Shakespeare enchâssé, ou le succès de Lavaudant à l’amphithéâtre de Fourvière
La Tempête…, représentation du 4 juin 2010,

Par Le coup d’œil anonyme
Publication en ligne le 13 octobre 2010

1Théâtre gallo-romain de Fourvière (Lyon) : La Tempête… de George Lavaudant ouvre, avec brio, la 64ème saison du Festival « Les Nuits de Fourvière » dont la programmation s’est toujours accordée avec les représentations en plein air que permet l’amphithéâtre. Pour Georges Lavaudant, le souffle poétique de la langue de Shakespeare, « surtout dans la nouvelle traduction de Loayza1 », se prête particulièrement au plein air.

2Sur la scène du théâtre antique, dès les trois coups de brigadier ou, plus justement, dès les grondements fulgurants de l’orage et la frayeur qu’ils suscitent chez Miranda, la mise en scène de Lavaudant exerce son pouvoir et transporte son public.

Image1

Prospéro (André Marcon) et Miranda (Janaïna Suaudeau).
Photo : Loll Willems

3Des faisceaux lumineux symbolisent les éclairs zébrant le ciel tandis que la bande-son donne à entendre le bouillonnement des flots. Simultanément, un cercle lumineux, symbole traditionnel de l’île – et du « wooden O » –, se détache sur le plateau plongé jusqu’alors dans l’obscurité : la magie opère déjà et la « traversée2 », pour reprendre la métaphore de Lavaudant, ne sera pas houleuse, mais agitée tout de même car il faudra traverser deux pièces : La Tempête et Le Songe.

L’originalité de Lavaudant : jeu de substitution et mise en abyme

4C’est sans doute ce que les points de suspension du titre de l’adaptation de Lavaudant laissent entendre : derrière La Tempête se profile une autre pièce shakespearienne, Le Songe. L’originalité de Lavaudant, c’est d’exploiter les possibilités de mises en abyme qu’offrent les deux pièces et de jouer avec, de nous faire entrer dans un jeu de substitution : Le Songe se substitue au masque donné par Prospéro pour le mariage de Miranda et Ferdinand – comme dans Le Songe la pièce de Pyrame et Thisbé est jouée pour le mariage de Thésée et d’Hippolyte. Remplacer un masque, présidé par de nobles figures mythologiques et célébrant doublement union maritale et pouvoirs magiques employés à bon escient, par une comédie sur le désir et ses fluctuations, et où magie et amateurisme génèrent des quiproquos cocasses, il fallait y penser… et l’oser !  

Une atmosphère onirique

5Jeux de lumière en guise de décor, sonorités aux antipodes les unes des autres –  passant des chants d’oiseaux à une chanson de Claude François –, musique baroque côtoyant des intermèdes de danse façon « disco » : l’atmosphère créée est à la fois inattendue et irréelle.

6Les costumes de riches étoffes portés par les nobles napolitains et milanais contrastent avec les habits déjantés – comme le sont parfois les éléments de nos propres rêves – des marins, affublés à la fois de marinières et de culottes bouffantes, et des fées, évoquant davantage des travestis que la Fée Clochette, avec leurs bas résille, leurs talons hauts, leurs perruques et leurs bustiers façon Jean-Paul Gautier. Quant à Caliban, revêtu d’une seconde peau trouée par endroit, il est hideux à souhait surtout quand il revêt un morceau de plastique transparent pour se protéger de l’orage. Si la pièce était olfactive, on s’écrierait probablement nous aussi : « C’est carrément du poisson, ça sent la criée3 ».

7Tout comme les costumes, l’atmosphère se modifie au gré de variations inattendues : le cercle lumineux qui figure l’île  dans La Tempête se mue, comme par enchantement, en prairie fleurie dans Le Songe.

Un régal pour les comédiens : les rôles multiples

8Comme au temps de Shakespeare, les comédiens, pour la plupart, incarnent plusieurs rôles (jusqu’à quatre pour certains) : maître du registre ducal ou royal, André Marcon incarne à tour de rôle les deux personnages dotés de pouvoirs magiques et qui tirent les ficelles, Prospéro et Obéron, ainsi que Thésée. Quant à François Caron, seule la distribution révèle qu’il est à la fois le roi de Naples, le père d’Hermia, une fée-travesti et un décor, celui du mur de Pyrame et Thisbé. Manuel Le Lièvre, lui, oscille avec bonheur entre l’esclave rebelle Caliban et Puck, le lutin espiègle.

Un régal pour les spectateurs : Astrid Bas

9La sveltesse d’Astrid Bas et la fluidité de ses déplacements confèrent à Ariel toute sa qualité d’esprit aérien. Elle est, à la fois, côté cour, côté jardin, comme «  le vent sur la montagne4 », occupant toute l’île – je veux dire toute la scène. Elle ne s’immobilise que pour faire tinter des clochettes qui nous révèlent que les pouvoirs surnaturels de Prospéro sont à l’œuvre. Quant à sa gracilité, elle lui permet de faire office de plateau avec, sur son dos, une splendide corbeille de fruits symbolisant le festin et servant à merveille le trompe-l’œil du banquet offert aux naufragés.

10La Tempête revisitée par Georges Lavaudant ? Métathéâtre, mises en abyme, effets de miroirs, résonances, bref, art du spectacle… ou, plus simplement, pour le spectateur : jubilation ! C’est le propre terme du metteur en scène qui confie, dans ses propos liminaires, que cela a été pour lui une « jubilation » de revenir  à l’amphithéâre gallo-romain pour y mettre en scène « enchâssées l’une dans l’autre, deux des plus célèbres pièces de Shakespeare La Tempête et Le Songe d’une nuit d’été5 ».

Notes

1  Programme, « Entretien avec Georges Lavaudant ».

2  Id., propos liminaires du metteur en scène.

3  William Shakespeare, La Tempête, Préface et traduction d’Yves Bonnefoy, édition bilingue, acte V, scène 1, p. 345.

4  Ibid., acte I, scène 2, p. 153.

5  Programme, propos liminaires.

Pour citer ce document

Par Le coup d’œil anonyme , «Shakespeare enchâssé, ou le succès de Lavaudant à l’amphithéâtre de Fourvière», Shakespeare en devenir [En ligne], N°2 — Saison 2009-2010, L’Oeil du Spectateur, Espace Libre : autour de La Tempête, mis à jour le : 13/10/2010, URL : https://shakespeare.edel.univ-poitiers.fr:443/shakespeare/index.php?id=455.