« The Last Elizabethan1 » : Ressusciter les morts avec Thomas Lovell Beddoes et T. S. Eliot

Par Kit Kumiko Toda
Publication en ligne le 10 février 2022

Résumé

Thomas Lovell Beddoes (1803-49), dubbed “the Last Elizabethan” by Lytton Strachey, almost exclusively wrote Jacobean-style verse drama and poems, while the first performance The Confidential Clerk (1953) by T.S. Eliot (1888-1965) was hailed in a review with the headline: ‘Elizabethan Verse Drama at Edinburgh’. Although they were writing plays around a hundred years apart, Beddoes and Eliot both positioned themselves as heirs to Elizabethan and Jacobean drama. The parallels in these efforts to recreate a re-naissance of verse drama was such that Ezra Pound even commented in “Canto LXXX”: “Curious, is it not, that Mr Eliot/ has not given more time to Mr Beddoes/ (T.L.) prince of morticians”. This article examines these two writers and their profound links to Early Modern drama. Through a comparative analysis of their theory and praxis, this study attempts to explain why Eliot did not give “more time to Mr Beddoes”.

Thomas Lovell Beddoes (1803-49), surnommé « le dernier des Élisabéthains » par Lytton Strachey a presque exclusivement écrit des poèmes et des pièces de théâtre de style jacobéen, tandis que la première représentation de The Confidential Clerk (1953) de T.S. Eliot (1888-1965) fut saluée dans un article intitulé « Elizabethan Verse Drama at Edinburgh ». Bien qu'une centaine d'années séparent les œuvres de Beddoes et Eliot, ils se sont posés tous deux en héritiers du théâtre élisabéthain et jacobéen. Leurs tentatives de recréer une renaissance du drame en vers présentent des similitudes si frappantes qu'Ezra Pound a même remarqué dans « Canto LXXX » : « Curious, is it not, that Mr Eliot / has not given more time to Mr Beddoes/(T.L.) prince of morticians ». Cet article propose d’examiner ces deux écrivains et leurs rapports profonds avec le théâtre anglais des débuts de l’époque moderne. À partir d’une analyse comparative de leurs approches théoriques et de leur praxis, cette étude tentera d'expliquer pourquoi Eliot n’a pas accordé davantage de temps à Beddoes.

Mots-Clés

Table des matières

I.
II.

Texte intégral

1Cet article compare deux poètes dramaturges, auteurs de poèmes et de pièces de théâtre en vers, qui se sont posés, à près de cent ans d'intervalle, en héritiers littéraires des dramaturges élisabéthains et jacobéens2. Le premier est T. S. Eliot (1888-1965), grand poète de la littérature moderniste surnommé par Delmore Schwartz le « dictateur littéraire3 » ; le second, Thomas Lovell Beddoes (1803-1849) est une figure relativement obscure du dix-neuvième siècle que Lytton Strachey définit comme « poète extraordinaire qui échoua presqu’entièrement à être reconnu de quelque façon que ce fût4 ».

2S’il est vrai que Beddoes n’a jamais joui d’une grande renommée, l'énergie macabre de ses vers a ses admirateurs. Ceux-ci tentent régulièrement de raviver l'intérêt pour ses œuvres : un petit recueil de poèmes et deux pièces de théâtre en vers (The Bride's Tragedy (1822) et Death's Jest-Book (1850)) publiés à titre posthume. Outre Ezra Pound et Lytton Strachey, Beddoes peut s'enorgueillir de compter parmi ses défenseurs d’illustres noms tels que le professeur Sir Christopher Ricks et le poète John Ashbery qui a admiré son art « malsain et vivant5 ». Au fil des années, le nombre de lecteurs intéressés par Beddoes est resté modeste mais constant comme en témoigne les travaux tels que Michael Bradshaw6.

3Malgré la forte disparité de la réception de leurs œuvres, les deux poètes partagent des similitudes : ils se sont tous deux efforcés d'écrire des drames en vers, ont partagé un intérêt profond et constant pour le théâtre élisabéthain et jacobéen, et ont éprouvé une fascination pour la mort et le macabre. C'est, semble-t-il, la raison qui poussa Ezra Pound à s’interroger dans son « Canto LXXX » (1949) :

Curious, is it not, that Mr Eliot
has not given more time to Mr Beddoes
(T.L.) prince of morticians
7

4Notre problématique est donc inspirée d’Ezra Pound : à partir de l’analyse et de la comparaison des approches théoriques et de la praxis de Beddoes et d’Eliot, cet article tentera d'expliquer pourquoi Eliot n’a pas accordé davantage de temps à Beddoes.

5Cette indifférence « curieuse » est d'autant plus surprenante que, dès 1968, Northrop Frye insistait lui aussi sur les nombreuses similitudes entre Eliot et Beddoes. Il souligne notamment leur prédilection à combiner tragique et comique que l’on pourrait qualifier de grotesque8. Il va jusqu'à suggérer que les personnages de Beddoes vivent dans un monde souterrain à l’instar de ceux de The Waste Land9 et que le génie de l’auteur le pousse vers la même épopée de la fragmentation créative qu’Eliot10. De plus, la strophe d'Eliot sur John Webster dans « Whispers of Immortality » contient l'image qui incarne l'humour macabre de la tragédie jacobéenne, le rictus du squelette sans lèvres (« lipless grin »). Ces mots, note Ricks, apparaissent également dans le Death's Jest-Book de Beddoes11. En voici un extrait plus large, et non dépourvu de ce brin d’humour noir caractéristique de l’auteur, à propos des écrivains et des critiques :

Isbrand: […] Come candidates, the cap and bells are empty.
The Lady: Those you should send to England, for the bad poets and the critics who praise them.

Isbrand: Albeit worthy, those merry men cannot this once obtain the prize. I will yield Death the crown of folly. He hath no hair, and in this weather might catch cold and die: besides he has killed the best knight I knew, Sir Wolfram, and so is doubly deserving. Let him wear the cap, let him toll the bells; he shall be our new court-fool: and, when the world is old and dead, the thin wit shall find the angel’s record of man’s works and deeds, and write with a lipless grin on the innocent first page for a title, ‘Here begins Death’s Jest-book.’ (II.3.105-117)12

6Cependant, on ne trouve dans l'édition numérique du Complete Prose of T. S. Eliot, édition rassemblant plus de cinq décennies de travail et plus de mille compositions, guère plus de trois références à Beddoes. Il ne s’agit que de simples références secondaires à son travail : aucun des trois articles d’Eliot ne porte sur Beddoes. En 1919, dans un article sur Swinburne, Eliot mentionne Beddoes en affirmant que la célèbre notion de « l’unification de la sensibilité » est absente de l’œuvre de Beddoes, bien qu’il ait adopté le style jacobéen13. Dans « The Three Voices of Poetry » (1953), il adapte deux vers de Beddoes dans un sens différent afin de discuter du processus de composition d’un poème14. La référence la plus pertinente pour cette question se trouve dans un petit article méconnu, publié en 1920 dans The Athenaeum, à propos d’une pièce de théâtre en vers de son ami John Middleton Murry :

Nor could Mr. Murry, for instance, content himself to plunge into Tudor literature and produce a Death’s Jest Book or a Duke of Gandia. He is too keenly aware of his precise place in time to care to perform any, however lovely, literary exercise. He wishes to do the difficult thing15.

7Cette déclaration quelque peu dédaigneuse permet d’esquisser un début de réponse à notre problématique. Si l’article s’attache essentiellement à traiter de l’absence de ce qu’il nomme un « cadre » pour le drame en vers dans la société d’alors, cette approche n’explique pas pourquoi le travail de Beddoes est discrédité et qualifié de simple « exercice littéraire16 ». Et ce même article qui rejette Beddoes témoigne d’une autre similitude avec lui. Il y décrit sa propre analyse de Murry comme une opération chirurgicale : « to have a patient like Mr. Murry extended on an operating table ; we need our sharpest instruments, and steadiest nerves, if we are to do him justice17». Le choix de cette analogie conviendrait à Beddoes, médecin et anatomiste, dont l’œuvre tente de réaliser une unification de la science et de la poésie dramatique.

I.

8La description frappante qu'Ezra Pound a faite de Beddoes dans son Canto est amplement méritée. Ses œuvres sont des hommages aux tragédies de début du xviie siècle, à tel point qu'elles donnent l'impression d'être des fragments d'une pièce de théâtre jacobéenne redécouverte plutôt que des œuvres d'un poète du xixe siècle. Pour le prince des croque-morts, cependant, la fascination évidente pour le drame jacobéen ne semble pas tant provenir d’une inclination pour les choses du passé que d'être, comme Eliot l'a dit de John Webster, « possédé par la mort18 ». Presque tous ceux qui ont écrit sur Beddoes n'ont pu s'empêcher d'ajouter au moins un ou deux détails biographiques saisissants de sa vie atypique, notamment parce qu’elle-même se lit comme celle d’un aventurier et d'un mécontent jacobéen. Une indication de sa nature farfelue peut être trouvée dans le fait que la biographie de Beddoes de 1928 est sous-titrée (l’ordre est révélateur) « Eccentric and Poet », et qu'un article fut publié sur lui en 1943 dans The Psychiatric Quarterly. Et quoique ces études psychiatriques aient sans doute été encouragées par la pathologisation de la probable homosexualité de Beddoes, comme le montre le résumé biographique qui suit, sa réputation d'excentrique resterait forte aujourd'hui.

9Beddoes était le fils d'un médecin et professeur de chimie, le Dr Thomas Beddoes, lui-même excentrique de renom qui, constatant la faible incidence de la tuberculose chez les bouchers, aurait fait porter des vaches à sa clinique pour les encourager à respirer sur ses patients19. C’était un ami de William Wordsworth et, comme lui, Dr Beddoes manifesta un enthousiasme controversé pour la Révolution française, ce qui lui valut d'être invité à quitter son poste à Oxford. C'est au sein de cette intelligentsia progressiste que Thomas Lovell Beddoes a passé son enfance. Après avoir été scolarisé à Charterhouse (une prestigieuse école privée) et à Pembroke College, Oxford, Beddoes s'est rendu à l'université de Göttingen pour y étudier la médecine, bien décidé à découvrir une preuve biologique de l'existence de l'âme. Malheureusement, il est expulsé de Göttingen pour ivresse publique et termine ses études à Würzberg. Par la suite, il erre à travers l’Europe en tant que médecin itinérant puis s’installe à Zürich. Mais Beddoes a hérité de l'enthousiasme de son père pour la politique révolutionnaire et il expulsé de la ville pour avoir propagé des idées politiques radicales20.

10C'est à l’âge de 45 ans qu’il succombe à son état de santé mental et physique de plus en plus instable, après avoir ingéré du curare, un puissant narcotique provenant des tribus autochtones de l’Amérique du Sud. Son testament contient un exemple posthume de son humour mordant et macabre : le leg de cinquante bouteilles de champagne Moët pour que l’on puisse » boire à [sa] mort », et de vingt livres sterling à son ami et médecin le Dr Ecklin pour qu'il puisse acheter l’» outil d’aspiration gastrique de Reade21 ».

11Il n'est donc peut-être pas surprenant que Beddoes ait été si fasciné par le drame jacobéen, ce répertoire jonché de cadavres. Non seulement les morts y sont nombreux, mais la vie et la mort s’y entremêlent d’une façon troublante, les morts refusant souvent de rester à leur place. Dans The Revenger’s Tragedy (1606) de Thomas Middleton, le squelette de Gloriana est habillé et du poison est peint sur son rictus sans lèvres, permettant l’assouvissement d’une vengeance posthume sur son assassin, le Duc, qui l’embrasse dans l’obscurité pensant que c’est une jeune paysanne qu’il peut déflorer22. Dans The Second Maiden’s Tragedy (1611) de Thomas Middleton, un sort similaire est réservé au cadavre de la femme qui est déterré, orné et peint avec du poison. Dans The White Devil (1612) de John Webster, le fantôme de Bracciano apparaît tenant un pot de lys où se trouve un crâne pour jeter de la terre sur Flamineo, annonçant sa mort. Et dans Bussy d'Ambois (1603) de Chapman, le prêtre, un nécromancien qui manipule le diable, meurt et se transforme immédiatement en fantôme. Dans la scène suivante, son ennemi prend son apparence : il semble ressuscité. Ces épisodes grotesques démontrent la tendance à l’humour noir dans la tragédie du sang : la légèreté macabre du crâne souriant. Beddoes reproduit cette danse macabre dans le Death's Jest-Book : « Dance and be merry, for Death's a droll fellow » (V.4.18).

12L’obsession de Beddoes pour les formes macabres de renaissance après la mort se reflète de différentes façons. Dans Death's Jest-Book par exemple, il intègre ses propres études scientifiques à sa vision de la résurrection d’après une tradition talmudique. Il s’agit pour lui de trouver le luz, ou os de la résurrection : il s’agirait d’un petit os en forme de graine présent dans le corps humain et supposé indestructible, à partir duquel se reconstruirait le corps lors de la résurrection23. Cet intérêt a été suscité par son ami et présumé amant, Benjamin Bernhard Reich, camarade russe en études de médecine à Göttingen, juif et érudit en hébreu. Dans son article sur Beddoes et l’eschatologie juive, Christopher Moylan fournit une analyse probante de cette relation et la signification de cette légende chez Beddoes. Ce dernier a, en effet, porté cet intérêt ésotérique bien au-delà des domaines du mysticisme puisqu’il entreprit d’en réaliser une étude anatomique : au printemps 1827, Beddoes aurait consacré ses nuits à la dissection de cadavres afin de trouver le luz24. Cette obsession transparaît dans Death’s Jest-Book, quand le Duc demande à Ziba de tenter de réveiller sa défunte femme :

Ziba: […] he called a bird,
And bid it with its bill select a grain
Out of the gloomy deathbed of the blossom.
The feathery bee obeyed; and scraped aside
The sand, and dropped the seed into its grave:
And there the old plant lay, still and forgotten,
By its just budding grandsons; but not long:
For soon the floral necromant brought forth
A wheel of amber, (such may Clotho use
When she spins lives,) and as he turned and sung,
The mould was cracked and shouldered up: there came
A curved stalk, and then two leaves unfurled,
And slow and straight between them there arose,
Ghostlily still, again the crowned flower.
Is it not easier to raise a man,
Whose soul strives upward ever, than a plant,
Whose very life stands halfway on death's road,
Asleep and buried half?

Duke: This was a cheat:
The herb was born anew out of a seed,
Not raised out of a bony skeleton.
What tree is man the seed of?

Ziba: Of a ghost;
Of his night-coming, tempest-waved phantom:
And even as there is a round dry grain
In a plant's skeleton, which being buried
Can raise the herb's green body up again;
So is there such in man, a seed-shaped bone,
Aldabaron, called by the Hebrews Luz,
Which, being laid into the ground, will bear
After three thousand years the grass of flesh,
The bloody, soul-possessed weed called man. (III.3.425-454)

13Daniel Karlin cite une lettre de Beddoes où il s’oppose à la séparation des sciences dures d’avec les arts: « the studies then of the dramatist & physician are closely, almost inseparably, allied; the application alone is different ». Beddoes projette une œuvre idéale, une concrétisation de la connaissance scientifique en tant que « spectacle sémiotique vivant, série d'expériences anthropologiques, développées dans le but de vérifier un principe psychique important : c'est-à-dire une tragédie25 ». Karlin remarque :

At the end of this letter, he put it more succinctly: 'Apollo has been barbarously separated by the moderns: I would endeavour to unite him' (pp. 610-11). But whether turgid and technical, or crisp and elegant, neither formulation remotely corresponds to what Beddoes actually wrote. Death's Jest-Book is not 'a living semiotical display', ascertains no 'important psychical principle', bears no analogy to the healing arts, and indeed is not very scientifically minded—its main anatomical disquisition concerns the existence of the 'luz', a human bone which is the seed of immortality, and whose affiliations are with rabbinical mysticism rather than modern German science. Beddoes's art leaves Apollo as 'barbarously separated' as it found him26.

14S'il est vrai que Beddoes n'a pas réussi à déterminer « un principe psychique », Karlin est trop dogmatique en suggérant qu’il a échoué à unir les deux domaines. Comme le démontre Frederick Burwick, l’œuvre de Beddoes est riche d’indices de ses études médicales et l'idée mystique du luz n'est pas aussi absurdement incompatible avec la science allemande moderne qu'on pourrait le croire : c’est à Göttingen que Beddoes a étudié la continuation de la division cellulaire dans un cadavre, remettant ainsi en question les frontières traditionnelles entre la vie et la mort27.

15Ce mélange singulier entre anatomie et mysticisme, incarné par le luz, est également mentionné par Ezra Pound dans le même « Canto LXXX » qui souligne la correspondance entre Eliot et Beddoes28. Sans être anatomiste comme Beddoes, Eliot emploie cependant des métaphores scientifiques étonnantes, comme la célèbre description dans « The Love Song of J.Alfred Prufrock » (1915) :

Let us go then, you and I,
When the evening is spread out against the sky
Like a patient etherized upon a table
29(1-3)

16Dans sa prose critique, il emprunte aussi à la langue propre aux chimistes : il conçoit l'esprit d'un poète comme un catalyseur, un morceau de platine introduit dans une chambre contenant de l'oxygène et du dioxyde de soufre30. De même, son essai » Christopher Marlowe » (1919) compare l’évolution du vers blanc à l’analyse du goudron de houille :

Marlowe’s verse is one of the earlier derivatives, but it possesses properties which are not repeated in any of the analytic or synthetic blank verses discovered somewhat later31.

17Plus important encore, sans se montrer aussi obsessionnel que Beddoes, Eliot explore en profondeur la reviviscence, notamment dans The Waste Land. On peut donc supposer que ce n'est pas seulement l’amour partagé du drame élisabéthain et jacobéen qui a suscité la perplexité de Pound quant à l'indifférence d'Eliot envers Beddoes, mais aussi cet intérêt commun pour le macabre. La première section de The Waste Land, intitulée « The Burial of the Dead », contient les mots « Je n’étais ni vivant ni mort » (I was neither / Living nor dead) (39-40)32. Ses célèbres premiers vers présentent une image qui, à l’instar de Beddoes, défamiliarise de façon perturbante l'idée, pourtant normalement plaisante, des plantes qui fleurissent :

I. The Burial of the Dead
April is the cruellest month, breeding
Lilacs out of the dead land, mixing
Memory and desire, stirring
Dull roots with spring rain.
Winter kept us warm, covering
Earth in forgetful snow, feeding
A little life with dried tubers.
(1-7)

18Les derniers vers de la section reprennent ce mélange de mort et de fleurs de façon plus macabre encore :

There I saw one I knew, and stopped him, crying: “Stetson!
“You who were with me in the ships at Mylae!
“That corpse you planted last year in your garden,
“Has it begun to sprout? Will it bloom this year?
“Or has the sudden frost disturbed its bed?
“Oh keep the Dog far hence, that’s friend to men,
“Or with his nails he’ll dig it up again!
“You! hypocrite lecteur! —mon semblable, —mon frère!” (69-76)

19L’image de la floraison des morts trace un parallèle frappant avec Beddoes. Eliot fait directement allusion dans ces vers au chant funèbre de The White Devil de Webster :

Call for the robin-redbreast, and the wren,
Since o’er shady groves they hover,
And with leaves and flow’rs do cover
The friendless bodies of unburied men.
Call unto his funeral dole
The ant, the field-mouse and the mole,
To rear him hillocks that shall keep him warm,
And, when gay tombs are robbed, sustain no harm.
But keep the wolf far thence that’s foe to men,
For with his nails he’ll dig them up again.
(V.4.90-99)33

20On peut voir à quel point Eliot, à raison, associa fortement à Webster l'idée de la végétation qui pousse à partir des corps grâce à son célèbre commentaire poétique dans « Whispers of Immortality » :

Webster was much possessed by death
And saw the skull beneath the skin;
And breastless creatures under ground
Leaned backward with a lipless grin.
Daffodil bulbs instead of balls
Stared from the sockets of the eyes!
He knew that thought clings round dead limbs
Tightening its lusts and luxuries
34.

21La relation intertextuelle étroite entre Webster, Beddoes et Eliot a également été remarquée par Pound ailleurs dans The Waste Land. Les brouillons de The Waste Land sur lesquels Pound a travaillé montrent qu'il a écrit « Beddoes » à côté des vers suivants, dans ce qui allait devenir la deuxième section, « A Game of Chess » :

I think we met first in rats’ alley,
Where the dead men lost their bones.
“What is that noise?”
The wind under the door.
“What is that noise now? What is the wind doing?”
35

22Pound pensait probablement aux lignes suivantes dans Death's Jest-Book :

And the bough swung under his nest;
For his beak it was heavy with marrow.
Is that the wind dying? O no;
It’s only two devils, that blow
Through a murderer’s bones, to and fro,
In the ghosts’ moonshine. (V.4.101-106)

23Cependant, dans les « Notes on the Waste Land », Eliot note : « Cf. Webster : 'Is the wind in that door still?'36 ». Ceci fait référence à l'acte III, scène 2 de The Devil's Law Case de John Webster. Comme le notent Ricks et McCue, certains vers de The Duchess of Malfi et de The White Devil de Webster sont également susceptibles d'avoir inspiré cette partie37.

24Eliot a la réputation d'être un poète très allusif et le mot « collage » est souvent utilisé pour qualifier The Waste Land. Toutefois, le théâtre élisabéthain n’est pas pour lui qu’une simple source parmi d’autres ; il est essentiel au développement de sa voix poétique. Les poèmes de jeunesse d'Eliot ont opéré un changement radical vers 1908. Si, en 1907, il écrit sans aucune ironie des poèmes où « trees » rimait avec « breeze », on reconnaît dans des œuvres de 1909 la plume d'Eliot le moderniste38. En février 1910, il commence à travailler sur ce qui allait devenir un de ses poèmes les plus célèbres, « Portrait of a Lady39 ». Eliot attribue la maturation soudaine de son œuvre à deux sources : « The form in which I began to write, in 1908 or 1909, was directly drawn from the study of Laforgue and the later Elizabethan drama40 ». L'importance du théâtre de la première modernité pour Eliot est évidente tout au long de sa carrière de poète, de dramaturge et de critique. On peut en voir les effets dans ses allusions, dans des scènes transposées au xxe siècle, dans des évocations de l'atmosphère morbide et étouffante de diverses tragédies jacobéennes, ou encore dans l’adoption implicite de certaines perspectives philosophiques. À une occasion au moins, Eliot est même allé encore plus loin : dans la seconde moitié du poème « Gerontion », on constate qu'il adopte le langage de cette époque. Denis Donoghue note qu’à la lecture du poème on sent l’odeur de la fumée et du souffre de l’époque jacobéenne41 :

These with a thousand small deliberations
Protract the profit of their chilled delirium,
Excite the membrane, when the sense has cooled,
With pungent sauces, multiply variety
In a wilderness of mirrors. What will the spider do
Suspend its operations, will the weevil
Delay?42

25Cependant, ce langage que Stephen Spender a qualifié de « pastiche jacobéen » est rare dans l’œuvre d’Eliot, alors qu’il est omniprésent dans celle de Beddoes43. Dans le discours ci-dessous, extrait de Death's Jest-Book, le duc est confronté au fantôme de son ancien ami Wolfram, qu'il a assassiné :

Duke: Darest thou stand there,
Thou shameless vapour, and assert thyself,
While I defy, and question, and deride thee?
The stars, I see them dying: clearly all
The passage of this night remembrance gives me,
And I think coolly: but my brain is mad,
Else why behold I that? Is’t possible
Thou’rt true, and worms have vomited thee up
Upon this rind of earth? No; thou shalt vanish.
Was it for this I hated thee and killed thee?
I’ll have thee dead again, and hounds and eagles
Shall be thy graves, since this old, earthy one
Hath spat thee out for poison.
(III.3.673-685)

26Des traces de Macbeth sont présentes dans ce discours, mais on pourrait également le comparer à celui de Flamineo dans The White Devil de Webster, au moment où il se retrouve face à face avec le fantôme de Bracciano portant son pot de lys avec un crâne à l’intérieur. Flaminio tente d’exorciser sa propre peur en défiant le fantôme, et s’en moquant, comme le Duc chez Beddoes :

Enter Bracciano’s Ghost, in his leather cassocks and breeches, boots [and]
a cowl,4 [carrying] a pot of lily-flowers with a skull in’t.
Ha! I can stand thee. [The Ghost approaches] Nearer, nearer yet.
What a mockery hath death made of thee! Thou look’st sad.
In what place art thou? In yon starry gallery
Or in the cursèd dungeon? No? Not speak?
Pray, sir, resolve me: what religion’s best
For a man to die in? Or is it in your knowledge
To answer me how long I have to live?
That’s the most necessary question.
Not answer? Are you still like some great men
That only walk like shadows up and down,
And to no purpose? Say.

The Ghost throws earth upon him and shows him the skull.
What’s that? Oh, fatal! He throws earth upon me.
A dead man’s skull beneath the roots of flowers. (V.4.119-131)

27Le symbolisme du crâne sous la racine des fleurs de Webster est manifestement pertinent pour les intérêts de Beddoes. Bien que la pièce ait été écrite avant que Beddoes ne découvre le mythe du luz, The Bride's Tragedy (1822) associe également les fleurs à la mort, s’éloignant ce faisant de l’image conventionnelle des fleurs funéraires. Composée alors qu'il était encore étudiant à Oxford, l'intrigue s'inspire d'une ballade populaire intitulée « The Midland Minstrel », qui raconte l'histoire d'un étudiant devenu meurtrier. Il épouse en secret Lucy, une femme belle mais socialement inférieure. Mais son amour est fugace : à peine lui présente-t-on une autre femme plus riche qu’il assassine Lucy. Bien que la source ne soit pas jacobéenne, le titre évoque des pièces comme The Maid's Tragedy (1619) de Beaumont et Fletcher. Les noms et les statuts des personnages y font également écho : l'étudiant devient le fils d'un duc, Hesperus, et Lucy devient Floribel. Dans l’extrait ci-dessous, Lenora venge la mort de sa fille Floribel, en invitant Hesperus à sentir un bouquet de fleurs cueillies sur la tombe de la défunte et trempées dans du poison. Le langage du dialogue est typiquement jacobéen :

Lenora: […] Look upon these flowers;
They grew upon the grave of Floribel,
And, when I pulled them, through their tendrils blew
A sweet soft music, like an angel’s voice.
Ah! there’s her eye’s dear blue; the blushing down
Of her ripe cheek in yonder rose; and there
In that pale bud, the blossom of her brow,
Her pitiful round tear; here are all colours
That bloomed the fairest in her heavenly face;
Is’t not her breath?

Hesperus: (smelling them) It falls upon my soul
Like an unearthly sense.

Lenora: And so it should,
For it is Death thou’st quaffed:
I steeped the plants in a magician’s potion,
More deadly than the scum of Pluto’s pool, […] (V.4.84-97)44

28Tant le lexique employé que le mode opératoire rappellent de nombreuses tragédies jacobéennes où les stratagèmes d’empoisonnement sont particulièrement élaborés. Cependant, ce qui est remarquable dans les œuvres de Beddoes, c'est qu’elles imitent la tragédie élisabéthaine et jacobéenne d’une façon beaucoup plus flagrante que l'œuvre d'Eliot, bien qu’il soit plus difficile d’identifier précisément la source d’une scène ou d’un vers. Eliot a tendance à faire des allusions ; Beddoes, lui, adopte la langue des Jacobéens, il imite leur voix d’une manière convaincante.

29Il est donc surprenant de constater que Beddoes préconisait le contraire de sa propre pratique créative. Dans une lettre à un ami, il écrit,

Say what you will, I’m convinced the man who is to awaken the drama must be a bold trampling fellow – no creeper into worm-holes – no reviver even, however good. These reanimations are vampire-cold. Such ghosts as Marloe, Webster, &c., are better dramatists, better poets, I dare say, than any contemporary of ours, but they are ghosts – the worm is in their pages & we want to see something that our great grandsires did not know. With the greatest reverence for all the antiquities of the drama I still think that we had better beget than revive – attempt to give the literature of this age an idiosyncrasy and spirit of its own, and only raise a ghost to gaze on, not to live with – just now the drama is a haunted ruin 45.

30Néanmoins, Edmund Gosse, l’un des premiers éditeurs de Beddoes écrit: « Beddoes is himself what he called a creeper into wormholes. He attempts nothing personal ». Il ajoute que loin de suivre ses propres recommandations, Beddoes marche plutôt dans les pas de Marston and Cyril Tourneur tel « un disciple dévoué46 ». Plus récemment, Michael O’Neill a également souligné cet écart entre théorie et praxis : « Death’s Jest-Book thrives on revival, returns to life, and the living, ‘re-animations’ that are consciously ‘vampire-cold’47. » Dans la poétique de Beddoes, le théâtre de son époque domine : pour paraphraser l’article de Stratchey, il est en effet « le dernier des Elisabéthains ».

31En général, Eliot savait apprécier les traces d’écrivains du passé dans une œuvre contemporaine. Dans le quatrième épisode de sa chronique littéraire dans The Egoist, « Reflections on Contemporary Poetry », publié en 1919, il déplore vivement la difficulté propre à la poésie contemporaine de susciter la joie d’entendre des « voix mortes » qui « parlent par l’intermédiaire d’une voix vivantes48 ». Il écrit la même année : « we shall often find that not only the best, but the most individual parts of [a writer’s] work may be those in which the dead poets, his ancestors, assert their immortality most vigorously49 ». Mais tout champion de la tradition qu’il se faisait, il n'entendait pas faire revivre le passé. Le mot qu’Eliot emploie dans « Reflections on Contemporary Poetry » n’est pas revivification mais « réincarnation » : la métamorphose des morts en quelque chose de précieux et d’étrange (« into something rich and strange »)50. Ainsi, pour Eliot, une bonne connaissance de la tradition n’est pas seulement compatible avec une pratique d’avant-garde. C’en est une condition, une façon pour l’écrivain d’être conscient de « sa propre contemporanéité » comme il l’écrit :

the historical sense involves a perception, not only of the pastness of the past, but of its presence; the historical sense compels man to write not merely with his own generation in his bones, but with a feeling that the whole of the literature of Europe from Homer and within it the whole of the literature of his own country has a simultaneous existence and composes a simultaneous order. This historical sense, which is a sense of the timeless as well as of the temporal and of the timeless and of the temporal together, is what makes a writer traditional. And it is at the same time what makes a writer most acutely conscious of his place in time, of his own contemporaneity51.

32C'est ici que se dessine plus distinctement une explication au manque d'intérêt d'Eliot pour Beddoes. Le réseau intertextuel autour de l’œuvre d’Eliot est à la fois riche et varié. Dans « The Burial of the Dead » se retrouvent non seulement le chant funèbre de John Webster, mais aussi des allusions aux œuvres de Chaucer, Baudelaire, Tristan Corbière, Wagner, Dante, ainsi que des œuvres obscures ou inattendues comme des jeux de tarot et une chanson militaire licencieuse. C’est à partir de ce collage d'allusions qu’Eliot crée quelque chose de moderniste, suivant en cela la célèbre injonction de Pound : « MAKE IT NEW52 ».

Unreal City,
Under the brown fog of a winter dawn,
A crowd flowed over London Bridge, so many,
I had not thought death had undone so many.
Sighs, short and infrequent, were exhaled,
And each man fixed his eyes before his feet.
Flowed up the hill and down King William Street,
To where Saint Mary Woolnoth kept the hours
With a dead sound on the final stroke of nine.
There I saw one I knew, and stopped him, crying: “Stetson!
“You who were with me in the ships at Mylae!
“That corpse you planted last year in your garden,
“Has it begun to sprout? Will it bloom this year?
“Or has the sudden frost disturbed its bed?
“Oh keep the Dog far hence, that’s friend to men,
“Or with his nails he’ll dig it up again!
“You! hypocrite lecteur! —mon semblable, —mon frère!” (60-76)

33La foule qui se déverse sur London Bridge, fait allusion au chant iii de l'Enfer de Dante, la description de ceux qui n'étaient ni pécheurs ni vertueux, et ne pouvaient être ni condamnés à l'enfer, ni envoyés au purgatoire ou au paradis :

Et derrière venaient les bandes malheureuses.
Et moi je m'étonnais, les voyant si nombreuses,
Que la Mort de ses mains en eût autant défait !
J'en reconnus plusieurs au milieu de la file.
Tout à coup dans les rangs j'aperçus l'ombre vile
De celui qu'un refus souilla plus qu'un forfait.
Je compris, et j'eus bien alors la certitude
Que j'avais sous les yeux la triste multitude
Qui déplaît au Seigneur comme à ses ennemis.
Ces lâches, toujours morts, même pendant leur vie,
Étaient nus ; ils fuyaient, car sur leur chair flétrie
D'avides moucherons, des guêpes s'étaient mis53.

34Pourtant, dans The Waste Land, cette bande traverse avec fluidité le London Bridge pour rejoindre le secteur financier du Londres des années vingt où Eliot lui-même travaillait. Et le cadavre dantesque qu'il a planté l’année précédente (« That corpse you planted last year ») fleurit, à travers l'âge jacobéen, non pas en un autre mort-vivant mais en une essence moderne, une entité reconnaissable : « notre semblable, notre frère ».

II.

35Le besoin d'avoir un fort « sens historique » tout en étant « moderne », ou plutôt d'avoir un sens historique pour être moderne, se fait plus impérieux encore lorsque Eliot se tourne vers le théâtre. Si Eliot adopte une poétique du « collage » qui assimile le théâtre élisabéthain et jacobéen dans The Waste Land, et s’il n'hésite pas à y faire des allusions directes dans d'autres poèmes, dans ses pièces de théâtre en vers, il prend soin d'éviter l'ombre de ce qu'on appelle encore aujourd'hui « l'âge d'or » du théâtre anglais. Et parmi les dramaturges de cet âge d'or, Shakespeare, bien sûr, règne en maître. Il est donc, pour Eliot, l'écrivain qu'il faut constamment et sans relâche tenter d’éviter :

Anyone who tries to write poetic drama, even to-day, should know that half of his energy must be exhausted in the effort to escape from the constricting toils of Shakespeare: the moment his attention is relaxed, or his mind fatigued, he will lapse into bad Shakespearian verse54.

36Il est quelque peu ironique que la première représentation au Festival d’Edimbourg de The Confidential Clerk (1953) d’Eliot ait fait, avec Hamlet, l'objet d'une critique sous le titre « Elizabethan Verse Drama at the Edinburgh Festival55 ».

37Dans une conférence donnée en 1950 à Harvard et publiée sous le titre « Poetry and Drama » dans On Poetry and Poets (1957), Eliot décrit les qualités du drame en vers que l'on devrait tenter d’écrire en prenant Shakespeare comme modèle, alors même qu’il y répète son injonction qui est d’éviter tout écho shakespearien. Il explique :

I was persuaded that the primary failure of nineteenth-century poets when they wrote for the theatre (and most of the greatest English poets had tried their hand at drama) was not in their theatrical technique, but in their dramatic language; and that this was due largely to their limitation to a strict blank verse which, after extensive use for nondramatic poetry, had lost the flexibility which blank verse must have if it is to give the effect of conversation. The rhythm of regular blank verse had become too remote from the movement of modern speech56.

38Le souhait d'Eliot était donc de créer un drame en vers qui soit dans un langage si familier et si courant, si conversationnel qu'il semble « transparent ». Le spectateur ne remarque même pas qu’il s’agit de mots en vers ; il devrait saisir le sens de la poésie plutôt qu'à sa forme57. La poésie dans le théâtre, suggère-t-il, ne doit pas être une forme de décoration ostentatoire, mais un « moyen d'arriver à ses fins » au même titre que la prose ; l'effet dramatique du vers doit s'imprimer en nous sans que nous en soyons conscients. Cependant, Eliot reconnaît également que, comme chez Shakespeare, il est possible d'avoir des moments où il y a une « brève apparition du poétique dans la conscience », mais cela devrait être fait de telle sorte que la scène ou le personnage ne soient pas incohérents bien que transcendés58.

39Cet effort pour créer les vers transparents se trouve particulièrement dans The Cocktail Party (1949), la pièce qui a connu le plus grand succès critique et populaire de son vivant :

Edward: […]
The one thing of which I am relatively certain
Is, that only since this morning
I have met myself as a middle-aged man
Beginning to know what it is to feel old.
That is the worst moment, when you feel that you have lost
The desire for all that was most desirable,
Before you are contented with what you can desire;
Before you know what is left to be desired;
And you go on wishing that you could desire
What desire has left behind. But you cannot understand.
How could
you understand what it is to feel old? (I.2)59

40Le discours n’est pas exactement représentatif du langage quotidien, mais, comme le souligne Eliot, il en va de même pour la prose habituellement utilisée dans une pièce de théâtre où les personnages ne bredouillent pas et où on ne perçoit pas le « désordre » d’une conversation dans la vraie vie. Ces vers sont donc plutôt comme la « prose élégante prononcée dans une pièce de théâtre » en ce sens qu’il s’agit de « quelque chose de mieux », mais pas totalement différent de « la conversation ordinaire60 ».

41Le vers « I have met myself as a middle-aged man » n'est composé que de mots ordinaires, voire triviaux, arrangés dans une syntaxe tout à fait conventionnelle. Mais il s'agit d'une métaphore poétique, d'une image puissante semblable à « [notre] ombre le soir qui se lève à [notre] rencontre » (« your shadow at evening rising to meet you ») dans The Waste Land, qui évoque subtilement l'horreur du doppelgänger, cette crise existentielle latente qui provoque un sens de dépersonnalisation61. Il s'agit d'une image clé dans la pièce ; elle trouve un écho dans la scène finale, alors que le psychiatre mystérieux, Sir Henry Harcourt-Reilly, récite un poème : « the magus Zoroaster, my dead child, / Met his own image walking in the garden » (III)62.

42La répétition dans le discours d'Edward a deux effets presque contradictoires. D'une part, elle suggère le discours non préparé de la vie ordinaire avec son absence de variation élégante (pour reprendre la célèbre formule du lexicographe H. W. Fowler) ; elle donne ici l'impression qu'Edward a du mal à trouver les mots justes pour décrire la crise émotionnelle complexe qui le traverse. D’autre part, la répétition est aussi et tout à la fois le point central sur lequel repose la puissance de cette poésie méticuleusement élaborée. Elle mime le désarroi du personnage devant le constat que sa vie est un piège, qu’il est confronté à la futilité du désir, mené à chaque tournant par le même esprit de médiocrité (« spirit of mediocrity ») qui se retourne contre lui, ne lui laissant aucun désir hormis un désir infernal et circulaire : le désir sans espoir de conserver le désir dans une vie où le désir est sans espoir63. On pourrait comparer cela à la répétition du mot hell dans cet extrait du Doctor Faustus de Marlowe :

Faustus:
First will I question with thee about hell.
Tell me where is the place that men call hell?

Mephistophilis:
Under the heavens.

Faustus:
Ay, but whereabout?

Mephistophilis:
Within the bowels of these elements,
Where we are tortured and remain for ever;
Hell hath no limits, nor is circumscribed
In one self place, for where we are is hell,
And where hell is must we ever be.
And, to conclude, when all the world dissolves,
And every creature shall be purified,
All places shall be hell that is not heaven. (I.5.118-128)64

43Edward, tout comme Méphistophélès, est prisonnier de lui-même, en lui-même, et sa syntaxe ainsi que son vocabulaire répétitif encerclent sa langue dans une autoréférence mimétique. Dans la scène suivante, lorsqu’il déclare « L’enfer, c’est soi-même » (Hell is oneself) (I.3), Edward évoque plus explicitement cette notion théologique de l’enfer comme n’étant pas une pœna sensus (peine de sens), un tourment physique, mais une pœna damni, (peine de damnation), la privation de grâce que l’on ne peut échapper65. C'est toutefois le discours ci-dessus qui trouve une correspondance bien plus étroite avec cette pièce élisabéthaine, tant dans le style que dans la structure conceptuelle. Le sentiment d'horreur qu'Eliot et Marlowe transmettent tous deux n'est pas simplement accru par, mais inextricablement lié à l'effroyable familiarité du langage.

44Cette familiarité, comme je l'ai laissé entendre, est, ou était, présente chez Marlowe comme chez Eliot. Le vers blanc, répète-t-on presque invariablement à l'étudiant débutant en poésie anglaise, constitue le mètre poétique le plus proche des rythmes naturels de l'anglais britannique. Le dialogue en vers blancs de Marlowe ci-dessus contient ce qui, à nos oreilles, est aujourd'hui un archaïsme, mais il aurait semblé aussi familier aux Élisabéthains que l'œuvre d'Eliot à ses contemporains ; un langage sublimé, mais non archaïque.

45Une comparaison pourrait être établie avec ce que l'on désigne comme les mises en scène « modernes » et « traditionnelles » des pièces de Shakespeare. Le mot « traditionnel » est encore couramment utilisé pour désigner les mises en scène de Hamlet ou de Roméo et Juliette où les comédiens portent des costumes qui nous semblent élisabéthains ou jacobéens ; il est même parfois utilisé pour qualifier les représentations de Jules César pour lesquelles les acteurs portent des toges. Le terme « moderne », quant à lui, est généralement employé pour désigner des mises en scène dans lesquelles les acteurs portent des T-shirts ou des vestes et des cravates. Cependant, ces termes sont, bien sûr, quelque peu erronés, car dans les théâtres élisabéthains et jacobéens, les acteurs portaient des vêtements de style anglais contemporains de leur époque, que la pièce se déroule à Vérone au xve siècle ou aux prémices de l’Empire romain.

46Robert I. Lublin souligne que Casca mentionne le pourpoint de César dans la deuxième scène du premier acte de Jules César, une réplique qui a été coupée dans la version cinématographique de 1953 réalisée par Joseph Mankiewicz pour permettre aux acteurs d'apparaître en toge. Lublin s'interroge sur le concept de fidélité historique, vu qu'il s'agit d'une mise à distance du texte et de la dramaturgie d’origine ; il suggère :

Perhaps the most historically accurate approach would be to use twenty-first-century clothing and follow Shakespeare’s approach of using the apparel with which today’s audience is most familiar to speak directly to the present moment. Shakespeare set his play in Rome and costumed its inhabitants in doublets. We might do the same by costuming our Romans in suits and ties. In this way, the politics of an ancient civilization are made immediately significant because we see the issues being negotiated in the present by our contemporaries66.

47Un essai d'Eliot sur Ben Jonson, datant de 1919, montre clairement qu'il était attentif à ces questions de contemporanéité :

When we say that Jonson requires study, we do not mean study of his classical scholarship or of seventeenth-century manners. We mean intelligent saturation in his work as a whole; we mean that in order to enjoy him at all, we must get to the centre of his work and his temperament, and that we must see him unbiased by time, as a contemporary. And to see him as a contemporary does not so much require the power of putting ourselves into seventeenth-century London as it requires the power of setting Jonson in our London67.

48Pour conclure, les pièces de Thomas Lovell Beddoes sont perçues par les lecteurs de son époque et d’aujourd’hui comme jacobéennes, terme qui aurait été inconcevable pour le premier public jacobéen de John Webster : « la différence entre le présent et le passé est que le présent a une conscience du passé d’une manière et dans une mesure que le passé ne peut pas avoir de lui-même68 ». Si l'on applique à Beddoes l'idée d'Eliot du sens historique qui rend un écrivain « traditionnel », Beddoes en serait dépourvu tant il semble étranger à sa propre époque : « the historical sense compels man to write […] with his own generation in his bones69 ». Ses os, pourrait-on dire, semblent avoir germé du luz jacobéen. Et tout comme le fait de vêtir les acteurs de vêtements modernes pour une pièce de Shakespeare est peut-être plus traditionnel que de confectionner méticuleusement des tenues élisabéthaines, les efforts d'Eliot pour créer un drame en vers dans sa langue contemporaine, situé à sa propre époque, sont peut-être tout autant traditionnels que ce que faisait Beddoes. Eliot a tenté d'établir une relation avec son public qui soit analogue à celle des dramaturges élisabéthains avec le leur. En ce sens, c'est peut-être Eliot, et non Beddoes, qui devrait être surnommé « le dernier des Élisabéthains ».

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Notes

1 Lytton Strachey, « The Last Elizabethan », Books and Characters, London, Chatto & Windus, 1922, p. 225. Première publication en 1907 : New Quarterly, 1 (nov 1907), p. 47-72.

2 Il convient de noter qu'au xixe siècle ainsi qu’au début du xxe siècle, il était courant d’employer le mot « élisabéthain » pour désigner les pièces jacobéennes. Voir à ce sujet mon article précédent : « Eliot generally follows contemporary usage of the word “Elizabethan” as designating both Elizabethan and Jacobean. Examples of this are numerous, a prominent one being his essay “Four Elizabethan Dramatists” which is a “Preface to an Unwritten Book” on “Webster, Tourneur, Middleton, and Chapman”. In this, Eliot was following the general practice of the time. George Saintsbury, the influential critic to whom Eliot dedicated Homage to John Dryden (1924), even includes John Milton and Thomas Hobbes in his work, A History of Elizabethan Literature (1887) », Kit Toda, « Postures of Dying: Eliot, Seneca and the Elizabethans », The Review of English Studies, 72.305 (2021), p. 540-564.

3 Delmore Schwartz, « The Literary Dictatorship of T.S. Eliot », Partisan Review, 16.2 (1949), p. 119-137.

4 [Traduction de l’éditeur] « extraordinary poet [who] has failed almost entirely to receive any recognition whatever », Lytton Strachey, « The Last Elizabethan », ibid. p. 225.

5 [Traduction de l’éditeur] «sick and alive», John Ashbery, « October at the Window », April Galleons, New York, Viking, 1987, p. 33. Christopher Ricks, « Thomas Lovell Beddoes », Grand Street 1.2 (1982), p. 32-48, et « Pilgrim Misery: Thomas Lovell Beddoes (Part II) », Grand Street, 3.4, p. 90-102.

6 Thomas Lovell Beddoes, Death’s Jest-Book: The 1829 text, Michael Bradshaw (éd.), Manchester and New York, Carcanet/Routledge, 2003. The Ashgate Companion to Thomas Lovell Beddoes, Michael Bradshaw and Ute Berns (eds.), Aldershot and Burlington, Ashgate, 2007.

7 Ezra Pound, « Canto LXXX », The Cantos, New York, New Directions, 1998, p. 518. Première édition du Canto LXXX : The Pisan Cantos, London, Faber & Faber, 1949.

8 « Combination of the tragic and the comic which we may call the grotesque », Northrop Frye, « Yorick: The Romantic Macabre », A Study of English Romanticism, Chicago, University of Chicago Press, 1982, p. 60. Première édition : New York, Random House, 1968.

9 « Beddoes’ characters live in a kind of subterranean world like that of Eliot’s Waste Land », ibid., p. 63.

10 « Perhaps his genius was pulling him in the kind of epic of creative fragmentation represented by The Waste Land », ibid., p. 67-68.

11 Christopher Ricks, art. cit., p. 38.

12 Thomas Lovell Beddoes, Death’s Jest-Book, in H. W. Donner (éd.), The Works of Thomas Lovell Beddoes, Oxford, Oxford University Press, 1935.

13 « Unification of sensibility », T. S. Eliot, « Swinburne as Critic », in Anthony Cuda and Ronald Schuchard (éds.), The Complete Prose of T.S. Eliot: The Critical Edition: The Perfect Critic, 1919-1926, Baltimore, Johns Hopkins University Press and Faber, 2014, Project MUSE, p. 118. L’unification de sensibilité est un concept utilisé par Eliot et qui implique l’existence d’une dissociation entre l’émotion ou la sensation (« feeling ») et la pensée alors que les deux étaient préalablement unifiées avant le xviie siècle. Voir T. S. Eliot, « The Metaphysical Poets », in Cuda and Schuchard (éds.), op. cit., p. 375-385.

14 T. S. Eliot, « The Three Voices of Poetry », in Iman Javadi and Ronald Schuchard (éds.), The Complete Prose of T. S. Eliot: The Critical Edition: A European Society, 1947-1953, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2018, Project MUSE, p. 825.

15 T. S. Eliot, « The Poetic Drama », in Cuda and Schuchard (éds.), op. cit., p. 245.

16 Ibid., p. 241.

17 Ibid., p. 240.

18 « Much possessed by death », T. S. Eliot, « Whispers of Immortality », in Christopher Ricks and Jim McCue (éds.), The Poems of T.S. Eliot, London, Faber, 2015, p. 47. Première publication dans Little Review, Sept 1918. Inclus dans Poems, New York, Alfred A. Knopf, 1920. Ce célèbre vers d’Eliot est si approprié, pour Beddoes comme pour Webster, qu’il a été évoqué par nombreux auteurs, notamment par Ian Jack, Northrop Frye, Christopher Ricks, et John Ashbery, entre autres. Ian Jack, « Clare and the Minor Poets », The Oxford History of English Literature (1815-1832), Oxford, Oxford University Press, 1963, p. 143. Northrop Frye, art. cit., p. 52. Christopher Ricks, art. cit., p. 38. John Ashbery, « Olives and Anchovies: The Poetry of Thomas Lovell Beddoes », Other Traditions, Cambridge, Harvard University Press, 2001, p. 23.

19 Augustus J. C. Hare (éd.), Note de la rédaction, The Life and Letters of Maria Edgeworth, vol. 1, Boston and New York, Houghton Mifflin and Company, 1895, p. 69.

20 Pour plus de détails biographiques, voir H. W. Donner, Thomas Lovell Beddoes: The Making of a Poet, Oxford, Basil Blackwell, 1935, et Royall H. Snow, Thomas Lovell Beddoes, Eccentric and Poet, New York, Covici-Friede, 1928. Notons que la biographie de Snow s'en tient à l'idée que Beddoes est mort de mort naturelle, un rapport formulé pour ménager les sentiments de la famille. Berns et Bradshaw divergent et affirment qu'il s'est suicidé en prenant du curare ; ils citent de nombreux indices laissant penser au suicide, y compris une tentative de suicide antérieure et le rapport d'un médecin selon lequel il serait bien mort des suites d’un empoisonnement au curare. Voir « Introduction » à Ashgate Research Companion, op. cit., p. 8.

21 « W. Beddoes must have a case (50 bottles) of Champagne Moet 1847 growth to drink my death in. […] Buy for Dr Ecklin above mentioned [one of] Reade's best stomach-pumps. » Thomas Lovell Beddoes, « Letter to Revell Phillips 26 Jan 1849 », The Letters of Thomas Lovell Beddoes, Edmund Gosse (éd.), London/New York, Elkin Matthews & John Lane /Macmillan, 1894, p. 262.

22 Eliot suit le consensus scientifique de son époque en attribuant The Revenger’s Tragedy à Cyril Tourneur.

23 Concernant le terme luz, on le trouve ainsi employé dans l’Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs de l’abbé Grégoire de 1788. Pour sa signification et son emploi, voir Zafrani, Haïm, « Visions de la souffrance et de la mort dans les sociétés juives d'Occident musulman », Diogène, 205.1 (2004), p. 96-121. Le mot « luz » signifie noix en hébreu, car l’os ressemblerait à une amande ; voir Edward Reichmann et Fred Rosner, « The Bone Called Luz », Journal of the History of Medicine and Allied Sciences, 51.1 (1996), p. 54.

24 Christopher Moylan, « “For Luz is a Good Joke”: Thomas Lovell Beddoes and Jewish Eschatology », in S. A. Spector (éd.), British Romanticism and the Jews, New York, Palgrave Macmillan, 2008, p. 93.

25 « A living semiotical display, a series of anthropological experiments, developed for the purpose of ascertaining some important psychical principle – i.e. a tragedy », Thomas Lovell Beddoes, « Letter to Kelsall (4th Dec 1825) », Letters, op. cit., p. 80-81. Karlin cite la lettre dans H. W. Donner (éd.), The Works, op. cit., p. 610-611.

26 Daniel Karlin, « On Being Second-Rate: The Skeleton Art of Thomas Lovell Beddoes », The Yearbook of English Studies, 36. 2, Modern Humanities Research Association, 2006, p. 37.

27 Frederick Burwick, « Death’s Jest-Book and the Pathological Imagination », in Ashgate Research Companion, op. cit., p. 97 et p. 104.

28 Ezra Pound, op. cit., p. 512.

29 T. S. Eliot, « The Love Song of J. Alfred Prufrock », in Ricks and McCue (éds), op. cit., p. 5.

30 T.S. Eliot, « Tradition and the Individual Talent », in Cuda and Schuchard (éds.), op. cit, p. 108-109. Première publication en deux parties, Egoist, 6 (Sept 1919), p. 54-55, et Egoist, 6 (Dec 1919), p. 72-73.

31 T. S. Eliot, « Christopher Marlowe », in Cuda and Schuchard (éds.), op. cit, p. 98.

32 T. S. Eliot, The Waste Land, in Christopher Ricks and Jim McCue (éds.), op. cit, p. 55-71.

33 John Webster, The White Devil, in Jane Kingsley-Smith (éd.), John Webster and John Ford, London, Penguin, 2015.

34 T. S. Eliot, « Whispers of Immortality », in op. cit., p. 47.

35 T.S. Eliot, The Waste Land: A Facsimile and Transcript of the Original Drafts Including the Annotations of Ezra Pound, Valerie Eliot (éd.), New York, Harcourt Brace & Company, 1971, p. 10. La version finale se lit « I think we are in rats’ alley ».

36 T. S. Eliot « Notes on the Waste Land » (1922) in Christopher Ricks and Jim McCue (éds.), op. cit., p. 73. Ces notes furent ajoutées au poème lorsqu’il fut publié sous forme de livre par Boni and Liveright.

37 Christopher Ricks et Jim McCue, «The Waste Land: Commentary » in The Poems of T.S. Eliot, op. cit., p. 632-633.

38 T. S. Eliot « Song », in op. cit., p. 231.

39 Christopher Ricks, « Chronology of T.S. Eliot’s Poems 1905-1920 », in T. S. Eliot, Inventions of the March Hare, éd. Christopher Ricks, New York, Harcourt Brace, 1996, p. xxxiv.

40 T. S. Eliot, « Introduction » à Selected Poems of Ezra Pound (1928), London, Faber, 1949, p. 8.

41 « We smell the Jacobean smoke and sulphur », Denis Donoghue, Words Alone: The Poet T.S. Eliot, New Haven, Yale University Press, 2000, p. 84.

42 T. S. Eliot, « Gerontion », in Christopher Ricks and Jim McCue (éds.), op. cit., p. 32.

43 « Jacobean pastiche », Stephen Spender, Eliot, Glasgow, William Collins, 1975, p. 67.

44 Thomas Lovell Beddoes, The Bride’s Tragedy, in H. W. Donner (éd.), The Works, op. cit.

45 Thomas Lovell Beddoes, « Letter to Thomas Forbes Kelsall, Jan 1825 », in Letters, op. cit, p. 50-51.

46 Edmund Gosse, « Introduction » à The Poetical Works of Thomas Lovell Beddoes, vol. 1, London, J. M. Dent, 1890, p. xxiv et xxxviii.

47 Michael O’Neill, « ‘The latch-string of a new world’s wicket’: Poetry and Agency in Death’s Jest-Book; or, The Fool’s Tragedy », in Ashgate Research Companion, op. cit., p. 39.

48 « And one never has the tremendous satisfaction of meeting a writer who is more original, more independent,

49 T. S. Eliot, « Tradition and the Individual Talent », in op. cit., p. 105.

50 T. S. Eliot, « Reflections on Contemporary Poetry » [IV], Egoist, op. cit, p. 39.

51 T. S. Eliot, « Tradition and the Individual Talent », in op. cit., p. 106.

52 Ezra Pound, Ta Hio : The Great Learning Newly Rendered into the American Language, Seattle, University of Washington Book Store, 1928, p.12. La première utilisation de cette phrase se trouve dans une note de bas de page d’une traduction. L’expression s’est répandue et a été perçue (rétroactivement) comme le slogan du mouvement moderniste avec la publication en 1935 d’un recueil d’essais de Pound sous ce titre. Ezra Pound, Make It New, New Haven Connecticut, Yale University Press, 1935.

53 Louis Ratisbonne (trad.), L’Enfer du Dante traduit en vers, tome premier, Paris, Michel Lévy, 1852, p. 43.

54 T. S. Eliot, « Milton II », in Iman Javadi and Ronald Schuchard (éds.), op. cit., p. 25. Première publication dans On Poetry and Poets, New York, Farrar, 1957.

55 « Elizabethan Verse Drama at the Edinburgh Festival », The Sphere, London, 5 Sept 1953.

56 T. S. Eliot, « Poetry and Drama », in Iman Javadi and Ronald Schuchard (éds.), op. cit., p. 596.

57 « Consciously attending, not to the poetry itself, but the meaning of the poetry », ibid., p. 592.

58 « Brief emergence of the poetic into consciousness. […] we are lifted for a moment beyond character, but with no sense of unfitness of the words coming, and at this moment, from the lips of Horatio », ibid., p. 593.

59 T. S. Eliot, The Cocktail Party, in The Complete Poems & Plays, London, Faber, 2004, p. 381. Les vers ne sont pas numérotés et seul le premier acte comporte plus d'une scène.

60 T. S. Eliot, « Poetry and Drama », in op. cit., p. 590.

61 T. S. Eliot, The Waste Land, in Ricks and McCue (éds.), op. cit., p. 55, l. 29.

62 T. S. Eliot, The Cocktail Party, in op. cit., p. 437.

63 Ibid., p. 381.

64 Christopher Marlowe, Doctor Faustus, in The Complete Plays, eds. Frank Romany and Robert Lindsey, London, Penguin, 2003.

65 T. S. Eliot, The Cocktail Party, in op. cit., p. 397.

66 Robert I. Lublin, Costuming the Shakespearean Stage: Visual Codes of Representation in Early Modern Theatre and Culture, Farnham and Burlington, Ashgate, 2011, p. 84.

67 T. S. Eliot, » Ben Jonson », in Cuda and Schuchard (éds.), op. cit., p. 151.

68 « The difference between the present and the past is that the conscious present is an awareness of the past in way and to an extent that the past’s awareness of itself cannot show », T. S. Eliot, « Tradition and the Individual Talent », in Cuda and Schuchard (éds.), op. cit., p. 107.

69 Ibid., p.106.

Pour citer ce document

Par Kit Kumiko Toda, «« The Last Elizabethan1 » : Ressusciter les morts avec Thomas Lovell Beddoes et T. S. Eliot», Shakespeare en devenir [En ligne], Shakespeare en devenir, N°16 - 2022, II. Renaissance Reconfigurations: A View to a Poetic Change, mis à jour le : 10/02/2022, URL : https://shakespeare.edel.univ-poitiers.fr:443/shakespeare/index.php?id=2747.

Quelques mots à propos de :  Kit Kumiko Toda

Kit Kumiko Toda est Maître de Conférences en littérature anglaise et traduction à l'Université de la Réunion. Après avoir étudié à University College London et à l'Université de Cambridge, elle s'est installée à Lyon, puis à Paris, avant d'obtenir un poste de MCF à La Réunion. Elle a publié des articles dans Review of English Studies, Resources for American Literary Study et Essays in Criticism. Elle a un contrat avec Routledge pour une monographie sur T. S. Eliot et le drame élisabéthain. Elle ...

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