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Volet 1. Helsingør, Château d’Hamlet, et l’on oublie le temps …
Compagnie Emersiøn, Léonard Matton (9 mai 2024)
Par Estelle Rivier-Arnaud
Publication en ligne le 14 décembre 2024
Article au format PDF
Volet 1. Helsingør, Château d’Hamlet, et l’on oublie le temps … (version PDF) (application/pdf – 984k)
Texte intégral
Helsingør, Château d’Hamlet
Création
Traduction, adaptation et mise en espaces : Léonard Matton
Assistanat et dramaturgie : Camille Delpech
Création musicale : Claire Mahieux
Création univers sonore : Enzo di Meo, Clément Hubert, Claire Mahieux
Régie sonore : Enzo di Meo, Clément Hubert, Claire Mahieux, Théo Cardoso
Création costumes : Chouchane Abello assistée de Jean Doucet, Jérôme Ragon
Régie générale : Stéphane Maugeri, Matthieu Desbourdes
Régie lumières : Mohammed Mokkaddemini, Ugo Perez, Chloé Roger
Relation public et billetterie : Florianne Delahousse, Joanna Flahault, Carla Girod
Maître d’armes : Pierre Berçot
Décors et accessoires : A2R Compagnie — Antre de Rêves
Production : Mathilde Gamon assistée de Fanny Laurent et Kamir Amrani
Comédiens
Bernardo et Rosencrantz : Anthony Falkowsky ou Thomas Gendronneau
Claudius : Roch-Antoine Albaladéjo ou Loïc Brabant
Gertrude : Zazie Delem ou Claire Mirande
Hamlet : Benjamin Brenière, Gaël Giraudeau ou Stanislas Roquette
Horatio : Cédric Carlier ou Laurent Labruyère
Laërte et un comédien : Mathias Marty ou Matthieu Protin
Marcellus et Guildenstern : Jérôme Ragon ou Hervé Rey
Ophélie : Camille Delpech ou Marjorie Dubus
Polonius et Fou : Dominique Bastien ou Jean-Loup Horwitz
Spectre, un comédien et Fossoyeur : Michel Chalmeau et Jacques Poix-Terrier
Figure 1. Hamlet (Gaël Giraudeau). Helsingør, Château d’Hamlet.
Crédits. Eric Sanger-Monteros.
Entrer dans un lieu
1Vivre une aventure immersive se joue avant même d’être entré dans l’espace dédié à la représentation. Après avoir traversé la grande cour du Château de Vincennes, être passés non loin de la chapelle tout juste rénovée, nous sommes accueillis par un homme vêtu d’un long manteau noir qui nous souhaite la bienvenue « aux noces de Gertrude et Claudius ». Nous passons les douves et un autre groupe de personnes nous confie un petit bracelet de couleur et promet de prendre soin de notre téléphone portable qui sera mis en réserve pendant la déambulation. Puis, nous sommes conduits dans l’enceinte principale du château où il est possible de prendre une collation … Les festivités sont sur le point de commencer.
2La création de Helsingør, Château d’Hamlet remonte à 2018, après que Léonard Matton, jeune metteur en scène issu d’une famille d’artistes1, trouve un lieu — une ancienne friche industrielle au cœur du 5e arrondissement de Paris — où il peut envisager de voir son projet mis en œuvre. Il baptise le lieu : « Le Secret ». Si adapter Shakespeare en théâtre immersif est une expérience connue outre-manche, grâce notamment à Sleep no More de la compagnie Punchdrunk2, le projet relève de la gageure en France. En effet, imaginer l’intrigue du prince danois dans un espace sans frontières entre spectateurs et comédiens paraît très ambitieux car le public français est plus coutumier des salles obscures, dans le confort de la pénombre et de l’anonymat3. Pourtant, le projet rencontre un franc succès, et s’il s’interrompt lors de la fermeture des théâtres pendant la pandémie, il trouve un autre lieu en 2021, au Château de Vincennes, avec le soutien du Ministère de la Culture et des Monuments historiques.
3Le site du Château de Vincennes relève du patrimoine français et est soumis à un usage réglementé, mais il est aussi un lieu idéal pour une pièce comme Hamlet dont l’intrigue est supposée se dérouler au Danemark, au sein du château d’Elseneur, ou « Elsinore » comme mentionné dans la pièce de Shakespeare. Léonard Matton entend ainsi utiliser le décor naturel du château pour y faire évoluer l’action. Celle-ci est découpée en plusieurs mouvements qui ne suivent pas la chronologie habituelle. Le spectateur n’en connaîtra donc que quelques épisodes selon son parcours dans le château. C’est le principe même du théâtre immersif que de laisser déambuler le « public » de façon libre au sein d’une action qu’il approche au plus près, sans jamais s’assoir (ou presque) et sans distanciation. Même s’il n’est pas costumé ni fardé comme le sont les comédiens, il fait alors partie intégrante de la représentation. Le nommer « spect-acteur » est donc beaucoup plus approprié pour décrire son rôle.
4Après la collation, une cloche se fait soudain entendre et, dans les hauteurs du château, une voix caverneuse — identifiable à celle du spectre — indique aux badauds les modalités de déambulation qu’il conviendra de respecter. Il faudra d’abord que chacun, selon la couleur de son bracelet, se range sous le porte-enseigne de la même couleur ; chacun sera ensuite guidé dans une salle spécifique du château où une scène sera jouée. Après seulement, chacun sera libre de suivre tel ou tel personnage dans un autre lieu de l’édifice.
Figure 2. Suivre ou se perdre ? Telle est la question.
Crédits. Mélanie Dorey.
Une expérience individuelle …
5Me voici donc plongée dans la chambre d’Ophélie pour débuter mon voyage dans la tragédie. Dans une petite salle éclairée de bougies, Ophélie (alternativement Marjorie Dubus et Camille Delpech) lit les lettres qu’elle a reçues d’Hamlet (alternativement Benjamin Brenière, Gaël Giraudeau et Stanislas Roquette). Elle est allongée lascivement sur un lit rond non loin duquel une table et un miroir lui serviront de coiffeuse plus tard dans son chemin vers la folie … mais pour l’instant, elle semble réjouie de l’amour que lui porte le prince et ni son frère Laërte (Mathias Marty ou Matthieu Protin), ni son père Polonius (Dominique Bastien ou Jean-Loup Horwitz) ne pourront rien y changer. Nous autres, présents dans la scène, observons les échanges animés qui s’ensuivent entre père, fils et fille, sans oser intervenir quoique nous nous sentions quelque peu impliqués lorsque nous croisons le regard sévère de l’un, soumis ou implorant de l’autre, au fil des répliques. Mon choix sera de suivre Polonius, par un escalier de pierre qui n’en finit pas de monter, pour me retrouver quelques étages plus haut, là où d’autres spectateurs ont assisté au banquet de Claudius et Gertrude.
6L’expérience est unique ensuite car, bien sûr, au gré des envies, nous nous retrouvons à assister à certains épisodes de l’intrigue aux dépens d’autres. Au terme de ma déambulation, j’aurai, par exemple, été témoin de l’échange entre Hamlet et Gertrude (Zazie Delem ou Claire Mirande) dans la chambre privée de celle-ci, d’une scène où Ophélie lit les lettres d’Hamlet, de la rencontre des comédiens avec Hamlet en présence de Polonius, Guildenstern et Rosencrantz, de la scène dite de « la Souricière » où surgit Ophélie outrageusement fardée et déjà prise de folie, puis de sa mort en public dans la cour du château, la gorge tranchée (fin beaucoup plus spectaculaire), enfin de la scène de dénouement qui réunit l’ensemble des « spect-acteurs » dans la cour du château.
Figure 3. Scène finale dans la cour du Château de Vincennes.
Crédits. Compagnie Emersiøn.
... et collective
7La déambulation ne dure qu’une heure et quart, mais nous en ressortons épuisés d’avoir grimpé et descendu les marches de nombreuses fois, nous perdant parfois dans une petite alcôve isolée ou dans une salle laissée vide… L’esprit est cependant toujours en éveil car, outre l’attention portée à une scène, nous pouvons aussi choisir d’emprunter le tour de ronde sans chercher à y croiser un personnage, ou bien de feuilleter un ouvrage et d’observer les détails du décor, ou bien encore de s’installer à la coiffeuse d’Ophélie, la regarder se poudrer, lire ses lettres en s’asseyant sur ce même lit où nous l’avons vue précédemment, simplement pour le plaisir de s’immerger dans l’histoire de Hamlet et se fondre dans l’ombre inquiétante du château.
8Jeunes et moins jeunes y trouveront un intérêt unique : le théâtre immersif est un lieu de partage, tout autant qu’un espace de subjectivité. Il faut le vivre plusieurs fois pour se rendre compte de la façon dont il engage la diversité des points de vue. Une prochaine fois, je commencerai par la scène où apparaît le spectre de feu Hamlet sur la passerelle surplombant la cour intérieure, et mon parcours sera tout autre. Tout autres seront aussi ma compréhension de la pièce et des motivations de ses personnages. C’est cela l’intérêt : vivre l’œuvre de manière singulière — aussi bien individuelle que collective — lors de chaque plongée dans le monde de Shakespeare.
Figure 4. Hamlet (Stanislas Roquette). Un public intergénérationnel et attentif lors de la scène finale.
Crédits. Compagnie Emersiøn.
Bibliographie
Sites à consulter :
Helsingør, Château d’Hamlet à Paris : URL.
Helsingør, Château d’Hamlet à Vincennes : URL.
Le Fléau, Mesure pour Mesure dans le Domaine du Palais-Royal : URL.
Compagnie Emersiøn : URL.
Trailer de Helsingør, Château d’Hamlet : URL.
Trailer de Le Fléau, Mesure pour Mesure : URL.
Site web du projet « Nuit » : URL.
Publications :
Helsingør, Château d’Hamlet d’après William Shakespeare, L’avant-scène théâtre, Libraire théâtrale, n°1481, 2020.
Le Fléau, Mesure pour Mesure d’après William Shakespeare, L’avant-scène théâtre, Libraire théâtrale, n°1562, 2024.
GIROUD, Chloé et Rivier-Arnaud, Estelle, « S’immerger dans Hamlet : entretien avec Léonard Matton, metteur en scène de Helsingør, Château d’Hamlet, in Estelle Rivier-Arnaud (dir.) Mises en je(u) de Hamlet, Prince of Denmark, Presses universitaires de Nanterre, coll. « Intercalaires », 2023, p. 183-200.
GIROUD, Chloé, « Lire Shakespeare autrement : un texte immersif », in Léonard Matton Le Fléau, Mesure pour Mesure, L’avant-scène théâtre, n°1562, 2024, dossier I de la préface (n. p.).
Notes
1 Fils de Charles Matton, artiste, et de Sylvie Matton, autrice et frère de Jules, compositeur.
3 Yves Bonnefoy avait déjà eu une idée similaire dans « Première ébauche d’une mise en scène d’Hamlet » et « Hamlet en montagne », L’heure présente. Paris, Mercure de France, 2011, p. 63-78. À ce sujet, voir également Pascale Drouet, « L’heure présente et Hamlet : dialoguer, dialoguer encore avec Shakespeare », in Yves Bonnefoy. Poésie et dialogue, Textes réunis par Michèle Finck et Patrick Werly, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2013, p. 231-246.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Estelle Rivier-Arnaud
Droits d'auteur

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