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Femmes extravagantes, femmes bizarres chez Goldoni : un écho shakespearien ?
Par Françoise Decroisette
Publication en ligne le 30 novembre 2014
p. 4 Il est aussi l’auteur d’un Dictionnaire anglais et italien (Londres, 1760) et d’une Grammaire italienne et anglaise. Reynolds et Samuel Johnson, dont il était proche, le sauvèrent, dit-on, d’une accusation d’homicide en 1769. 7 Giuseppe
Résumé
Extravagant Women, Strange Women in Goldoni: a Shakespearean Echo?
Goldoni explicitly names Shakespeare at least once, in the dedication of Malcontenti (1755), an ill-liked comedy where he caricatures a « dramatic Italian poet » who tries to imitate Shakespeare without knowing him well. His words are loaded with enough admiration to make us wonder what he himself knew of the English playwright, whom Italy had discovered about thirty years previously, and whether Shakespeare's comedies were, as certain critics have suggested, a source of inspiration for some of Goldoni's later comedies, such as La Donna Stravagante.
Goldoni nomme explicitement Shakespeare au moins une fois, dans la dédicace des Malcontenti (1755), comédie mal aimée où il caricature un « poète dramatique » italien qui cherche à imiter Shakespeare sans bien le connaître. Ses mots sont chargés de suffisamment d’admiration pour qu’on puisse se demander ce que lui-même connaissait de l’auteur dramatique anglais, que l’Italie découvrait alors depuis une trentaine d’années, et si les comédies de Shakespeare ont pu, comme certains critiques l’ont suggéré, irriguer l’imagination goldonienne dans certaines comédies ultérieures comme la Donna stravagante.
Texte intégral
1Goldoni n’est sans doute pas l’auteur auquel on pense d’emblée pour analyser les liens unissant Shakespeare et l’Italie au XVIIIe siècle, dans le sens du « retour » ou, si l’on veut, de ce que l’Italie des Lumières doit au théâtre shakespearien. Le rival historique de Goldoni à Venise, Carlo Gozzi, semble plus riche en traces shakespeariennes, lui que l’éminent journaliste vénitien, critique littéraire acéré et linguiste avisé, Giuseppe Baretti considérait en 1768 comme « le plus surprenant génie qui soit apparu dans une nation en Europe depuis Shakespeare1 ». Auteur du fameux Discours sur Shakespeare et monsieur de Voltaire (1777)2 où il accuse ce dernier de ne rien comprendre à Shakespeare parce qu’il ignore tout de la langue anglaise, Baretti trouvait les caractères et personnages gozziens des fables théâtrales aussi « vrais et naturels »que le personnage de Caliban dans la Tempête3. Il voulait faire connaître Gozzi à Garrick, persuadé que l’acteur ne pourrait qu’admirer l’originalité et l’inventivité du comte. Baretti, qui contrairement à Voltaire maniait parfaitement l’anglais4, découvre les œuvres shakespeariennes sur scène et en version originale à Londres. Il estimait savoir de quoi il parlait et il mettait en toute conscience le génie de Shakespeare sur le même piédestal que celui de l’Arioste5. Répondant aux critiques de Carlo Denina contre l’Anglais, il s’enflamme en égratignant au passage son compatriote l’Abbé Chiari, autre rival de Goldoni à Venise :
Je ne peux dire la colère qui m’a enflammé en l’entendant parler de l’anglais Shakespeare, comme on parlerait d’un Chiari, pour qui, faire sortir de son cerveau une chose bonne non accompagnée d’une mauvaise relève du miracle6.
2L’avis de Baretti est bien sûr partisan, il en change d’ailleurs en 1772 après la publication des fables gozziennes, qu’il appelait de ses vœux en 17687, mais dont les choix éditoriaux lui semblent erronés. On connaît ses positions radicales sur Chiari et Goldoni, il trouve le premier imbécile comme on vient de voir, et Goldoni « plébéien » et « immoral », et surtout peu susceptible de rassembler, dans la durée, un public comparable à celui que Shakespeare rassemblait depuis des siècles8. Les journalistes du Mercure de France, ne s’y trompèrent pas, quand en avril 1770, peut-être par sollicitude pour Goldoni, parisien depuis 9 ans, ils dénoncent l’abus qui consistait à placer sur le même Parnasse un faiseur « de pièces à canevas et à machines comme Gozzi » et « l’immortel Shakespeare9 ».
3Il n’en reste pas moins vrai que le vétilleux comte Carlo connaissait Shakespeare et s’en est inspiré. Parmi les documents récemment redécouverts dans les archives de la famille Gozzi10, on trouve une traduction en italien du monologue de Roméo qui croit Juliette morte, annotée ainsi : « Romeo désespéré entendant que sa femme Giulia est morte et enterrée. Pensif ». On trouve aussi un projet de scenario intitulé Giulietta e Alessandro (Romeo est appelé Alessandro Romeo), avec une liste de personnages, la description du premier décor – « une place d’armes de Vérone un jour de fête publique », des notations de costumes et l’annonce d’une première scène de réjouissances, danses etc. suivie de la joute entre des Montesi et des Capelletti (sic). Selon Andrea Fabiano11, il s’agirait d’un projet de ballet pantomime, assez tardif cependant (peut-être après 1785, et la représentation à Venise d’un ballet tragique, Giulietta e Romeo représenté au San Samuele). Par ailleurs Ginette Herry a montré que la favola intitulée I Pitocchi fortunati (Les Mendiants fortunés), représentée au Sant’Angelo en novembre 1764, tirée des Mille et un jours de Petis de la Croix, peut être rapprochée de Mesure pour mesure12. Du moins peut-on dire, selon elle, que les deux œuvres « interrogent l’une et l’autre […] le pouvoir et son exercice dans un pays fictif et lointain ».
4Au risque de ranimer les querelles vénitiennes qui ont opposé les deux dramaturges et leur rival commun Chiari, je prends ici le parti de m’intéresser plutôt à Goldoni et aux possibles traces shakespeariennes contenues dans son théâtre, pour montrer que, comme Gozzi mais différemment, et antérieurement, il s’y intéresse de façon non marginale. Pour cela j’ai repris une idée émise par Giuseppe Ortolani13 qui voyait une possible inspiration shakespearienne, plus précisément de La Mégère apprivoisée, dans La donna stravagante, comédie de 1756 en vers martelliens, représentée au théâtre de San Luca où Goldoni travaille comme poète à gages pour la famille Vendramin depuis 1753, et où, après quelques difficultés, il a enfin triomphé grâce à un triptyque exotique (La sposa persiana suivie de Ircana a Julfa et Ircana a Ispaan) et grâce à la seconda amorosa, Caterina Bresciani.
5L’hypothèse semble hasardeuse, aucune mention directe à une telle source d’« inspiration » shakespearienne ne se trouvant ni dans les pièces liminaires de la comédie, ni dans les Mémoires. Il est vrai que Goldoni cite rarement ses sources, et ne se reconnaît que très peu de modèles. Il faut donc aller voir dans l’œuvre elle-même ce qui pourrait étayer une telle hypothèse
6Commençons par là où l’on commence habituellement quand on analyse les comédies du Vénitien : les Mémoires français, rédigés en français, à partir de 1784. Goldoni y consacre à la Donna stravagante une page entière14, en se trompant d’ailleurs, comme cela est fréquent chez lui, sur la date de la première représentation qu’il situe en 1760, en réalité date de la publication dans le tome VI de l’édition Pitteri15. Il relève un succès modeste et note qu’elle « étoit faite pour avoir un succès plus marqué », ce qui ne peut qu’éveiller notre curiosité : cela dénote un attachement particulier de l’auteur à cette pièce sans aucune postérité scénique. D’ailleurs, même s’il ne la fait publier qu’en 1760, le résumé qu’il en donne dans les Mémoires est assez détaillé, autre preuve de son intérêt, les pièces sans succès étant souvent sacrifiées, voire non mentionnées dans les Mémoires, comme La scuola di ballo de 1759.
7Quel est donc le sujet de La donna stravagante ? Donna Livia et Donna Rosa sont deux sœurs orphelines qui, après la mort de leur père, joueur insouciant et ruiné, ont été confiées aux soins de leur oncle paternel le Chevalier Riccardo, « homme tendre et sage », « qui ne s’occupe que du bonheur de ses nièces16 ». Comme nous l’apprend Donna Rosa elle-même dans la comédie (I.4), Riccardo s’est chargé d’elles, payant les dettes de son frère et travaillant dur pour leur assurer un avenir. Il veut les établir au mieux de leurs sentiments, en donnant comme il se doit la priorité à l’aînée, laquelle toutefois ne se décide pas. Car, toujours selon les Mémoires, Donna Livia est aussi « fière, emportée, volontaire et méchante » que Donna Rosa, la cadette, est « douce, raisonnable, et bonne ». Livia, très éprise d’un gentilhomme, Don Rinaldo, qui l’aime aussi, est en effet jalouse de sa sœur en qui elle voit une rivale, et elle estime que son amant ne l’aime pas comme elle voudrait, avec passion et avec soumission. Dès la première scène, elle apparaît fort agitée, tenant toute la maisonnée en éveil, agressant en paroles serviteurs, oncle, sœur et amant, sur lequel elle verse le chaud et le froid en alternance. Pour voir quels sont les sentiments de sa sœur envers Don Rinaldo, elle lui abandonne d’abord son droit d’aînesse, pour revenir aussitôt après sur sa proposition et la menacer même de ne point se marier elle-même pour l’empêcher de prendre époux (I.4). Don Rinaldo, tout en reconnaissant qu’elle est impossible, revêche, tyrannique, ne peut s’empêcher de l’aimer, subjugué qu’il est par sa beauté. Il ne cède qu’avec désespoir et remords à l’injonction de Don Riccardo de se montrer plus ferme avec elle (III.1), et il lui écrit à contre cœur une lettre d’adieu (III.7) qui suscite les foudres de l’extravagante amoureuse.
8La structure générale de l’intrigue décalque donc en partie celle de la pièce enchâssée de la comédie shakespearienne, avec le couple central des deux sœurs au caractère opposé que leur père (ici devenu oncle) doit marier en commençant par l’aînée. Donna Livia présente aussi des traits de caractère proches du personnage de Katharina : la colère permanente, la jalousie, une attitude instable qui lui valent le qualificatif de capricciosa (IV.1), un qualificatif qui doit s’entendre au sens fort du XVIIIe siècle : qui sort des voies normales, ce qu’explique le serviteur Cecchino quand il note : « elle veille avec la lune, et dort avec le soleil17 » (II.1). C’est d’ailleurs l’adjectif que Goldoni retient lorsqu’il traduit le titre de la pièce dans ses Mémoires, La Femme capricieuse, parallèlement à l’usage répété d’ « extravagances » : Livia, écrit-il, « donne par ses extravagances beaucoup d’embarras et de chagrin au Chevalier qui ne s’occupe que du bonheur de ses nièces » et « ses extravagances sont si nombreuses qu’elle en fournit assez pour remplir une comédie en cinq actes ».
9Globalement, la distribution des personnages rappelle celle de la comédie enchâssée de Shakespeare : ce qui n’est guère étonnant puisqu’elle suit dans les deux cas la structure quasi obligée des compagnies italiennes de commedia dell’arte, deux amoureux, deux amoureuses, un ou deux vieillards, deux serviteurs, un capitan. À côté des deux jeunes sœurs et de leur oncle, on trouve donc dans la comédie goldonienne, deux jeunes nobles qui rivalisent de charme auprès de Donna Rosa : Don Properzio et Don Medoro (échos de l’Hortensio et du vieux Gremio shakespeariens), que Donna Livia utilise aussi pour rendre Rinaldo jaloux, et qui au fil de la comédie, conjointement, dénoncent les extravagances de l’aînée et encensent la douceur de la cadette.
10Mais on trouve aussi un quatrième prétendant, assez étonnant : le marquis Asdrubale, riche puissant et arrogant, sûr de lui, présenté par les serviteurs comme « extravagant et hautain, qui pense et parle hors de propos18 » (IV.1). Il s’agit toutefois d’un prétendant tardif, qui n’apparaît qu’au quatrième acte et disparaît au cinquième. C’est le bienveillant oncle, Don Riccardo, qui, après avoir décidé de ne plus céder aux caprices de Livia, et au grand dépit de celle-ci, le fait venir chez lui pour Rosa ; mais Rosa l’abandonne à sa sœur, estimant qu’ils sont faits l’un pour l’autre : « il semble né pour vous19 » (IV.4). De fait le marquis, persuadé que toutes les femmes doivent tomber amoureuses de lui étant donnée la noblesse de sa naissance, est facilement inflammable et n’a pas la délicatesse raffinée de Rinaldo. Il ponctue ses phrases d’un juron répétitif cospettonaccio20, et parle haut. Il se prend d’une passion immédiate à la vue de Livia, qui elle-même ne le trouve pas désagréable. Elle est fascinée au premier abord par son prénom guerrier (« Asdrubale ! Cela me plaît !21 », IV.5), puis par sa fougue subite à lui montrer sa passion (elle reprochait précisément le contraire au trop timide et respectueux Don Rinaldo). Il se produit entre eux une sorte de coup de foudre que l’oncle d’ailleurs ne voit pas d’un bon œil car il est contraire à ses desseins, trop soudain et non raisonné. Comme faisait Baptista dans la Mégère (II.1)22, l’oncle cherche à réduire l’enthousiasme d’Asdrubale en lui brossant un portrait peu flatteur de Livia (IV.6). Asdrubale, pas plus que ne l’était Petruchio dans la Mégère, ne semble ébranlé par ce portrait. Il estime au contraire que deux caractères semblables peuvent fort bien s’associer et cela ranime sa soudaine passion pour la jeune femme :
D. Ric : Elle est étrange, monsieur.
Mar. : Je le suis tout comme elle.
D. Ric. : Ses lubies sont perfides.
Mar. : Elles changeront avec les miennes.
D. Ric. : Elle se met en colère pour un rien.
Mar. : Moi de même23.
11Cependant, l’apparition du marquis n’est ici qu’un épisode secondaire, qui pourrait même être supprimé car il n’a pas d’incidence sur la conduite générale de la pièce, ni sur les personnages : à la fin de l’acte IV, l’oncle décide finalement de mettre l’aînée dans un couvent et de marier la seconde à un prince dont on ne saura pas qui il est, intimant aussi derechef à Don Rinaldo l’ordre de ne plus s’avilir face à Livia. Il n’est donc pas impossible qu’avec ce personnage Goldoni cite le modèle shakespearien, en décalquant le couple Petruchio/Katharina. Mais c’est semble-t-il pour prendre ses distances, car Asdrubale disparait aussi vite qu’il est apparu, n’étant agréé ni par Riccardo, ni par Livia. Ainsi quand, en présence du valet Cecchino qui commente en aparté les échanges des deux étranges amoureux, le marquis déclare à Donna Livia qu’il lui importe peu qu’elle soit « impossible » et « folle », elle s’insurge contre ce qu’elle prend pour du mépris envers elle (IV.11) :
Mar. : […] Il m’a dit : ma nièce ? Ne la prenez pas, elle est folle.
Je le sais, lui répondis-je…
Liv. : Je le sais, lui répondîtes-vous ?
Mar. : Je le sais, mais qu’importe.
Liv. : Qu’est-ce que ces grossièretés ?
On ne parle pas ainsi. De m’avoir manqué de respect,
Vous vous repentirez,je le jure24.
12Comme Katharina, elle le menace. Mais là s’arrête le parallèle. Face à ces menaces, Asdrubale, contrairement à Petruchio, bat en retraite, et se retire de la compétition matrimoniale. Il se réjouit d’avoir trouvé son égale en caractère : « […] Je pensais qu’une femme plus étrange que moi n’était pas née / Et je l’ai enfin trouvée25 » (IV.11), mais il tire rapidement sa révérence en concluant son apparition scénique par ces mots misogynes : « Plus de femmes, je le jure. Cospetto della Luna26 ».
13Chez Goldoni, c’est plutôt Livia qui serait un décalque de Petruchio, un décalque féminin, inversé. Elle fait en effet partie des variations goldoniennes sur l’expression d’une aspiration féminine – le plus souvent déçue - à pouvoir imposer sa volonté en matière de mariage, à décider de son sort, à ne pas accepter les volontés masculines. Le thème serpente de La donna di garbo (1743) jusqu’à la Trilogie de la Villégiature de 1761, en passant par La locandiera (1753), La sposa persiana, puis par Gli innamorati (1759), mais aussi par I Rusteghi (1759 également), et fait de Livia une « femme des Lumières » avant tout. Cela transparaît très nettement dans le rêve qu’elle raconte à son serviteur Cecchino (II.1), un rêve qui la bouleverse, et qu’elle voudrait prémonitoire parce qu’il lui représente son amant en adoration, agenouillé servilement devant elle dans un décor bucolique et romanesque, soumis à ses volontés, prêt à souffrir toutes les vexations pour se faire pardonner son mouvement d’humeur, et baisant ardemment ses mains offertes. En fait, comme avant elle Mirandolina s’attaquant au Chevalier, ou l’impulsive Ircana en révolte contre une épouse imposée à celui qu’elle aime, qui de surcroît se révèle bonne, douce et patiente, comme l’instable Eugenia torturant son fiancé27, mais aussi comme peu après la pathétique Giacinta de la Trilogie de 1761, elle souffre d’un mal intérieur, dont la cause lui échappe encore, et qu’elle formule de façon très moderne à la fin de la pièce28, qui n’est autre que le heurt entre passion et raison. Très révélatrice est la réaction de Donna Livia après la lecture enflammée qu’elle fait à Cecchino d’un billet où son amant, comme dans son rêve, déclare se prosterner à ses pieds : quoique certaine de son amour, elle décide pour finir de le mettre encore à l’épreuve :
Avant d’accepter son amour, avant de récompenser mon amant, je veux le rendre docile / Compréhensif et tolérant vis-à-vis des insultes. / Mon cœur ne saurait se contenter d’un amour ordinaire, / Je ne suis avide que de choses insolites29.
14Une pétition de principe – que Cecchino commente en aparté avec le bon sens des serviteurs lucides – qui ouvre la voie aux tourments que les héroïnes ultérieures, Eugenia et Giacinta particulièrement, imposent, chacune différemment et pour des motifs plus complexes encore, à leur fiancés, et s’imposent à elles-mêmes.
15Il est donc difficile de voir la source de Livia dans les épreuves surtout physiques (privation de nourriture, privation de sommeil) que Petruchio impose à Katharina pour la « dresser » comme un faucon (IV.1). Non seulement parce que Livia s’inscrit d’abord dans une suite de « figures féminines en lutte » déjà bien dessinées dans la dramaturgie goldonienne, mais aussi parce que les épreuves qu’elle impose à son amant sont essentiellement affectives et psychologiques. Livia de surcroît, différemment de Petruchio qui n’a pas d’états d’âme, se soumetelle-même, tout autant qu’elle soumet Rinaldo, à desépreuves successives. Ainsi dans un très beau dernier monologue (V.13), alors qu’au grand étonnement de tous, brusquement soumise, elle a déclaré vouloir obéir à son oncle et se retirer dans un couvent, admettant enfin que sa sœur soit la première à convoler avec le prince que Riccardo lui destine, elle décide de s’imposer une dernière épreuve : voir si elle peut ôter de son cœur l’amour qu’elle a pour Rinaldo, en lui disant adieu en face :
Mais je n’aurai rien résolu si amour me tourmente. / Quand je l’aurai vu, je serai totalement contente, je pourrai plus facilement me l’arracher du cœur […] Et je crois avoir le cœur assez fort / Pour lui dire franchement : Oui, don Rinaldo, adieu. / […] Je veux, une dernière fois, je veux mettre mon courage à l’épreuve30.
16Elle y parvient en attirant Rinaldo chez elle, en obtenant sa totale soumission, et en accélérant le mariage pour se marier avant sa sœur (V.19). C’est un finale heureux, mais comme souvent chez Goldoni il n’est heureux qu’en apparence, il n’est pas dit que Donna Livia ait été apprivoisée par le faible Don Rinaldo, ce qui est bien loin de Shakespeare. Le machisme radical et efficace de Petruchio ne peut exister chez un amoureux goldonien. Il est éventuellement réservé aux pères, ou aux maris, autorisés à se montrer rustres. Les amoureux, souvent infidèles, volages, menteurs, joueurs, sont généralement faibles, plus proches d’un Des Grieux, comme le fait aussi remarquer Ortolani à propos de Rinaldo, que du vigoureux Petruchio shakespearien.
17L’hypothèse d’Ortolani serait donc infondée.
18Revenons toutefois sur ce que Goldoni dit exactement sur ses sources. Dans les Mémoires, il laisse entendre que la comédie a été inspirée par un caractère vrai, et que s’il avait dit qu’il s’agissait d’une comédie « inventée », c’était par précaution :
Le caractère principal de cette pièce étoit si méchant que les femmes n’auroient pas souffert qu’on le crût d’après nature, et je fus forcé de dire que c’était un sujet de pure invention31.
19Ce qui veut dire, en décryptant les non-dits goldoniens, que le caractère de Livia lui a été inspiré, comme à son habitude32, par les talents d’actrice et le caractère de la Seconde Amoureuse, Catarina Bresciani, laquelle, selon les Mémoires, aurait « affaibli le succès de l’ouvrage par sa mauvaise humeur33. » On notera toutefois que dans la Préface à la publication (L’autore a chi legge), il était moins affirmatif sur ce point : « J’ai fait le choix de ces extravagances, parce que l’imagination me les a suggérées, et parce que des aventures m’en ont fourni l’exemple », et il supplie les femmes « de ne pas lui en vouloir, s’il semble qu’il n’applique l’extravagance qu’au sexe féminin34 ».
20Les préfaces ne sont pas exemptes de rhétorique et de manipulation de la vérité. Mais pour une fois, je serais tentée de prendre ces mots au pied de la lettre, et de considérer qu’il y a bien eu une double source d’inspiration : la réalité et l’imagination, alimentée quant à elle par la lecture de la traduction française des œuvres de Shakespeare publiée par La Place entre 1746 et 1749, qui circulait sans aucun doute à Venise. En effet si l’on regarde de près le « sommaire » détaillé que La Place rédige pour la Mégère apprivoisée sous le titre de La Méchante femme corrigée35, on s’aperçoit que plusieurs éléments concernant la pièce enchâssée peuvent avoir alimenté l’imagination goldonienne et lui avoir fourni des éléments de dramatisation. C’est le cas, dans la première phrase, de la manière dont est formulée l’opposition entre les caractères des deux filles de Baptista, de la mention des prétendants de Bianca, et de la volonté du père de marier l’aînée avant l’autre, de la mention du peu de cas que Petruchio fait du caractère extravagant de Katharina, et surtout d’une longue phrase qui signale à l’attention du lecteur la scène centrale de la première confrontation entre les futurs époux :
Baptista, riche citadin de Padoue, a deux filles, Catherine et Bianca. L’une est d’un caractère hautain, revêche et emporté, qui écarte tous les Amans que sa beauté et l’opulence de son père lui attire. L’autre joint le caractère le plus doux à la figure la plus prévenante, et fait l’objet des vœux de tout ce que Padoue renferme de Cavaliers distingués. Gremio et Hortensio, qui soupirent depuis longtemps pour Bianca, la demandent en vain à son père, qu’ils trouvent résolu de ne point marier la cadette jusqu’à ce que l’ainée soit pourvue. […] [Baptista] lui propose Catherine, sans lui cacher aucune de ses mauvaises qualités. […]. On la fait appeler, et l’entrevue de ces deux amans offre une scène unique en son genre. Catherine y déploie toute l’aigreur de son caractère, menace, insulte et méprise souverainement Petruchio, qui sans en paraître démonté l’écoute de sang-froid et lui rend la pareille, lui ferme la bouche et conclut le marché avec le père sans la consulter davantage. Catherine frappée de la conformité d’humeur et de sentiments qu’elle remarque entre son amant et elle, consent à son tour, dans l’espoir de le faire repentir longtemps de sa témérité. Au jour indiqué pour le mariage, Petruchio […] se signale par mille extravagances36.
21Le passage « On la fait appeler… » peut avoir fourni le canevas de l’épisode du marquis Asdrubale à l’acte IV, qui devient une citation cachée du sommaire, développée et détournée. On peut même voir dans le titre choisi par Goldoni, évidemment calqué sur les multiples autres titres où il décline les qualités et les défauts des femmes37, un écho des « mille extravagances » que le sommaire de La Place prête à Petruchio. Goldoni se serait donc bien approprié les grandes lignes de l’intrigue shakespearienne telle que résumée par La Place, et les aurait développées en fonction de sa dramaturgie, de sa conception des caractères, de la troupe qui la représente et des attentes de ses spectateurs. Et l’on peut estimer aussi qu’il conserve la structure enchâssée shakespearienne, dont le sommaire rend bien compte (« Venons-en à la comédie »), non seulement à travers l’épisode-citation d’Asdrubale signalé plus haut, mais peut-être aussi avec le moment metathéâtral de la conversation littéraire (III. 4), fréquent dans l’œuvre goldonienne et qui a aussi une inspiration moliéresque, situé ici très précisément au milieu de la pièce. Le quartette des Amoureux (Don Properzio / Don Medoro / Livia / Rosa) y discute de façon critique autour de la précédente comédie de Goldoni, Il raggiratore38, inspirée par le Glorieux de Destouches, représentée au carnaval 1756. Or cette comédie avait fait l’objet d’une polémique acerbe et elle était « tombée » au grand regret de l’auteur : on reprochait à Goldoni d’y avoircopié,de façon trop ouverte selon ses détracteurs, le finale de Destouches39. La discussion du quartette de La donna stravagante, outre qu’elle rend l’épisode d’Asdrubale encore plus marginal, est donc intéressante par l’objet même de la discussion, l’imitation et les modèles, c’est-à-dire aussi la question de la source.
22Les choses se précisent et s’éclairent si l’on remonte à une autre comédie maudite, elle aussi fort peu étudiée, qui pourtant a fait l’objet d’une traduction française du vivant même de Goldoni40 : I malcontenti, comédie en prose cette fois, écrite en 1755, également pour la troupe du théâtre de San Luca, mais représentée à Vérone – pour des raisons de défection d’acteurs.
23La comédie I malcontenti est en fait la première version des Smanie della villeggiatura. L’action se situe à Milan. Les protagonistes sont Felicita et Grisologo, enfants du trop faible et insouciant Policastro, que son frère Geronimo, riche mais peu enclin à la badinerie, tient sous sa coupe, en les privant de villégiature depuis trois ans. Leurs voisins, Ridolfo et sa sœur Leonide, orphelins insouciants, à la mode, mais de ce fait ruinés, cherchent de l’argent pour pouvoir partir à la campagne41. C’est donc l’une des nombreuses comédies de villégiature que Goldoni égrène tout au long de sa carrière42, dans laquelle tous les personnages souffrent plus ou moins d’une névrose obsessionnelle43. Le personnage qui nous intéresse ici est Grisologo, atteint d’une névrose particulière, celle de l’écriture théâtrale. Comme il l’annonce à la fin de l’acte I à son père et à sa sœur, il a écrit une pièce, « une nouveauté tout à fait nouvelle, jamais vue sur le théâtre »44, grâce à laquelle il espère pouvoir gagner les douze sequins qui lui permettront, et à sa sœur, de partir sans l’aide de leur oncle. La fin du premier acte et tout le deuxième acte de la comédie sont parcourus par des allusions à cette pièce, et au milieu de l’acte II on assiste à une lecture, par Grisologo lui-même, d’extraits de la pièce devant les membres de la famille et quelques amis, certains très critiques. Ici la lecture, fort développée, constitue donc la scène métathéâtrale chère à Goldoni.
24Grisologo, qui disparaît dans la trilogie de 1761 pour laisser la place à un personnage plus tragique et passionné, le mélancolique Guglielmo, serait une caricature de l’abbé Chiari et sa pièce « nouvelle » une charge contre ses pièces en vers, romanesques et exotiques, qui triomphaient au théâtre de Sant’Angelo, celui que Goldoni avait servi jusqu’en 1753 sous la férule du capocomico Girolamo Medebach. Les pièces historiques de Chiari, où il prenait de grandes libertés avec les unités, avaient fait grand bruit à Venise dans les années immédiatement précédentes. Ainsi, la tragicomédie Il Colombo o l’America scoperta, aujourd’hui perdue, avait défrayé la chronique et suscité des polémiques innombrables autour des invraisemblances historiques et du decoro45. Et l’on sait qu’en 1755, le gouvernement lui-même dut intervenir pour faire cesser les guerres entre goldonistes et chiaristes. Or la pièce écrite par Grisologo, intitulée La vita di Cromwell protettore dell’Inghiterra, composta in caratteri, in versi (II.12), est, comme il l’annonce, « unetragi-comédie dans le goût anglais » (II.7), très précisément « dans le style de Sachespir » (sic)46, lequel, selon lui, « a été le premier à raffiner le théâtre de cette nation, et qui aujourd’hui, bien qu’il soit ancien, est très apprécié en Angleterre où il y a de très grands hommes47 ». Grisologo propose même une analyse du style de Shakespeare, lorsqu’il essaie d’expliquer à ses auditeurs ce qu’il s’efforce d’atteindre par l’imitation :
Une expression forte, vibrante, ampoulée, sonore, remplie de métaphores, de sentences, de comparaisons, grâce auxquelles tantôt je m’élève jusqu’aux étoiles, tantôt je m’abaisse, rasant le sol. Je ne me rends pas esclave de la dure loi des unités. Je mélange le tragique et le comique, et quand je fais des vers, je m’abandonne totalement à la fureur poétique, sans écouter la nature, à laquelle tant d’autres s’assujettissent scrupuleusement. Je crois avoir très bien suivi [mon modèle]48.
25Rien n’ébranle ses certitudes et sa confiance dans le succès : ni son père qui s’étonne qu’il parle de Shakespeare alors qu’il ne connaît pas l’anglais, ni les moqueries méprisantes de son oncle qui lui prédit un échec absolu (II.9), ni les critiques et les rires des auditeurs face aux vers ampoulés qu’il égrène (II.12).
26Grisologo est certes ridicule, sa pièce est certes pompeuse, la charge contre Chiari semble évidente même si Goldoni s’en défend dans la préface à la publication dans le tome IV de l’édition Pitteri en juin 1758, en cherchant à minimiser la virulence de sa satire antichiarienne :
Si quelqu’un s’imaginait qu’avec le personnage de Grisologo j’avais eu le courage de critiquer quelqu’un, je proteste qu’il se trompe certainement. J’ai trop de respect pour ceux qui écrivent, et pour qui, des années durant, a donné la preuve de son talent. Mon Grisologo est un débutant qui veut imiter un poète anglais, ce qui, de nos jours, ne se vérifie chez aucun de ceux que nous connaissons. Je le dis parce que le Monde se plaît trop à faire des commentaires sur nous qui nous exposons au public, et Dieu me garde de faire à d’autres ce que je ne voudrais pas qu’on me fît à moi-même49.
27Cette protestation d’innocence et de respect, où perce l’ironie, est peut-être moins perfide qu’il n’y paraît, surtout si l’on considère la dernière phrase. Si nous la rapprochons du souhait final de la scène metathéâtrale de La donna stravagante, et de ce qui préoccupait alors Goldoni – les accusations de plagiat ou de manque d’invention personnelle qui avaient fait chuter Il raggiratore –, elle perd sa charge destructrice, et est plus auto-centrée. Rapprochée aussi de la longue dédicace des Malcontenti, écrite pour la publication en 1758, elle pousse à se demander si Goldoni, à travers Grisologo, ne fait vraiment que dénoncer les délires pseudo-shakespeariens de l’abbé Chiari.
28Dans cette dédicace, adressée à son ami anglais, Sir Murray, ambassadeur à Venise de 1753 à 1766, et donc probable vecteur des auteurs anglais à Venise, Goldoni fait en effet clairement mention de ses lectures shakespeariennes « en traduction » :
Moi aussi, bien qu’ignorant cette langue, avec l’aide des traductions les meilleures, j’ai essayé de profiter en les observant sérieusement, ces valeureux Maîtres50.
29et il analyse longuement – et sérieusement - la liberté shakespearienne vis-à-vis des unités, en se déclarant particulièrement admiratif de la dramaturgie mixte et robuste du poète dramatique anglais dont, dans ce cadre, il orthographie parfaitement le nom :
Votre célèbre Shakespeare que l’on vénère tout autant sur les théâtres britanniques que sur les théâtres des autres nations, a uni en lui parfaitement la faculté tragique et la faculté comique. […] En effet dans ses œuvres on trouve une conduite si bien menée, une telle vérité dans les caractères, une telle robustesse dans les sentiments, qu’il peut servir d’équerre à tous ceux qui veulent entreprendre la carrière d’auteur. Il n’a pas observé dans ses œuvres cette scrupuleuse unité de temps et de lieu, qui bride tant l’imagination des Poètes51.
30Goldoni avait donc lu La Place, et sans doute en détail : ainsi Grisologo cite explicitement au cours de la lecture de son Cromwell, la tragédie de Richard III et les Joyeuses Commères de Windsor qui faisaient partie des tragédies et comédies entièrement traduites par La Place, dans les tomes II et IV, ainsi que le Songe d’une nuit d’été, qui faisait partie des abrégés. Il avait réfléchi sur la poétique shakespearienne, qu’il met habilement en parallèle avec celles d’Aristote et d’Horace, jugés par lui plus « nocifs qu’utiles52 » pour les auteurs modernes, ainsi qu’avec les tragédies d’Euripide, « bonnes parce que dessinées avec la seule aide de la raison et des mœurs de son temps53 ».
31Goldoni fait partie de ceux qui, au XVIIIe siècle, découvrent et apprécient la puissance de la dramaturgie shakespearienne, avant Giuseppe Baretti et Carlo Gozzi, peut-être dans le sillage d’un autre vénitien très européen, Francesco Algarotti, esprit éclairé qui nous a laissé des témoignages d’une connaissance directe de l’œuvre shakespearienne dès 173554. Il n’est donc pas hasardeux, ni excessif, de dire que La donna stravagante est issue du sommaire français de La Mégère apprivoisée, détourné intelligemment pour s’adapter à la dramaturgie de l’auteur, et qu’elle est l’occasion pour Goldoni de donner à son rival Chiari, une leçon de lecture et de réécriture shakespeariennes.
Notes
1 Giuseppe Baretti, Gli Italiani o sia relazione degli usi e costumi d’Italia (1768) (An Account of the manners and customs of Italy with observations on the mistakes of some travelers with regard to that country, by J. B.), dans Opere scelte, éd. Bruno Maier, Turin, UTET, 19721, II, p. 319. Faire disparaître les caractères intempestifs dans l’ensemble des notes.
2 Écrit en français et publié à Londres et à Paris alors même que le patriarche de Ferney était au comble de sa gloire. Discours sur Shakespeare et sur monsieur de Voltaire par Joseph Baretti, Secrétaire pour la Correspondance étrangère de L’Académie Royale Britannique, À Londres, chez J. Nourse, libraire du Roi, et à Paris, chez Durand neveu, 1777.
3 Giuseppe Baretti, Gli Italiani..., op. cit., II, p. 319.
5 Giuseppe Baretti, La Frusta letteraria, VIII, à propos du Discorso sopra le vicende della letteratura de Carlo Denina, dans Opere scelte, op. cit., I, p. 245. Carlo Denina reprochait à Shakespeare son manque de respect pour les sacrosaintes unités, Baretti rétorque que Shakespeare est « un poète qui peut tout seul affronter sans problème tous les Corneille, les Racine, les Molière des Gaules », et qui, bien après sa mort, continue de remplir les théâtres londoniens.
6 Ibid., p. 242 : « Nè si puo’ dire il caldo che m’ha fatto sentendolo parlare dell’inglese Shakespeare, come si parlerebbe di un Chiari, a cui è, per così dire, una specie di poetico miracolo quando gli esce dal cervello una cosa buona senz’essere accompagnata da due triste ».
9 Mercure de France, avril 1770, premier volume, p. 142-143 : « Après un éloge si pompeux, et si emphatique, qui ne s’attendroit à trouver dans M. Carlo Gozzi le premier poète de l’univers, un génie supérieur aux meilleurs écrivains modernes ? À quoi tout cela se réduit-il ? Parturient montes, nascetur ridiculus mus ».
11 Andrea Fabiano, « Le trame del corpo. I balletti pantomimi di Gozzi : prime osservazioni », in Andrea Fabiano (éd.), Carlo Gozzi entre dramaturgie de l’auteur et dramaturgie de l’acteur : un carrefour artistique européen, [Problemi di critica goldoniana, 13 (2007)], p. 172-186.
13 Carlo Goldoni, Tutte le Opere, éd. Giuseppe Ortolani, Milan, Mondadori, 1955, vol. VI, p. 1229. Gasparo Gozzi, frère de Carlo, et plus favorable à Goldoni, la voit deux fois « avec plaisir » (Lettre à son ami Mastraca, 11 février 1756).
14 Carlo Goldoni, Mémoires de M. Goldoni pour servir à l’histoire de sa vie et de son théâtre, II, XLII, éd. Norbert Jonard, Paris, Aubier, 1993, p. 419-420.
20 Cospetto (ou cospeto en vénitien) est une exclamation de surprise, ou d’énervement, proche du juron. En vénitien, el cospeton ou scopeton, équivaut aussi à ‘hareng’.
22 « Puisses-tu lui faire la cour et puisses-tu réussir. Mais ne sois pas désarmé par quelques mots malheureux », William Shakespeare, La Sauvage apprivoisée, Paris, Gallimard, 1959, p. 979, trad. François-Victor Hugo. Dans la même scène, Hortensio faisait aussi à Petruchio un portrait peu flatteur des emportements de Katharina qui lui avait rompu un luth sur la tête alors qu’il lui donnait une leçon de musique.
23 « Ric. : Ella è strana, signore. Mar. Lo sono al par di lei. / Ric. : I grilli suoi son perfidi. Mar.: Si cambrieranno coi miei. / Ric. : Suol sdegnarsi per nulla. Mar. : Mi sdegno anch’io per poco ».
27 Ortolani suggérait déjà un parallèle entre Donna Livia, Mirandolina, Ircana et Eugenia. Selon lui, « L’orgueil féminin de Mirandolina atteint chez [Livia] son paroxysme » dans sa déclaration finale d’abandon du monde (Carlo Goldoni, Tutte le opere, op. cit., p. 1230).
28 « Non crediate ch’io finga. Conosco il mio talento. / Pace aver qui non spera il mio temperamento. / Son fiera, intollerante, da mille smanie oppressa ; / Talor velo confesso aborrirei me stessa » (V.10). (Ne croyez pas que je simule. Je connais ma nature. / Mon humeur n’espère pas avoir ici la paix / Je suis fière, intolérante, agitée par mille passions. / Parfois, je le confesse, je me hais moi-même).
29 « Pria di gradir l’amore, pria di premiar l’amante, / Vo’ renderlo agl’insulti discreto e tollerante ; / Di un ordinario affetto il cuor mio non s’appaga./ Son delle cose insolite sol desiosa e vaga./ » (II.1).
30 « Ma nulla ho superato, se mi molesta amore. / Quando l’avrò veduto sarò contenta appieno, / Potrò più facilmente staccarmelo dal seno.[ …] E parmi cotal forza aver nel seno, / Da dirgli francamente : si’ don Rinaldo, addio./[...] Vo far del mio coraggio, vo far l’ultima prova ».
32 Entre 1749 et 1753, Teresa Medebach – Première Amoureuse du théâtre de Sant’Angelo-, inspire Goldoni pour La vedova scaltra, La putta onorata et La buona moglie, Pamela, La finta ammalata, Il contrattempo, puis c’est le tour des servette, Maddalena Marliani, pour la Serva amorosa, La Locandiera et La donna vendicativa, ou Giuseppina Campioni, l’Argentina de La cameriera brillante. Ginette Herry, « Le poète et la soubrette, ou l’impossible roman de Coraline », dans Carlo Goldoni-Luca Ronconi, La serva amorosa, Paris, Dramaturgie, 1987, p. 18-19 et 31-48.
33 La Première Amoureuse du théâtre de San Luca était Teresa Gandini, épouse de l’acteur Pietro Gandini, caratterista. Dans La sposa persiana, la Gandini jouait Fatima, la femme persane que le jeune Tamas doit épouser sur ordre de son père alors qu’il est amoureux de l’esclave circassienne Ircana, qui l’aime passionnément. Caterina Bresciani, dans le rôle de l’esclave en révolte, avait volé la vedette à la Gandini. Sur la troupe du théâtre de San Luca, et sur Caterina Bresciani, voir Anna Scannapieco, « ...’e per dir la verità, sinora la mia compagnia trionfa’. Sulle tracce dei comici goldoniani. Teatro di San Luca, 1753-1762)», in Stefano Mazzoni (éd.), Studi di Storia dello spettacolo. Omaggio a Siro Ferrone, Florence, Le Lettere, 2011, p. 292-301, et plus récemment Id., « Caterina Bresciani, chi era costei ? tragicommedia in tre atti con un prologo ed un epilogo», in Drammaturgia, Florence, 24/05/2013, http://drammaturgia.fupress.net/saggi/saggio/php?ed=5869.
34 « L'AUTORE A CHI LEGGE : « [...] Io ho fattoscelta di queste, perché la fantasia me le ha suggerite, e perché qualche avventura me ne ha offerto l'esempio. Supplico però le SignoreDonne non isdegnarsi meco, pensando che solo al loro sesso apponer voglia l'esserestravagante. Noi pure abbiamo la parte nostra, e credo che la bilancia non vaglia a traboccar da veruna parte. Fra le opere mie vi ho dipinti degli uomini stravagantissimi, e ciò basti per mia giustificazione presso quella carametà di mondo, di cui non sono mai statonemico » (Carlo Goldoni, Tutte le opere, op. cit., p. 99).
35 Théâtre anglois, traductions de P. A. Laplace, Londres, 1746-1749, tome IV, Analyses et Sommaire des tragicomédies et comédies de Shakespeare non traduites. La Méchante femme corrigée, comédie.
36 Ibid., p. 344.
37 Les femmes goldoniennes sont successivement : di garbo, volubile, vendicativa, gelose, di testa debole, di buon’umore, bizzarra, forte, di maneggio.
39 Il Raggiratore, dans Carlo Goldoni, Tutte le opere, vol. VI, op. cit., p. 9-11, L’Autore a chi legge : « Questa è una di quelle commediesfortunate in Venezia, che succedendo all’altre che avevano grandementeincontrato, ebbero la disgrazia di decadere ». (C’est une de ces comédies malheureuses qui, à Venise, succédant aux autres qui avaient eu du succès, eurent l’infortune de tomber).
40 Les Mécontens comédie traduite de I malcontenti de Carlo Goldoni, dans Théâtre d’un inconnu, par Charles Sablier,Paris, Veuve Duchesne, 1765. Avec La Suivante généreuse (La serva amorosa).
41 On trouve aussi un personnage de pique-assiette, Roccolino, proche du Ferdinando des Smanie della villeggiatura, qui serine à l’envi ses aventures et mésaventures de villégiature, attendant que Ridolfo et Leonide se décident.
42 Sur les comédies de villégiature, voir Françoise Decroisette, « Le fil rouge des villégiatures goldoniennes », Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, 9 (janv. 2012), p. 19-26.
43 Ridolfo, à qui Felicita n’est pas indifférente, pour trouver l’argent qui lui manque, incite Grisologo à dévaliser nuitamment le coffre de leur oncle ; Leonide, écervelée et jalousée par Felicita, ne tient plus en place à cause de la villégiature ; Policastro mange dattes sur dattes tout au long de la pièce, sans doute pour oublier le despotisme de son frère.
44 « si sono vedute delle commedie alla francese, alla spagnuola, all’italiana, e perfino alla foggia latina e alla foggia greca », (I.8). (On a vu des comédies à la française, à l’espagnole, à l’italienne, et même à la latine et à la grecque).
45 Sur cette pièce « perdue », Marco Catucci / Françoise Decroisette, « Le spectateur à l’œuvre : Il Colombo de l’Abbé Chiari (1753) à travers sa réception critique », in Françoise Decroisette (éd.), Les Traces du spectateur, Saint-Denis, PUV, 2006, p. 136-158.
47 « è stato il primo a dirozzare il teatro di quella nazione, e in oggi, quantunque antico egli sia, lo stimano assaissimo in Inghilterra, ove vi sono tanti grand’uomini ».
48 « una forza di dire vibrato ampolloso, sonoro, pieno di metafore, di sentenze, di similitudini, colle quali ora m’inalzo alle stelle, ora vo in terra radendo il suolo. Non mi rendo schiavo della dura legge dell’unità. Unisco il tragico e il comico insieme, e quando scrivo in versi m’abbandono intieramente al furor poetico, senza ascoltar la natura che con soverchi scrupoli viene da altri ubbidita. Io credo averlo seguito assai bene. » (I malcontenti, II.7).
49 « Se taluno s’immaginasse che col personaggio di Grisologo avessi avuto animo di cirticar qualcheduno, protesto che certamente s’inganna ; ho troppo rispetto per tutti quelli che scrivono, e molto più per chi ha dato saggio per molti anni del suo talento. Il mio Grisologo è un principante che vuol imitare un poeta inglese, locché ai di nostri non si verifica di nessun di quelli che conosciamo. Lo dico perché pur troppo dilettasi il mondo far scena sopra di noi che al pubblico ci esponiamo, e Dio mi guardi dal fare ad altri quello che non vorrei che fosse fatto a me stesso ».
50 « Anch’io quantunque ignaro di cotal lingua, coll’aiuto delle traduzioni migliori, ho studiato di profittare colle osservazioni più serie di tai valorosi Maestri (les auteurs anglais)».
51 « venerabile non meno sui teatri Britannici che presso le nazioni estere ancora, ha unito perfettamente in sè la Tragica et la comica facoltà. […] Infatti nelle opere sue trovasi tale artificio nella condotta, tal verità nei caratteri, talrobsutezza nei sentimenti, che puo’ servire di nottola a chiunque vuole intraprendere una tale carriera. Egli non ha osservato nelle sue opere quella scrupolosa unità di tempo e di luogo, che mette in angustia la fantasia dei Poeti », I malcontenti, dédicace, Opere scelte, op. cit., vol. V, p. 1019.
54 Analysant la tragédie de Voltaire La Mort de César pour l’abbé Franchini, envoyé de S.A.R. le Grand-duc de Toscane à Paris, Francesco Algarotti remarque : « In questa tragedia il Voltaire ha preso a imitare la severità del teatro inglese, e singolarmente Shakespeare, in cui dicesi, e con ragione, che ci sono errori innumerabili e pensieri inimitabili : faults inumerable and thougts inimitable ; del che è una riprova la medesima sua Morte di Giulio Cesare. E ben ella può credere che il nostro Poeta ha tolto di Shakespeare quello che di Ennio toglieva Virgilio » (« Dans cette tragédie Voltaire a imité la sévérité du théâtre anglais, et particulièrement Shakespeare, où dit-on, et avec raison, on trouve des erreurs innombrables et des pensées inimitables : faults inumerable and thougts inimitable, à quoi répond parfaitement sa tragédie sur la Mort de César. Et vous pouvez bien croire que notre Poète [Voltaire] a enlevé de Shakespeare ce que Virgile enlevait d’Ennius »). Algarotti revient ensuite sur la question en 1757 dans une lettre au marquis Muzio Spada, 23 juin 1757, où il analyse aussi la tragédie d’Addison, Cato, confrontée à Sertorius de Corneille. Voir Opere del conte Algarotti, Venise, Palese, 1794, IX, Lettere varie, 12 octobre 1735, p. 6-7, et 22 juin 1757, p. 316-321. Algarotti est à Londres en 1734.