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- > N°5 — Saison 2012-2013
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Richard III (ou presque)
Pièce du dramaturge australien Timothy Daly
Traduction Michel Lederer
Mise en scène Isabelle Starkier
Avec Daniel Jean et Pierre-Yves Le Louarn
Représentation à l’Esplanade du Lac à Divonne-les-Bains le vendredi 5 octobre 2012
Par Dominique Biot
Publication en ligne le 13 mai 2013
Texte intégral
Affiche de Richard III (ou presque)
© Star Théâtre / Cie Isabelle Starkier
et nous sentons alors que nous pourrions nous aussi devenir comme Richard, et même que nous le sommes déjà à une petite échelle. Richard est un agrandissement gigantesque de ce côté que nous trouvons également en nous1
Deux hommes sont en prison, un ancien avocat et un tueur à gage en phase de repentance ; le spectateur se doute que ces deux là ont eu affaire ensemble, mais il faut attendre la fin de la pièce pour découvrir la sordide histoire du crime minable et raté qui les lie. D’une façon aléatoire et imprévisible retentit une sonnerie signalant le début du jeu : une feuille tombe du ciel de leur cellule et leur indique une scène de Richard III qu’ils doivent jouer jusqu’à ce que le signale sonore les interrompe de nouveau. Seuls accessoires pour passer de la cellule à la scène, une toute petite estrade carrée sur laquelle ils montent, des morceaux d’étoffe rouge, tour à tour écharpe où loger le bras infirme de Richard, bandage pour sa jambe claudicante, chapeau, éventail ou jupe de Lady Anne.
Bernard (Pierre-Yves Le Louarn) et Guy Laurence (Daniel Jean)
© Jean-Pierre Benzekri
2Nos deux comparses jouent d’abord sans réfléchir des scènes qui paraissent comme des saynètes décousues : un extrait du monologue de Richard ; la cour insolente qu’il fait à Lady Anne alors qu’elle enterre son mari dont il a commandité le crime ; Lady Anne cédant à Richard qui exulte ; la reine Elizabeth tenant au tyran des propos acerbes et lucides ; les meurtriers à la solde de Richard hésitant au moment de commettre leur crime.
3Chaque scène de Richard III est entrecoupée du retour à la cellule : les codétenus discutent de ce qu’ils jouent, l’avocat se livre à des analyses littéraires du personnage de Shakespeare tandis que le tueur à gage, moins à l’aise avec le verbe, travaille sa faconde en notant dans un petit carnet les propos de son compagnon d’infortune. Le va-et-vient d’une scène à l’autre permet une réflexion sur leur jeu de l’acteur et, peu à peu, s’éclaire le lien entre ce qu’ils jouent et leur vie : ils sont eux aussi des Richard III. Le petit espace réservé au jeu de la tragédie shakespearienne déborde sur le grand plateau, la sonnerie a des ratés qui oblige les acteurs à répéter jusqu’à la folie les répliques évoquant le remords et la mauvaise conscience.
4Le procédé du théâtre dans le théâtre est ici particulièrement réussi et la métamorphose des comédiens à chaque sonnerie est une prouesse remarquable. Daniel Jean et Pierre-Yves Le Louarn ne dépensent pas en vain leur belle énergie, chacun incarnant par ailleurs un type de jeu différent : tout est dans la parole pour l’un, tout est dans le corps pour l’autre.
5Cette adaptation de la tragédie de Shakespeare ne traite pas du pouvoir d’un individu hors norme mais pointe du doigt les petites lâchetés quotidiennes de tout un chacun et la façon dont l’individu, par un dosage savant de compromission, d’irresponsabilité et de déni, feint de les méconnaître.
Notes
1 . Sigmund FREUD, L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, collection « Folio essais », 1985, p. 45.