse proximité entre la performativité et la performance :
In what senses, then, is gender an act? As in other ritual social dramas, the action of gender requires a performance that is repeated. This repetition is at once a reenactment and reexperiencing of a set of meanings already socially established; and it is the mundane and ritualized form of their legitimation12.
15Le genre se présente alors comme la répétition d’un certain nombre de discours, et d’actes de discours, portant sur le féminin ou le masculin, le devoir-être de la femme ou de l’homme. En d’autres termes, le genre ci-présenté, viendrait à dire une normativité sociale qui s’exprime à travers un certain nombre de comportements attendus de la part de celles et ceux que nous reconnaissons comme femme ou comme homme. Nous serions alors face à un genre compris comme ensemble de rôles, de performances qui obéissent à un script, à des règles qui encadrent le paraître. Nous ne serions alors pas loin de penser le genre comme Erving Goffman décrit le monde social dans The Presentation of Self in Everyday Life, parlant de « front » que l’« acteur » social aurait à endosser, à jouer (« enactment13 ») au sein d’une vaste entreprise de contrôle (ou tentative de contrôle) de son apparence au sein de la société, de sa conformité avec les normes sociales14. Le drag ne serait-il alors que la performance d’un rôle social déterminé ? Ne serait-il que l’apparence manifestant sa propre artificialité, sa propre fausseté par rapport à un être plus profond ? Le drag serait-il un apparat, une apparence se montrant comme telle et témoignant de son inadéquation par rapport à une essence ?
16Or, si tel est le cas, le drag ne serait-il pas conforme à la définition du jeu des « boy actors » sur la scène elisabéthaine que met en avant Rachele Svetlana Bassan, à savoir que « The artifice is pointed out as such, but this further reinforces the regulative frame of comedy. In other words, the theatrical performance disrupts the ordinary relationship between appearance and reality15 » ?
Le drag comme esthétique « camp » ? Artificialité des normes dans une approche théâtrale
Fig. 1 : Susan Walsh (gauche), Divine (centre), et Cookie Mueller (droite) dans Female Trouble de John Waters (1974).
Crédits : Dreamland.
17Cette nature visible de l’artifice drag, ou la nature d’apparat du drag, n’est-ce pas ce que nous pourrions tirer d’une lecture hâtive des textes de Butler ? Butler, puisant dans la culture cinématographique américaine plutôt que le théâtre anglais, peut ainsi se demander dans la préface à l’édition de 1990 de Gender Trouble :
Without a doubt, feminism continues to require its own forms of serious play. Female Trouble is also the title of the John Waters film that features Divine, the hero/heroine of Hairspray as well, whose impersonation of women implicitly suggests that gender is a kind of persistent impersonation that passes as the real. Her/his performance destabilizes the very distinctions between the natural and the artificial, depth and surface, inner and outer through which discourse about genders almost always operates. Is drag the imitation of gender, or does it dramatize the signifying gestures through which gender itself is established? Does being female constitute a “natural fact” or a cultural performance, or is “naturalness” constituted through discursively constrained performative acts that produce the body through and within the categories of sex? Divine notwithstanding, gender practices within gay and lesbian cultures often thematize “the natural” in parodic contexts that bring into relief the performative construction of an original and true sex. What other foundational categories of identity — the binary of sex, gender, and the body — can be shown as productions that create the effect of the natural, the original, and the inevitable16?
18Bien loin de constituer simplement un spectacle présent pour une consommation culturelle, le drag, lorsqu’il appartient au monde LGBTQIA+ constitue une mise en question des normes. Le drag LGBTQIA+ « disrupts the ordinary relationship between appearance and reality17 » comme le « boy acting » le faisait pour Bassan. Mais ici, force est de constater que la restriction est de mise dans la mesure où Butler distingue entre deux formes de drag, formes que nous nous devons de mettre en lien avec les pratiques théâtrales. Le drag n’est pas seulement une forme d’art LGBTQIA+ mais se trouve d’emblée pris dans une matrice hétérosexuelle, se présente, dans le XXe siècle comme sommet de l’art hétérosexuel : « Thus, there are forms of drag that heterosexual culture produces for itself-we might think of Julie Andrews in Victor, Victoria or Dustin Hoffmann in Tootsie or Jack Lemmon in Some Like It Hot where the anxiety over a possible homosexual consequence is both produced and deflected within the narrative trajectory of the films18 ». De la même manière que sur la scène élisabéthaine et jacobéenne, le « cross-dressing » n’était pas réservé à un public LGBTQIA+ mais s’adressait à l’ensemble des spectateurs et des acteurs, de même dans les films cités par Butler, le drag ne parait pas inscrit au sein d’une communauté minoritaire mais comme le divertissement de la majorité. Ce divertissement sape la mise en question propre au drag LGBTQIA+. Plus qu’un « gimmick » pour produire un effet comique ou dramatique, le travestissement des personnages sert à renfoncer l’ironie dramatique d’un cinéma où le spectateur sait à l’avance que les relations entre les personnages sont possibles ou non. Victor, Victoria en est un exemple paradigmatique. Le « cross-dressing » à l’œuvre dans le film, digne des personnages du théâtre élisabéthain, est double. Julie Andrews joue une femme (Victoria) qui se travesti en homme (Victor) afin de se présenter sur scène en tant que « female impersonator » (Victoria à nouveau). Le réalisateur, Blake Edwards met en scène un jeu d’illusion et de réalité qui pourrait interroger sur la nature même du genre, mais finit par imaginer le « cross-dressing » comme stratagème pour trouver un emploi. Si tout drag n’est que l’itération de la mise en scène d’Edwards, alors nous pourrions nous accorder avec Bassan, dire que l’ordre normal (et donc normatif) est questionné au sein d’une pratique théâtrale. Mais il nous semble, qu’avec le drag il faille aller plus loin. La radicalité propre du drag ne porterait-elle pas plus loin qu’une mise en scène hétérosexuelle des normes de genre ? Pourquoi Butler tient-elle tant à distinguer la mise en scène de soi dans une performance de genre hétérosexuelle et le drag ? Serait-ce pour éviter de sombrer dans une vision du drag comme pure farce, comme mise en scène ridicule d’une féminité socialement construite ?
Fig. 2 : Julie Andrews dans le rôle de Victoria Grant qui joue le rôle de Victor Grazinski jouant le rôle d’une femme dans Victor/Victoria de Blake Edwards (1982).
Crédits : Metro-Goldwyn-Mayer.
19Ne serions-nous pas alors davantage auprès d’une esthétique « camp » plutôt que dans le drag entendu comme forme artistique spécifique ? Dans une étude qui précède Butler et porte déjà quelques marques de sa théorie à venir, Esther Newton peut-elle insister sur cette dialectique de l’apparence et de la réalité à son tour, la tirant sans cesse vers le comique :
Ultimately, all drag symbolism opposes the “inner” or “real” self (subjective self) to the “outer” self (social self). For the great majority of homosexuals, the social self is oft en a calculated respectability and the subjective or real self is stigmatized. Th e “inner” = “outer” opposition is almost parallel to “back” = “front.” In fact, the social self is usually described as “front” and social relationships (especially with women) designed to support the veracity of the “front” are called “cover.” The “front” = “back” opposition also has a direct tie-in with the body: “front” = “face”; “back” = “ass19”.
20La performativité du genre se manifeste (parfois) à travers une performance qui met en scène l’artificialité des normes, qui nous introduit au sein d’un monde carnavalesque où tout est « topsy turvy », sens dessus-dessous, où l’extérieur n’est plus à sa place et où l’intérieur jouit de son expression libérée. N’est-ce pas justement ce que préconise Newton lorsqu’elle affirme que « The effect of the drag system is to wrench the sex roles loose from that which supposedly determines them, that is, genital sex20 ». Le drag se donnerait alors comme un déracinement, comme un déplacement, comme une subversion. S’installant à même une différence sexuelle supposée, le drag que voit Newton s’en joue, s’en moque, s’en empare au sein d’un art qui focalise sur l’inadéquation : « at the simplest level, drag signifies that the person wearing it is a homosexual, that he is a male who is behaving in a specifically inappropriate way, that he is a male who places himself as a woman in relation to other men21 ». Le drag devient alors une expression du style « camp », comme l’indique le titre de l’œuvre de Newton. Ce style si particulier défini par Susan Sontag peu de temps avant l’essai de Newton comme l’insistance sur le style plutôt que sur le contenu, la mise entre guillemets des choses qui se présentent dans leur artificialité et leur exubérance : « Camp sees everything in quotation marks. It’s not a lamp, but a “lamp”; not a woman, but a “woman.” To perceive Camp in objects and persons is to understand Being-as-Playing-a-Role. It is the farthest extension, in sensibility, of the metaphor of life as theater22 ». Nous retrouvons sans cesse autour de la pratique drag le champ lexical et conceptuel du théâtre, comme si nous ne pouvions l’extirper de son lieu propre que serait la scène. Le drag conçu comme summum de la sensibilité « camp » se donnerait alors comme la mise en avant via une performance d’une norme conçue comme artificialité, comme diktat social proposé aux femmes et qui ne se cache pas. La norme se montre dans la performance en tant que norme. Une drag queen qui performe, pour Newton comme pour Butler, met en avant une exigence socialement constituée qui pèse sur les femmes et en le manifestant peut (mais de manière contingente, non nécessaire) la remettre en cause. Les guillemets apparaissent ici non pas tant comme une remise en cause mais une exposition, une citation du discours social dont la pertinence n’est pas nécessairement questionnée à même la performance qui l’expose.
21Compris ainsi, le drag n’est-il rien d’autre que la reconduction au sein d’une communauté minoritaire contemporaine du jeu des « boy actors » : « though complex and emblematic, Rosalind's disguised sexual identity subverts the cultural and social norms of convention and establishes a new sexual identity for the Elizabethan female23 ». Considérer le drag ainsi le reconduirait à une analyse de type hamletienne, comme insistance sur l’opposition entre l’être et le paraître, entre l’ornement et le fond, entre le style et le contenu. Le drag, comme tout jeu d’acteur, serait la mise en avant de cette dualité si intensément exprimée dans la réplique du Prince d’Elsineur. Le paraitre se donnerait alors comme mise en scène de soi, comme manifestation de l’artificialité de la norme sociale par une mise en scène de soi. La seule différence entre les drags et les courtisans d’Elsineur serait une conscience de cette mise en scène partagée avec les acteurs jouant les courtisans. De la même manière que les acteurs savent qu’ils jouent au moment où ils jouent, les performer drag sauraient eux aussi qu’ils mettent en scène le genre24.
22Mais face à une telle interprétation, au moins deux réticences apparaissent. D’une part la subversion de l’identité féminine dans le personnage de Rosalind relève-t-il du jeu des « boy actors » ou du texte shakespearien ; si nous jouons cette pièce sans « boy actors », la subversion ne perdure-t-elle pas, distinguant ainsi le subversif de la performance ? D’autre part, une telle lecture qui entend ancrer le drag dans une historicité théâtrale hétérocentrée, peut-elle rendre raison de son historicité et sociologie propres, à savoir que le drag en tant que drag apparait au sein d’une culture LGBTQIA+ ?
Au-delà des oppositions : l’ambivalence baroque de la dialectique drag
23Trois ans après Gender Trouble, Butler revient sur sa conception du drag, au sein de son ouvrage Bodies that Matter. Il s’agit pour elle de remettre en cause la vision du drag comme art absolument subversif qui est apparu suite à la parution de son ouvrage, se fondant sur le passage concernant Divine et les films de John Waters. Nous entrons alors dans une nouvelle vision du drag comme relevant d’une dialectique intranchable, d’une approche qui ne laisse pas si facilement voir la parodie (si elle existe). Or, cette dialectique ne peut-elle pas, elle aussi, nous rappeler la position des « boy actors », résolvant le problème que nous avons soulevé suite aux propos de Bassan ? En effet, si le drag comme le « boy acting » n’est pas subversif per se mais accepte la possibilité de subversion dans certaines circonstances, ne peut-on pas maintenir la parenté entre les deux phénomènes ? Faire jouer un acteur qui « cross-dress » à la Renaissance était peut-être monnaie courante sur la scène élisabéthaine, mais si nous faisons le même geste aujourd’hui, ne doit-on pas reconnaître une volonté de subversion plus prononcée – de même pour toute forme de « cross-gender casting » ?
24En effet, Butler ne dit pas, à la manière de Newton, que le drag est un phénomène absolument comique qui vise à subvertir le lien entre l’apparence et l’essence. Tel peut être le cas (comme dans Victor, Victoria), mais ce n’est pas l’essence du phénomène. Cela signifie deux choses pour notre analyse : d’abord les drag queens n’entendent pas plus se moquer de la féminité que n’importe quel acteur sur la scène shakespearienne ; mais aussi que la référence théâtrale se redouble, non seulement affaire de pantomimes ou comédies, le drag serait une simple répétition du jeu théâtral :
Although many readers understood Gender Trouble to be arguing for the proliferation of drag performances as a way of subverting dominant gender norms, I want to underscore that there is no necessary relation between drag and subversion, and that drag may well be used in the service of both the de-naturalization and re-idealization of hyperbolic heterosexual gender norms. At best, it seems, drag is a site of a certain ambivalence, one which reflects the more general situation of being implicated in the regimes of power by which one is constituted and, hence, of being implicated in the very regimes of power that one opposes25.
25Nous ne revenons pas sur la mise en avant de la fragilité des normes qui se manifestent dans leur nature construite. Mais cela ne signifie pas, comme l’a très bien vu Butler, que nous devions présupposer un rejet de ces mêmes normes. Refusant la position de Newton qui donne trop de détermination à un art qui ne se théorise pas, du moins dans les années 1990, comme relevant d’une perspective unique. La polyphonie des approches drag ne nous autorise-t-elle pas alors à interroger une autre caractéristique du baroque, à savoir manifester l’entremêlement du rêve et de la veille, du réel et de l’illusion, sans pour autant nous dire explicitement de rejeter l’un ou l’autre des branches de l’alternative ? Bonnefoy évoquant le baroque tardif nous dit alors « En lui les deux contraires, sans se renier, ont consenti l’un à l’autre, dans un repos désillusionné mais joyeux que l’on peut dire une grâce26 ». De la même manière que le baroque ne tranche pas, ne faut-il pas reconnaître dans le discours de Butler une approche similaire ? Le drag n’est-il pas alors la coexistence des contraires, la possibilité de la parodie comme du pastiche reposant en une seule et même pratique ? Que les normes soient rejetées explicitement ou simplement indiquées par la performance, il reste que ces normes se manifestent dans leur nature artificielle, dans leur caractère de fétiche27. En d’autres termes, peu importe, ici que les normes soient explicitement critiquées, le simple fait de manifester leur origine non-naturelle qui s’est oubliée à travers les itérations sociales discursives (le fétichisme) suffit à en montrer l’artificialité. Que la performance accepte ou non de remettre en cause ces discours sociaux, relève d’une autre interrogation.
26Le drag se reposant dans une dialectique qui n’est jamais tranchée à même la performance (il faudrait un discours sur la performance pour espérer figer ce dynamisme inhérent à toute manifestation de l’artificialité des normes), n’est-il pas alors, par excellence, un art du baroque même si ce n’est pas nécessairement un art baroque ? Ou encore, est-on dans une réitération du baroque qui se dédouble, portant tantôt sur les normes sociales mais aussi sur la performance elle-même ? En d’autres termes, le baroque du drag ne serait-il pas de mettre en avant l’intranchable dialectique dans la performance (quant à son contenu) mais aussi auprès du performer (quant à sa forme ou son style) ? Sans discours sur la performance elle-même, nous ne saurions trancher entre ce qui relève de l’artifice et ce qui relève de l’acceptation de normes de féminité hétérocentrées et androcentrées…
27Mais, la différence majeure maintenue entre drag et performance théâtrale demeure celle du public cible – du moins le public cible originel. En effet, la présence sur scène d’artistes pratiquant le « cross-dressing » relevait d’une habitude sociale et culturelle, d’une majorité et non d’une inscription à même une minorité. Au sein d’une telle configuration peut-on envisager le théâtre baroque, dans sa performance, comme une exposition de l’artificialité des discours sociaux ? Peut-être peut-on envisager que les paroles du dramaturge puissent produire un discours sur les discours sociaux, un métadiscours capable de remettre en cause les apparences, mais la performance elle-même, divorcée des propos des acteurs, a-t-elle une force subversive à elle seule ? Il ne nous semble pas. Alors que la participation, si nous nous en tenons à l’analyse de Newton et Butler ici, d’un public minoritaire au sein d’une forme artistique qui s’adresse à une minorité, donne une forme à la performance qui est la forme du questionnement des normes, sans même qu’aucun discours n’ait à être explicité ou proféré. La performance elle-même est subversive en ce sens qu’elle porte un sens, une mise en doute. S’adressant, en premier lieu, à un public non hétérosexuel, le drag s’inscrit à l’écart de la performance théâtrale. S’inscrivant dans une minorité, même le pastiche devient le lieu d’un questionnement.
28Le drag est shakespearien dans la mesure où il donne à voir une illusion constitutive de notre réalité sociale comme Hamlet le fait pour la cour danoise ; mais, le drag ne vient pas de Shakespeare, constituant une modalité de performance qui n’avait pas cours à son époque. Cette assignation historique de l’origine du drag à Shakespeare se trouve alors tantôt confortée et mise à mal dans la mesure où tout théâtre baroque semble propice à la réflexion sur la réalité et l’illusion que le drag nous donne à voir. Théâtral, le drag l’est à être une performance. Baroque, le drag l’est par son interrogation inhérente sur l’artifice et le naturel. Mais, nous ne pouvons pas en conclure de là que le drag trouve son origine dans ces formes de performance. Si nous cherchons à inscrire le drag au sein d’un héritage shakespearien n’est-ce pas pour lui donner une dignité et une normalité, faire comme si sa radicalité était moindre ? Si le drag n’est que la réitération de Shakespeare alors il a une valeur artistique intrinsèque. Si le drag est une nouveauté qui apparaît avec la communauté LGBTQIA+ contemporaine alors nous devons lutter pour la reconnaissance de cette forme de performance qui n’est liée à rien historiquement28.
II. Au-delà du drag baroque ? La diversité du drag contemporain
Affranchir le drag de l’historicité théâtrale
29Insister sur le rôle de l’apparence et de l’illusion chez Hamlet est nécessaire dès lors que nous tentons de penser que la parenté entre le drag et la scène élisabéthaine n’est pas une parenté de simple pratique. Ce n’est pas que le fait établi de voir des personnes AMAB performer sur une scène dans des habits féminins, comme si le « cross-dressing » de l’époque pouvait se lire comme l’analogon de la performance drag. Plutôt, tentons-nous de mettre en avant ici une parenté de pensée entre l’approche de dramaturges et de théoriciens du drag. Dans la mesure où Skeldon et Lashua insistent sur la nature illusoire du drag et de la performance théâtrale, nous nous devions de montrer que l’illusion elle-même était méditée par le dramaturge et pas seulement prise comme une évidence.
30Cependant, Romaya, auteur cité par Skeldon et Lashua, ne dit pas exactement les termes que lui prêtent les commentateurs. Skeldon et Lashua tentent d’inscrire le drag à même l’histoire du théâtre, Romaya cherche à l’en extirper :
It is commonly believed that the distant history of Western drag surfaced in Ancient Greece in the plays of Euripides and Sophocles as young boys played women’s roles in Greek tragedies. With this simple theatrical transformation of visual gender identity, a traditional idea or concept of drag was born. Departing from its antiquated beginning, drag has come to take on an entirely redefined meaning and purpose in present times. Contemporary drag opens up a world of aesthetic appropriation that history has never before seen or been fully prepared for. To analyze the meaning of contemporary drag art proper, it is imperative that we go beyond the limits of traditional theater, film, and drag bar settings29.
31L’origine historique du drag ne peut pas et ne doit pas venir masquer sa réalité propre. Bien que nous pensions communément que le drag paraît en Grèce antique ou dans le théâtre de Shakespeare, nous ne devons l’inscrire au sein d’une continuité pratique que dans la mesure où nous en manifestons à la fois les relèves et les ruptures. Que le drag fasse retentir une dialectique aux allures baroques, nous pouvons l’accepter, que le drag sout identique au théâtre baroque, nous ne le pouvons.
32Dans l’horizon analytique de Romaya, un concept n’a pas une définition unique donnée une fois pour toutes lors de son apparition dans le monde, plutôt devons-nous cerner à chaque époque les évolutions, déformations, mécompréhensions, voire perversions du concept au contact de la réalité temporelle. En d’autres termes, il serait vain de simplement rattacher drag et « boy acting », car les deux appartiennent à des histoires qui ont rompues l’une avec l’autre. Le « boy acting » a cessé d’être omniprésente dans le théâtre, mais le drag perdure. Quand bien même les origines des deux seraient liées à l’absence de femmes sur la scène, nous nous devons de mettre en avant les ruptures du drag d’avec son origine prétendument théâtrale.
33Que le drag soit un art de la performance, nul ne peut le remettre en cause. Mais cela ne signifie pas, conclusion tirée trop hâtivement nous semble-t-il, qu’il soit un art théâtral et encore moins un art shakespearien. Sinon ne devrions-nous pas appeler shakespearien tout performance art dans la mesure où il relève d’une performance ? Dans le monde contemporain, où le drag se donne à voir dans des bars, des boîtes de nuit, à la télévision, dans des films ou encore lors de défilés de mode, pouvons-nous encore parler de cette pratique comme l’équivalent du théâtre de Shakespeare ? Poser cette question remet aussitôt en cause l’apparent consensus autour de la nature du drag que souhaitaient montrer Skeldon et Lashua. Bien loin d’être une forme artistique fixe dans ses usages, le drag serait protéiforme, instable, évoluant avec le temps mais aussi avec les lieux de son implantation. Si le drag se donne à voir dans des performances, force est de constater qu’aujourd’hui elle se donne aussi dans des cadres autres : des shooting photo postés sur les réseaux sociaux, des défilés, des déambulations, des tables rondes…
La performance king et RuPaul’s Drag Race
Fig. 3 : Gizell Timpani as Valentino King in Sackville Gardens, Manchester, UK.
Crédits : Creative Commons.
34Or, ce qui vient mettre à mal la définition shakespearienne du drag n’est pas seulement qu’il se donne dans des lieux autres que le théâtre mais que ses formes se déclinent dans une diversité que ne connaît pas la scène élisabéthaine et que ne prennent pas en compte les commentateurs. Nous pourrions évoquer, dans un sens qui inverse la performance shakespearienne, les drag kings qui performent la masculinité : « When asked ‘what is a drag king’ I reply: ‘anyone, (regardless of gender) who consciously makes a performance out of masculinity30 ». La performance drag, qu’elle soit queen ou king, semble alors être consciente, souhaitée, volontaire. Alors que le « boy acting », s’il correspond à une habitude sociale, une convention théâtrale, n’est nullement une intention expresse de l’acteur qui joue. Presque malgré lui (sans que nous entendions là une quelconque contrainte qui viendrait mettre mal l’acteur), le « boy actor » doit performer en tant que femme puisque « cela se fait ». Le performer drag, quant à lui, choisirait de performer le genre qu’il souhaite. D’ailleurs la définition de Torr nous montre bien que la question du genre assigné à la naissance importe peu à la communauté drag, la forme artistique est ouverte à tous. Cela vient faire vaciller un deuxième point de comparaison avec le monde shakespearien : dans la communauté LGBTQIA+ il n’y a pas de fait d’exclusion de fait des femmes sur la scène, ni des performances qui soient autres que des hommes cisgenres performant la féminité. Si nous doutions de la parenté entre kings et queens, Rupp, Taylor et Shapiro affirment dans leur article « Drag Queens and Drag Kings. The Difference Gender Makes » qu’il n’y a pas de distinction intrinsèque entre ce que font les queens et les kings : dans les deux cas nous assistons à « a similar critique of hegemonic gender and heteronormativity31 ». Il y a, a minima, une évolution par rapport à Shakespeare, la place des femmes, des performances de la masculinité par des personnes AFAB, mais aussi des identités trans, déplace le sens même des performances de genre. Ne naissant plus sur une scène essentiellement hétérosexuelle, il y a une différence substantielle, n’excluant de fait aucun individu sur la base de son genre, la scène LGBTQIA+ ne peut pas se reposer sur l’absence de femmes sur scène pour justifier la performance. Est-ce que cela signifie qu’aucune exclusion n’a lieu ? Il n’en est rien. Il ne faut pas là considérer qu’il y a une représentation égale des kings et des queens, la popularité de RuPaul’s Drag Race a conduit notamment à un effacement relatif des performances de kings dans la mesure où ils ne sont pas représentés dans cette émission. Dans un article acerbe, critiquant (parfois) à juste titre l’émission, Fenton Litwiller peut ainsi dire : « The show has also further perpetuated Queens as natural leaders and spokespeople within and for the queer community, in part by explicitly excluding drag King performers from participating32 ». Si l’inscription au sein du théâtre shakespearien est de mise dans l’émission, du moins dans ses première saisons, culminant dans un épisode de la saison 7 initulée « ShakesQueer » où les queens jouaient dans des parodies de Roméo et Juliette et de Macbeth33, serait-ce possiblement pour justifier de l’exclusion de certains types de drag ? Si nous suivons l’analyse de Litwiller nous pourrions dire que la référence shakespearienne est un moyen d’exclure les représentations trans ainsi que les performances autres que drag queen au sein d’une émission se donnant comme seule représentation drag populaire (du moins à l’époque). Il y aurait ainsi une violence symbolique à se réclamer de Shakespeare dans ce cadre34. Mais au-delà de questions de représentation, il y aurait dans la performance king quelque chose d’une inversion des instances performatives par rapport à Shakespeare, un échange entre le fond et la forme. Nous pourrions cependant, simplement considérer qu’il s’agit là d’une inversion répondant à un nouveau cadre social. Il demeure que la performance king, si nous suivons la définition de Torr, est une performance de genre, est une forme de « cross-dressing » si nous souhaitons pousser la référence à Shakespeare. Faisant état d’une libération, notamment féminine, la performance king, serait une retranscription d’un même geste dans un nouveau lieu de pouvoir, en donnant une voix à des personnes que le théâtre de Shakespeare ne pouvait représenter. Il y a une inversion du lieu de pouvoir mais une parenté de geste.
Fig. 4 : Katya Zamalodchikova (gauche), Violet Chachki (centre) et Jasmine Masters (droite) dans MacBitch, parodie de Macbeth, RuPaul’s Drag Race, saison 7, épisode 3 (2015).
Crédits : World of Wonder Productions.
Au-delà des performances de genre : des club-kids aux monstres
Alternative drag tends to sample from the visual, sonic, and affective elements of multiple genders simultaneously, or rejects the performance of gender entirely. I use the term here as a catch-all for drag looks and performances that either de-prioritize or purposefully distort normative gender; common substyles include horror, monster, genderfuck, activessle, tranimal, club kid, fetish wear, and trash, to name only a few. Horror drag and monster drag typically seek to portray frightening, monstrous, and alien characters. Similarly, tranimal drag pushes the conventions of gender and humanity to extreme limits. Genderfuck is a term denoting a look or performance style that blends obvious gender markers in incongruent ways, such as bearded drag queens. Activessle drag is tied to political activism and typically describes the Sisters of Perpetual Indulgence, a queer order of dragged-out nuns formed in San Francisco in response to the HIV/AIDS crisis in the 1980s35.
35Au-delà des queens et kings se dresse un monde de performances insoupçonnées mais qui contribuent d’autant plus à brouiller l’origine shakespearienne du drag. Dans les bars et boîtes se côtoient des visages de couleurs unies, des formes extraterrestres, des animaux fantastiques, des œuvres d’art ambulantes… autant de formes de performance drag que nous ne trouvons que rarement représentées dans l’émission RuPaul’s Drag Race et encore moins dans les travaux universitaires. Comment rendre raison de ces formes de performance au sein d’une réflexion qui réduirait le drag à être une forme de performance de genre, une mise en avant de la performativité du genre entendue comme construction du genre dans et par des discours sociaux ? Pouvons-nous imaginer que le drag monster veuille questionner des normes sociales portant sur le monstre qui serait exclu de la société contemporaine ? Celui ou celle qui performe en tant qu’alien peut-il porter un discours politique d’inclusion des aliens au sein de la société ? A moins de tenir des discours conspirationnistes de la présence d’alien sur Terre, cela semble difficile à croire. Que le monstre ou l’alien soit un outil heuristique pour mettre au dehors une honte socialement forgée par un cadre hétéronormée, cela nous pouvons l’entendre. Que la culture drag cherche à s’approprier des images négatives portant sur les personnes LGBTQIA+, de la même manière que Paul Preciado a pu se réapproprier le terme de « monstre » dans ses travaux, nous pouvons l’envisager36. Mais alors, si toutes ces formes artistiques relèvent toujours du drag, s’ils sont inclus de fait au sein de la culture drag, ou bien ce fait est contraire au droit et donc nous devrions exclure ces pratiques de l’aura des versions genrées du drag, ou bien la définition du drag doit être revue pour éviter que nous parlions de performances de genre, coupant ainsi court à la référence à une définition de type shakespearienne.
Fig. 5 : Drag alien Juno Birch.
Crédits : Juno Birch @junobirch.
36Le monstre, l’alien, la créature, tant de figures de l’altérité au sein du drag qui joue de cette altérité. Ce qui est montré est un autre que soi, un soi comme un autre, un espace de création possible de soi qui n’est pas lié par des normes sociales. S’il y a une critique des normes socialement construites dans les formes monstrueuses de drag est-ce peut-être un rejet non seulement d’une binarité de genre comme définissant l’identité de l’individu mais aussi d’une vision du drag comme expression de cette binarité ? En performant un Autre, une chose ou créature absolument autre, le performer ne cherche pas à devenir cet autre mais à exprimer sa propre altérité par rapport à la société et à la forme artistique du drag lui-même. S’immisçant dans les espaces entre ce qui est normalement convenu, le monstre drag n’est-il pas celui qui refuse de s’intégrer dans une nouvelle normativité ? Car, si la performance drag met en avant l’artificialité des normes sociales, elle crée aussi, au sein des communautés qui la pratiquent une nouvelle structure normative. Il y a des manières de « bien » faire. Il y a des recettes pour être « bonne » queen ou « bon » king, d’autant plus lorsque ces formes artistiques deviennent des produits de consommation de masse, imposant à leur tour une économie des représentations. Il y a des manières de faire du drag qui permettent de passer à la télévision, de performer dans des bars ou boîtes de nuit, d’autres encore qui ne sont pas reconnues et qui doivent lutter pour prétendre aux mêmes privilèges que les formes plus traditionnelles. Face (surtout) aux queens, le choix d’une créature se révèle comme un refus fondamental de se plier à cette normativité. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de réseaux d’emprunts, d’inspirations mutuelles ou encore de similarités. Mais, cette proximité n’est pensable que par rapport à un écart premier, l’identité n’est pensable que par la différence. Or, penser cette place de l’altérité au sein du drag, nous oblige à nous retourner vers les pratiques queen et king pour voir si une telle conception ne permet pas de mieux cerner l’écart avec le théâtre, ou au contraire, de rapprocher à nouveau le drag de cet art. Car si le monstre performe l’altérité ne pourrait-on pas à nouveau convoquer l’idée de jouer un rôle ? Ne pourrait-on pas là retrouver le sens d’une performance ? Le « boy actor » jouant un rôle féminin, n’épouse-t-il pas temporairement la forme de l’autre genre, d’une altérité ? Plus encore, l’acteur jouant Bottom dont la tête est transformée en âne dans Midsummer Night’s Dream ne participerait-il pas de cette même logique ? Les esprits et autres créatures du monde shakespearien allant des sorcières de Macbeth à Ariel dans The Tempest, en passant par Titania et Oberon dans Midsummer Night’s Dream ou encore les « fiends » accompagnant Jeanne d’Arc dans Henry VI. Part One, ne sont-ils pas là encore l’occasion d’un jeu de l’altérité, un jeu d’acteur qui épouse, le temps d’une performance un rôle qui n’a, parfois, rien de genré ? Le drag monster n’est-il pas que la reproduction sur une scène différente de ces personnages de théâtre ? Si l’argument peut paraître persuasif par son énumération, il nous semble que ce serait encore une fois se leurrer, agissant à la manière des créateurs du logique chez Nietzsche prenant pour identité ce qui ne relève que de similitudes37. Car l’altérité performée par les drags alternatifs n’est pas une altérité simplement de jeu, mais une expérience vécue d’altérité qui structure leur monde partagé. Le jeu de l’altérité dans le drag naît non pas dans une volonté de ressemblance mais dans une logique d’exclusion vécue. Or, la scène élisabéthaine, est lieu d’exclusion, pas le patient de cette même exclusion. Nous pourrions poser la question de femmes endossant des rôles masculins à une époque où la scène (ou du moins les grandes scènes urbaines) leur était refusée, mais ce serait au-delà de la prétention de ce travail38.
Fig. 6 : Le performer drag, Hungry, en coulisses lors de la soirée « Be Cute », Littlefield, Brooklyn (2017).
Crédits : Zak Krevitt & Thomas McCarty, The New York Times.
37Plutôt, proposons nous que l’altérité qui est en jeu dans les performances drag se réfléchisse sur les performances queen et king pour permettre de les comprendre à l’aune d’une conceptualité non shakespearienne. Ce faisant, nous rejoignons l’analyse de Kathryn Rosenfeld lorsqu’elle affirme que :
By performing maleness, drag kings expand and redraw the definitional boundaries of the male, interfere with the cultural power of mainstream maleness, and simultaneously transfer some of this power to themselves as queer women. At the same time, drag king existence forces a renegotiation of queergirl desire to encompass a range of masculinities. By performing/becoming the Other, drag kings engage in a practice of magic which transforms both margin and center39.
38L’altérité performée par le drag n’est théâtrale que si nous élargissons ce terme de manière abusive à toute performance. Pour autant, peut-on totalement divorcer la performance de l’altérité d’un script, ou doit-on reconnaître qu’il faille endosser un rôle qui, comme le rappelait Goffman se trouve toujours déjà pris dans un ensemble d’attentes précises40 ? En d’autres termes, sommes-nous devant une liberté absolue de création dans le drag qui met à mal toute tentative de le penser ? Ou plutôt ne doit-on pas refuser la naissance spécifiquement shakespearienne pour conserver une vision normative selon laquelle l’altérité performée est toujours une altérité normée, obéissant à des règles, et contenant des conduites préconisées ? Ainsi le drag clown n’a-t-il pas tendance à peindre son visage d’une teinte unie, accentuant une émotion en tirant ses traits, jouant sur des couleurs vives41 ? L’alien a-t-il tendance à se maquiller de couleurs non humaines, de bleus, de verts, de violets… parfois empruntant les traits d’aliens trouvés dans le cinéma contemporain42. La créature peut-elle se servir de prothèses pour modifier ses traits au point de devenir impossible à reconnaître… Les monstres peuvent avoir une prédilection pour des dents acérés rendues possibles par de l’émail noir qui vient recouvrir la blancheur humaine… Semblent demeurer des règles, ou au moins des directives, permettant à la créativité de se donner, de se manifester à travers l’altérité. Cette altérité vécue se manifeste dans une diversité pléthorique, mais certains gestes semblent résister, comme pour séparer les catégories. Là où le « cross-dressing » ne représentait que des performances de genre cependant, le drag permet d’explorer toutes les facettes de l’altérité, dans un processus de mimétisme qui semble se rapprocher de la pensée de Luce Irigaray, tout en en déplaçant le locus :
Il s’agit d’assumer, délibérément, ce rôle (du féminin). Ce qui est déjà retourner en affirmation une subordination, et, de fait, commencer à la déjouer. […] Jouer de la mimesis, c’est donc, pour une femme, tenter de retrouver le lieu de son exploitation par le discours, sans s’y laisser simplement réduire. C’est se resoumettre – en tant que du côté du « sensible », de la « matière » … – à des « idées », notamment d’elle, élaborées par/dans une logique masculine, mais pour faire « apparaître », par un effet de répétition ludique, ce qui devait rester occulté : le recouvrement d’une possible opération du féminin dans le langage. C’est aussi « dévoiler » le fait que, si les femmes miment si bien, c’est qu’elles ne se résorbent pas simplement dans cette fonction. Elles restent aussi ailleurs43…
39Sans négliger les structures de pouvoir à l’œuvre qui nécessitent que la femme se réapproprie le « rôle » féminin, il nous semble que nous pouvons rendre raison de la nature en apparence théâtrale du drag, et de l’écart avec Shakespeare à partir d’une lecture du mimétisme chez Irigaray. Bien que le mimétisme, dans son rapport au rôle féminin semble relever exclusivement de la parodie chez Irigaray, ce qui nous intéresse ici est le rapport qui se dit entre deux performances. En effet, le mimétisme n’est pas une simple performance de genre mais une performance d’un rôle, soit une performance dédoublée, avec exposant – une performance de performance. Et ce à partir d’une situation dominée, une situation d’altérité par rapport à la « logique masculine ». N’est-il pas possible que le jeu de l’altérité que nous trouvions dans le drag soit lui aussi un tel mimétisme ? Id est, le drag ne peut-il pas être lu selon une heuristique de la performance avec exposant ? Le drag monstre est un jeu avec les normes du monstrueux, du choquant, de l’inconfortable, un jeu avec les représentations culturelles du monstre. Le drag alien joue et se joue des représentations des extra-terrestres dans la culture populaire, s’inspirant ou bien du teint, ou bien de la forme, ou bien de la marche, ou encore de la manière de parler ou de mécomprendre le monde pour produire une persona qui ne semble pas à sa place sur Terre. Le drag clown n’est pas une performance de clown mais la performance des normes du clown, une reprise (et non une répétition) qui inscrit de la nouveauté au sein d’une norme. La différence entre le drag et la performance théâtrale serait alors non pas une incompatibilité foncière mais un écart de degré. Le théâtre est le lieu de performances, le drag celui de performances de performances. Ainsi, nous pourrions tout à fait voir des drags performer des personnages de cinéma ou jeux vidéo tout en ne les confondant pas avec des acteurs44. Mais au-delà de ce redoublement de la performance, il faut maintenir, comme le fait Irigaray, l’origine minoritaire, opprimée du mimétisme qui doit s’affranchir de la logique dominante. Ce sexe qui n’en est pas un ne cherche pas à proposer aux dominants une manière de jouer les dominés tout en s’en moquant, il s’agit pour les femmes de reprendre le pouvoir sur elles-mêmes et leurs représentations. De même, si nous assumons une telle lecture, il faut que le drag s’exprime à même le lieu d’une altérité vécue qui permet d’en jouer. Compris ainsi, le drag ne peut séparer son jeu d’une portée politique : le jeu est toujours sérieux, fût-ce inconsciemment.
40Enfin, le mimétisme chez Irigaray a un aspect parodique et exagéré, un aspect ludique mais qui n’accepte pas de rire de tout45. Le mimétisme accepte que l’on exagère des traits sans pour autant que cette exagération soit un acte irrespectueux envers les femmes (que ce soit dans le cas qui la concerne ou le nôtre). Le drag se produit tantôt dans un mimétisme proche d’une représentation dite réaliste (on peut alors entendre le terme de « realness »), tantôt dans une exagération qui joue sur les formes féminines ou masculines, accentuant les hanches par du « padding », les seins par du silicone, les cheveux par des perruques, creusant les joues avec du contouring etc.
Fig. 7 : Drag alien L’Adam se maquille.
Crédits : Amélie Abraham.
La question des limites
41Si le drag se donne comme autant de performances de performances, son lien avec Shakespeare est à la fois maintenu et en même temps dépassé. La dialectique baroque se redouble à son tour, oscillant entre l’origine folklorique et l’inédit, le drag se joue dans cet espace du ni-ni qui est en même temps et-et. Mimétique et parodique sans toutefois se rire de la situation des minorités, le drag se donne comme un espace de créativité qui est à la fois affranchi des repères et soumis à elles. En prises avec la culture populaire et l’histoire littéraire et artistique, la pensée peine à saisir l’être du drag dans la mesure où il se dérobe sans cesse dans une ouverture propre à toute œuvre d’art. Penser le drag ce n’est pas tenter de le reconduire à des débats de société sur la moralité ou non d’une performance qui se donne comme fondamentale dans l’histoire LGBTQIA+ en même temps que transgressive voire inacceptable pour des positions conservatrices. Plutôt penser le drag comme art revient à « prendre le temps d’entrer dans l’espace singulier de présence et d’ouverture que l’œuvre elle-même ouvre46 », s’exposer à lui, se laisser toucher par l’altérité qui l’habite et le laisser ébranler les catégories de l’art traditionnellement conçu. Comme toute œuvre, le drag ouvre son histoire en même temps qu’il habite d’une tradition de laquelle il s’extirpe.
42Mais cette ouverture de l’œuvre d’art et du drag en particulier doit se faire en toute conscience. Le drag relevant d’une performance consciente de normes, il faut reconnaître qu’il y a peut-être des limites à cette performance, qu’il y a peut-être un seuil que l’on ne peut outrepasser. Le drag autoriserait-il de jouer avec l’identité raciale au nom d’une ouverture artistique et d’un mimétisme fondamental ? Une telle problématique se pose à même la représentation du drag dans RuPaul’s Drag Race où, du moins dans ses premières saisons la représentation de la race semble être le lieu d’une exagération, d’une accentuation, qui est bien accueillie par les juges47. Mais, il demeure que les personnes se jouant de l’identité ethnique et/ou raciale ne peuvent être que des personnes concernées, que le mimétisme du drag n’autorise aucunement un jeu raciste, un « blackface » ou autre comportement insensible au nom du divertissement. Proposer une pensée précise de ces limites est au-delà de notre présent travail, mais indique un horizon auquel une telle pensée du drag comme performance de performance doit se confronter tôt ou tard. Car si la performance peut être le lieu d’une exploration de soi, d’une communauté réunie autour d’une altérité vécue, il ne faut pas qu’elle devienne le lieu d’une exclusion nouvelle, d’une répétition parmi les opprimés des structures d’oppression.
43Le drag en tant que mimétisme ludique peut basculer en insulte lorsque les règles du jeu sont mécomprises. Mais en écoutant Irigaray, en conservant le ludisme qui ne se permet pas tout, le drag peut demeurer une exploration de soi, de sa différence, de son identité et une célébration sous forme d’art.
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Notes
1 Cristiano Eduardo da Rosa & Jane Felipe, « Gender Performativity Seen Through the Eyes of Children », Revista Brasiliera de Estudos da Presença, vol. 11, n°1, 2011, p. 6. Nous retrouvons la même référence dans les études suivantes : Dorothy Price, « Art History at the Barricades », Art History, vol. 42, n°1, 2019, p. 8-15 ; Fabiana Poças Biondo & Bruno Cuter Albanese, « “Glamazon, sissy that walk”: performances de drag queen dicionarizadas », Cadernos de Estudos Culturais, vol. 8, n°16, 2016, p. 107-126 ; Agata Szuba, « Fe/Male Performance », DYSKURS Pismo Naukowo-Artystyczne ASP we Wrocławiu, n° 27, p. 164-179.
2 Gabby Skeldon & Brett Lashua, « Somewhere under the rainbow: Drag at the Showbar », in Diana C. Parry & Corey W. Johnson & Luc S. Cousineau (eds.), Sex and Leisure. Promiscuous Perspectives, London, Routledge, 2020, p. 146.
3 Ibid., p. 149.
4 Yves Bonnefoy, L’improbable et autres essais, Paris, Folio, 1992, p. 187.
5 Une telle définition du baroque se rapproche de celles proposées par Blair Hoxby et Mary Ann Frese Witt. Cf. Mary Ann Frese Witt, Metatheater and modernity: Baroque and Neobaroque, Madison, Fairleigh Dickinson University Press, 2012 ; Blair Hoxby, « Dryden’s Baroque Dramaturgy: The Case of Aureng-Zebe », in Jayne Lewis & Maximillian E. Novak (eds.), Enchanted Ground: Reimagining John Dryden, Toronto, University of Toronto Press, 2004, p. 244-272.
6 « Assigned male at birth ».
7 Jeffrey R. Wilson, « “To be, or not to be”: Shakespeare Against Philosophy », Shakespeare, vol. 14, n°4, 2017, p. 345.
8 Ibid., p. 346.
9 Idem.
10 Pour une analyse de la subversion à l’œuvre dans Hamlet, voir Michèle Rouget, « Paradoxe et subversion dans Hamlet », in Gisèle Venet (ed.), Le Mal et ses masques. Théâtre, imaginaire, société, Lyon, ENS Éditions, 1998.
11 Cette pratique dialectique de la philosophie est à l’œuvre dans tous les ouvrages de Wahl mais théorisé uniquement dans le Traité de métaphysique. Cf. Jean Wahl, Traité de métaphysique, Paris, Payot, 1957, p. 680-708. Elle sera ensuite plus succinctement étudiée par Vladimir Jankélévitch lors de la mort de Wahl : Vladimir Jankélévitch, Sources, Paris, Le Seuil, 1984, p. 142-154.
12 Judith Butler, Gender Trouble, New York, Routledge, 1999, p. 178.
13 Erving Goffman, The Presentation of Self in Everyday Life, London, Penguin, 1990, p. 27.
14 Ibid., p. 37.
15 Rachele Svetlana Bassan, « “You have a better needle, I know.” Boy Actors on the Early Modern Stage », Annali di Ca’ Foscari. Serie occidentale, vol. 56, 2022, p. 35.
16 Judith Butler, op. cit., p. xxviii-xxix.
17 Rachele Svetlana Bassan, art. cit., p. 35.
18 Judith Butler, Bodies That Matter, New York, Routledge, 1993, p. 126.
19 Ester Newton, Mother Camp: Female Impersonators in America, Chicago, University of Chicago Press, 1979, p. 100.
20 Ibid., p. 103.
21 Idem.
22 Susan Sontag, « Notes on “Camp” », Against Interpretation and Other Essays, New York, Octagon, 1982, p. 275.
23 Mourad Romdhani & Zied Ben Amor, « Cross-Dressing and Border Crossing in William Shakespeare’s As You Like It: The Paradox of Female Identity », International Journal of Education and Philology, vol. 3, n°2, 2022, p. 12.
24 Un problème historique de la philosophie se poserait ici à nouveau quant à savoir si les performers sont conscients de leur performance. Nous ne pouvons sonder les intentions de l’autre et donc savoir à quel point cette conscience est aigue, mais il demeure qu’il serait difficile d’admettre que nous faisons du drag sans le savoir et sans savoir ce que cela représente dans une époque où sa popularité télévisuelle est forte.
25 Judith Butler, Bodies That Matter, op. cit., p. 126.
26 Yves Bonnefoy, op. cit., p. 189.
27 Le fétiche ici renvoie à la théorie marxienne du fétichisme de la marchandise que nous trouvons dans Le Capital. Cf. Karl Marx, Le Capital, trad. Lefebvre, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 81 sq.
28 Si nous identifions drag et « cross-dressing », pourquoi s’arrêter à Shakespeare ? Pourquoi rattacher nécessairement au théâtre élisabéthain et pas au théâtre antique, donnant une historicité encore plus conséquente ? Nous retrouvons ces tentatives dans les livres « grand public » autour de l’histoire du drag. Cf. Simon Doonan, Drag? The Complete Story, London, Laurence King Publishing, 2020, p. 102-135. Doonan remonte même jusqu’au mascara égyptien !
29 Bassam Romaya, « The Coalescence of Dichotomy in Drag Aesthetics », in Raja Halwami, Carol V. A. Quinn & Andy Wible (eds.), Queer philosophy: Presentations of society for lesbian and gay philosophy, 1998–2008, Amsterdam, Rodopi, 2012, p. 147.
30 Diane Torr & Stephen Bottoms, Sex, Drag, and Male Roles: Investigating Gender As Performance, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2010, p. 1.
31 Leila J. Rupp, Verta Taylor & Eve Ilana Shapiro, « Drag Queens and Drag Kings: The Difference Gender Makes », Sexualities, vol. 13, n°3, 2010, p. 275.
32 Fenton Litwiller, « Normative drag culture and the making of precarity », Leisure Studies, vol. 39, n°4, p. 609.
33 Respectivement Romy & Juliet et MacBitch.
34 Cette violence est d’autant plus accentuée avec une interview de 2018 de RuPaul dans The Guardian qui opposait militantisme trans et drag. Cf. Decca Aitkenhead, « RuPaul: “Drag is a big f-you to male-dominated culture” », The Guardian, 3 mars 2018. URL. Consulté le 20 octobre 2023.
35 John M. Kohfeld, « “Who’s here for local drag?”: Community, Identity, and Remix in Seattle’s Drag Scene », Thèse de doctorat non publiée, 2021, p. 28. En règle générale, remarquons la relative absence des études sur le drag dit alternatif dans les études publiées. Nous trouvons majoritairement des travaux de mémoire ou de thèse sur ces questions qui ne donnent pas (encore) lieu à des publications. Il paraît alors important d’insister ici sur la relative absence de sources académiques sur ces questions.
36 Cf. Paul B. Preciado, Je suis un monstre qui vous parle, Paris, Grasset, 2020.
37 Cf. Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, trad. Patrick Wotling, Paris, Flammarion, 2007, p. 166.
38 Sur les performances de femmes dans l’Angleterre du XVIe siècle, voir James Stokes, « The Ongoing Exploration of Women and Performance in Early Modern England. Evidences, Issues, and Questions », Shakespeare Bulletin, vol. 33, n°1, 2015, p. 9-31.
39 Kathryn Rosenfeld, « Drag king magic », Journal of Homosexuality, vol. 43, n° 3-4, p. 201.
40 Erving Goffman, op. cit., p. 28-82, en particulier p. 32-40.
41 En cela nous retrouvons des éléments de l’analyse du clown proposés dans Maxim Leonid Weintraub, « Clowning Around at the Limits of Representation », in David Robb (éd.), Clowns, Fools and Picaros Popular Forms in Theatre, Fiction and Film, New York, Rodopi, 2007, p. 76 : « Indeed, the very “essence” of the clown hinges on a clichéd idiom of signs embalmed in its cosmetics and woven into its costume that signal different stock character types (a happy or sad clown) and traits (clumsiness or naiveté). As ultimately nothing but a surface of signs, the clown is a figure inscribed in and prescribed by representation, one whose effect hinges on an acknowledgement from its audience of its own status as a sign. In short, a clown is only what its excessive makeup and costume signifies – there is nothing behind the mask ».
42 Pensons alors à Juno Birch qui se maquille sans cesse en bleu, s’inspirant d’une « housewife » des années 1960, semblable à l’alien de Mars Attacks! (1996) de Tim Burton.
43 Luce Irigaray, Ce sexe qui n’en est pas un, Paris, Minuit, 1977, p. 34.
44 Pensons par exemple à la soirée SlayStation ayant lieu à Londres où les drags peuvent tantôt ressembler à Team Rocket de Pokémon, tantôt à Bayonetta du jeu éponyme, ou encore Sephiroth des jeux Final Fantasy…
45 « Irigaray emphasizes the parodic and playful character of the mimetic role », Susan Kozel, « The Diabolical Strategy of Mimesis: Luce Irigaray’s Reading of Maurice Merleau-Ponty », Hypatia, vol. 11, n°3, 1996, p. 116. Sur la nature ludique du mimétisme d’Irigaray, voir Naomi Schor, « This essentialism which is not one: Coming to grips with Irigaray », in Carolyn Burke, Naomi Schor & Margaret Whitford (éds.), Engaging with Irigaray: Feminist philosophy and modem European thought, 1995, p. 67.
46 Hadrien France-Lanord, « La pensée de Heidegger à l’épreuve des œuvres d’art », Cahiers de philosophie de l’Université de Caen, vol. 55, 2018, p. 24.
47 Sabrina Strings & Long T. Bui, « She Is Not Acting, She Is », Feminist Media Studies, 2013, p. 822-836.
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