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Renaissance et discordance dans Brutopia d’Howard Barker : donner vie à l’irréel, brutaliser l’Utopia morienne
Par Louis André
Publication en ligne le 10 février 2022
Résumé
Brutopia appears as a rewriting of Thomas More's work. It shows us a behind-the-scenes view of the writing of Utopia (1516), turned by Howard Barker into a play, Brutopia (1993), from the perspectives of the forgotten voices of Utopia. A mise en abyme is thus created as More’s daughter Cecilia wishes to publish a book similar to her father's, “Brutopia”: a compound word encompassing the amoral and anti-humanist nature of her fictional society. However, while the island of Utopia seems to be deeply anchored in the realm of the imaginary, Howard Barker subverts this aspect of the 16th century masterpiece, by allowing for the fictional to become reality, and by letting fictional characters come to life. It is this paradoxical nature of the relationship between the two works that we must make sense of: how and why does Catastrophism distort and rethink Utopia? Is it in order to mark it with this “brutality”, this human violence?
Brutopia s’annonce comme la réécriture de l’ouvrage de Thomas More. Ce sont les coulisses de la création d’Utopia (1516) que met en scène Howard Barker dans cette pièce de 1993, où la parole est accordée aux « oubliés » d’Utopia. Il s’y créé une mise en abyme alors que Cécilia, la fille délaissée de l’humaniste, souhaite publier un ouvrage analogue à celui de son père, « Brutopia » : un mot-composé reflétant la nature amorale et antihumaniste de sa société imaginaire. Toutefois, alors que l’île d’Utopie semble ne pouvoir s’extraire de l’irréel, Howard Barker propose une vision inversée de l’œuvre du xvie siècle, dans laquelle l’irréel infiltre le réel, et où des personnages présumés fictifs prennent vie. C’est ce lien paradoxal qu’entretiennent les deux œuvres que nous souhaitons ici clarifier : comment et pourquoi le Théâtre de la Catastrophe déforme-t-il et repense-t-il Utopia ? Serait-ce pour la marquer de cette « brutalité », de cette violence humaine ?
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Renaissance et discordance dans Brutopia d’Howard Barker : donner vie à l’irréel, brutaliser l’Utopia morienne (version PDF) (application/pdf – 856k)
Texte intégral
1Brutopia (1993) d’Howard Barker est une pièce issue du « Théâtre de la Catastrophe1 » et une réécriture de Utopia de Thomas More. D’abord écrite pour la télévision en 1989, elle n’est portée au théâtre qu’en 2002, par Guillaume Dujardin (Nouveau théâtre de Besançon). Cette pièce met en scène Thomas More – alors en pleine création de son ouvrage utopique –, sa famille, et son entourage politique, notamment Henry VIII2. Brutopia propose une version fictive des évènements ayant conduit à l’exécution de Thomas More. L’humaniste y apparaît aux côtés de sa femme, Alice, et de ses deux filles (Margaret, appelée « Meg » dans la pièce et Cecily, appelée « Cécilia »). More témoigne d’une préférence flagrante pour Meg, tandis que Cécilia cultive une rancœur envers son père, au point de choisir d’écrire un ouvrage allant à l’encontre des valeurs d’Utopia et présentant une société fondée sur l’irrationnel. Parallèlement, le règne d’Henry VIII est représenté de manière caricaturale et grotesque. Cécilia s’y retrouve mise en danger, alors qu’elle essaye de faire publier son ouvrage, à l’encontre des valeurs de la société. Un évènement surnaturel surgit de ce contexte : les peuples des contrées imaginaires de More et de sa fille prennent vie, et retrouvent leurs créateurs.
2Les deux auteurs semblent s’opposer à la fois sur le plan idéologique et au niveau de leurs parcours. More, homme de foi, place une certaine confiance en la nature humaine et s’est consacré à la théorisation d’un monde parfait. Barker, lui, ne présente pas d’idéal particulier dans son théâtre, fuyant le manichéisme. L'utopie morienne n’est-elle pas incompatible avec le rejet du manichéisme ? Tisser un lien concret entre ce dramaturge du XXe siècle et l’homme d'église du XVIe siècle semble difficile. Qu’est-ce qui pourrait unifier ou, tout du moins, réunir ces deux profils que tant d’années et d’idées séparent ?
3Cet article se concentrera sur le jeu des oppositions, des retournements et des subversions qu’opère Barker par rapport à l’hypotexte morien. À travers ces oppositions, nous montrerons comment le dramaturge prend l’œuvre utopique de More à revers. Il nous faudra, dans un premier temps, éclaircir les discordances idéologiques qui séparent Barker de More : si Brutopia est une reprise de la pensée humaniste de More tout en rompant avec elle, peut-on aller jusqu’à considérer l’œuvre de Barker comme antihumaniste ? Cette opposition entre Théâtre de la Catastrophe et écrits humanistes nous invitera à étudier dans quel contexte Barker grandit et établit sa pensée. Nous verrons, dans un deuxième temps, comment Barker réimagine le contexte d’écriture d’Utopia pour en proposer une version alternative, et donc fictive. Nous serons amenés, dans un troisième temps, à voir comment Barker parvient à « casser le mythe » du grand Saint Thomas More. Il semble en effet que cette représentation ne découle pas d’un simple élan antihumaniste, mais bel et bien d’une attaque envers l’œuvre originale d’Utopia, d’un pied-de-nez à cette méditation sur le bien et le mal se plaçant aux antipodes de la pensée du Catastrophisme. En somme, pour Howard Barker, un monde « eutopique » ne peut être envisagé sans faire preuve d’hypocrisie ou sans avoir recours aux lieux communs. Ces constats nous permettront, dans un dernier temps, d’expliquer comment le dramaturge « brutalise » Utopia ; comment, en réinterprétant l’ouvrage de More, Barker atteint sa propre conclusion « catastrophiste » sur la nature condamnée, sur la destinée tragique de l’être humain.
I. Le contexte théâtral et politique de l’œuvre de Barker
4Afin de saisir les enjeux de la réécriture barkerienne d’Utopia, il convient de le resituer dans son contexte à la fois historique et dramaturgique. Howard Barker, né en 1946, est issu du milieu populaire londonien. Il grandit dans un monde instable, dans une société en pleine reconstruction qui vient d’être exposée aux ravages de la seconde guerre mondiale. Pendant cette dernière, la théâtralité est extirpée de son milieu artistique pour être transformée en arme politique et en outil de contrôle social (prohibant tout désir de renversement). David Ian Rabey explique :
Churchill’s wartime speeches […] appeal to a sense of performance which constitutes history in the making: ‘Rather than minimising the threat of invasion, he dramatised it’, projecting himself into the future and flattering by association his fellow members of ‘the British Empire and its commonwealth’ that this would stand as ‘their finest hour’. British history has often dealt with challenges to homogeneous national identity by ‘ignoring’ them and marginalising dissenting voices into ultimately supportive foils for the dramatic advancement of self-styled protagonists3.
5Cette utilisation de la théâtralité, nourrie par la nécessité d’une cohésion nationale, est prolongée pendant la guerre froide. À l’avènement du thatchérisme, le théâtre britannique populaire en vient, lui aussi, à mettre en avant des idéaux de cohésion, d’ordre, et de contrôle. Qu’il s’agisse de la présence de la théâtralité dans les communications politiques, ou de l’importance accordée aux messages politiques au sein du théâtre, les deux entités deviennent indissociables, comme Rabey le démontre :
The strategic rhetorical advantage of 1980s Thatcherism was its acknowledging and embracing of the breakdown in consensus, promising self-determination whilst in fact instituting a fundamentally populist narrowing of social meanings, interests, and choices. This was the cultural climate within which Barker opposed ‘popular theatre’ with his consciously provocative objective of a radically elitist theatre; consciously provocative because Barker located his elitism, not in economic opportunity, but in imagination […] British theatre from the 1980s onwards venerated and reiterated a particularly deterministic reading of Chekhov’s drama: this British neo-Chekhovian theatre sought reassurance through atonement, located maturity in self-restriction and was effectively complicit in reduction to order4.
6Dans ses premières œuvres telles que Claw (1975), Barker semble anticiper les tenants de cette tradition théâtrale à venir5. Pourtant, par la suite, il refusera ce « consensus » moral, et son opposition sera de plus en plus apparente au fil de ses représentations. En effet, les désillusions liées aux récents conflits internationaux et les tensions politiques occasionnées par la guerre froide compromettent, de manière générale, les distinctions tranchées entre le bien et le mal. Dans un tel contexte, l’illusion de stabilité que promet le théâtre populaire peut être perçue comme un mirage, un moyen d’apaiser les tensions internes à la nation. On peut donc penser que la morale promue à travers le théâtre de l’époque ne cherche pas à atteindre une quelconque amélioration de l’Homme ou de la société, mais à maintenir une forme d’ordre social.
7Nous retrouvons un contexte chaotique similaire dans les œuvres de Barker, comme l’indique Rabey :
Barker's characters move in a world of warfare, cultural or personal. They attempt to negotiate a terrain where man-made laws have broken down and may attempt to reassert divine or moral law in the aftermath of catastrophe6.
8Le désenchantement d'un monde post-manichéen se traduit dans les œuvres de Barker par la mise en scène de protagonistes certes intelligents et conscients du monde qui les entoure, mais aussi cruels. Tantôt amers et s’astreignant au suivi d’une raison implacable, tantôt emportés par leurs passions, ils semblent avoir perdu leurs repères. Cette perte de repères au sein des pièces de Barker fait écho à celle présente dans la société de son époque. Barker relève alors une hypocrisie dans le paysage théâtral contemporain : la promotion de valeurs (morales) communes fait fi de tout intérêt personnel (ou individualiste) que l’Homme peut vouloir protéger. D’une manière plus générale, la vision de la société proposée par le théâtre des années 1980 rend impossible le désir ou les pulsions qui ponctuent l’expérience humaine : pour Barker, c’est pour cette raison là que le bien de l’état et le bien de l’individu ne peuvent être réconciliés7. Dans une entrevue avec Charles Lamb, Barker souligne ce refus d’individualité par le pan du spectre politique auquel il était pourtant affilié par les critiques :
A Passion in Six Days, which came after Downchild, is probably the play in which I articulate most clearly what I think is wrong with the Labour Party as a party. It must debate the forms of social progress. Now, in projecting itself as a pillar of family life and domesticity, the Labour Party has joined hands with the Tories. Glenys and Neil are now to become the archetypal domestic couple. If that’s at the centre of the party, there can be no possibilities of significant change. Perhaps the programme I wanted was in any case brutalist, crudely demolitionist. I expected a parliamentary party to embark upon a revolutionary programme, which shows a poor grasp of reality. I think I was groping towards not an economist criticism of English Labourism but attempting to expose its intensely petit-bourgeois morality8.
9Le parti travailliste, comme le perçoit le dramaturge, n’est en aucun cas « révolutionnaire » (radical, source de changement), puisqu’il semble se contenter du lieu commun, de propositions (et de figures politiques) relevant du statu quo. En somme, selon Barker, en voulant demeurer dans le cadre de ce qui est acceptable, ce parti ne fait que se confondre avec ses opposants politiques. C’est cette perte d’identité au profit du collectif que Barker déplore, non seulement en politique, mais également dans le théâtre de son époque. Il explique :
The idea of expressing collectivity on the stage seems to me not really desirable. I regard the conventional left position on character and the individual as defunct and sabotaged, a limp rag. The individual as the product of deterministic historical and economic forces leaves serious art with nothing but stereotype and ideology, all dead rhetoric. The individual remains the only source of imaginative recreation of society and is the proper subject for art […] I’m interested in the individual as the potential of many selves. We need to see self as a potential ground for renewal and not as something stale and socially made9.
10Selon lui, représenter le collectif (la morale commune) au détriment de l’individu revient à nier sa complexité, sa pluralité. En d’autres termes, un jugement moral (manichéen) appliqué aux personnages ne correspond aucunement à la réalité, aux expériences humaines. D’une manière générale, Barker considère que la présence de l’idéologie au théâtre suppose cette négation de l’individu. C’est à travers ce dernier constat que ressort l’opposition entre l’œuvre de Barker et l’Utopia de More. Utopia s’intéresse au bien commun, mais ne prend pas en compte les désirs irrationnels de l’individu. En pensant l’organisation de la société dans son ensemble, More n’envisage pas de révolte ou de réponse négative à cette société imaginaire, une réponse qui serait issue de pulsions, de vices, ou d’idées divergentes. Compris comme tel, l’individu humain est en réalité absent de l’île d’Utopie, où seuls résidents des êtres idéaux de raison pure et de contrôle de soi.
II. Deux conceptions littéraires antagonistes
Théâtre (et écrits) de la conscience contre Théâtre de la Catastrophe
11À travers son projet de la Catastrophe, et ce depuis les années 1980, Barker cherche à éveiller le spectateur, à remettre en cause les idéologies politiques conventionnelles et la bien-pensance. Christine Kiehl esquisse les grandes caractéristiques de ce mouvement, qui ne présente au spectateur aucun message, aucune position politique :
[Le théâtre de] la Catastrophe ébranle le personnage en s'attaquant directement à son corps. Littéralement brisés et atteints dans leur chair par la haine, les personnages exhibent un corps monstrueux et intime. […] Il ne s'agit plus de dénoncer les institutions, apanage d'un théâtre politique qui n'a rien de nouveau à enseigner au spectateur, mais d'observer le bouleversement intérieur du personnage en dehors de tout jugement de valeur moral10.
12La Catastrophe11 semble faire référence au caractère inévitablement tragique de la condition humaine, présentée sans filtre au spectateur. Barker met en scène non pas une « laideur » inhérente à l’être humain (puisque cela relèverait d’une axiologie que Barker refuse), mais la haine et la violence en tant que comportements humains naturels : lorsque l’homme (tel que le donne à voir Barker) se fait victime ou bourreau, ce n’est que suite logique, conséquence de sa nature barbare. Le théâtre devient le lieu où se relève le naturel en l’humain et où se développe une approche naturaliste des personnages.
13Dans Arguments for a Theatre, Barker nous fait part de sa conception du genre dramaturgique, plus particulièrement du théâtre politique, et condamne ce qu'il appelle le « théâtre de la conscience (morale) », un théâtre « social » qu’il présente comme suit :
Psychologically shallow and a trumpet call to actions no one will perform, a dutiful raising of conscience (if not consciousness) that elevates the dramatist to the preposterous position of The One Who Knows12.
14Il reproche à ce théâtre de plaider en faveur d’une idéologie présentée comme : « a common morality, liberal-humanist, left-leaning, socially progressive13 ». La Catastrophe s’extirpe alors de l’idéologie conventionnelle au profit de ce qui semble être une objectivité (pseudo) scientifique. Son opposition à ce consensus moral semble s’articuler autour de deux postulats majeurs. D’une part, la Catastrophe produit un constat de misanthropie (l’homme, par sa nature corrompue, est voué à sa propre destruction) qui vient s’opposer aux valeurs d’équité, de partage ou d’entraide dont le « théâtre de la conscience » se fait le chantre. De ce point de vue, faire parader ces vertus sur scène ne serait alors qu’hypocrisie ou ignorance si tous les partis présents (acteurs, spectateurs et dramaturges) n’étaient que des hommes « catastrophistes », des hommes destructeurs. D’autre part, au-delà de cette opposition idéologique, Barker s’interroge sur les effets qu’un tel commun accord moral peut avoir sur le spectateur, sur la fonction réelle que peut avoir ce théâtre de la conscience. En effet, cette « bien-pensance » rend, en réalité, le spectateur passif (n’étant pas appelé à réfléchir sur la morale pour se forger sa propre opinion) et imperméable aux messages de l'art politique, ce qui viendrait anéantir par truchement l’effet transformateur que l’art peut exercer sur la société. La Catastrophe se définit, par opposition, comme le fruit de cet intérêt pour ce qui n'est pas pensé, envisagé, à la différence d'un théâtre explicite, où le lieu commun apporte un message précis, compréhensible, « démocratisé ». En d'autres termes, s’engage une exploration de ce qui est su, connu et partagé entre le dramaturge et les spectateurs. Barker refuse ainsi une dramaturgie de la limpidité au profit d’une forme contemporaine de tragédie qu’il décrit comme suit :
A new kind of theatre which I believe must locate its creative tension not between characters and arguments on the stage but between the audience and the stage itself. […] A braver theatre asks the audience to test the validity of the categories it believes it lives by. In other words, it is not about life as it is lived at all, but about life as it might be lived, about the thought which is not licensed, and about the abolished unconscious. […] The consequence of this is a modern form of tragedy which I would call Catastrophism. […] A theatre of Catastrophe, like the tragic theatre, insists on the limits of tolerance as its territory. It inhabits the area of maximum risk, both to the imagination and invention of its author, and to the comfort of its audience14.
15En somme, Barker choisit d’explorer les « territoire[s] » inconnus de la tolérance. More et Barker ont tous deux recours à l’imaginaire. Pourtant, leurs emplois respectifs de cette dimension fictive les distinguent. Pour More, l’utopie morienne ne semble pas être un objectif à réaliser, puisque le seul vrai idéal ne peut se trouver de notre vivant, il n’est accessible qu’après la mort. Ainsi, l’utopie n’a que peu d’ancrage dans le réel (elle permet d’aborder certains sujets sensibles tels que l’euthanasie, et contourner la censure). Pour Barker, au contraire, l’amoralité est un état possible de l’existence humaine. Son ou-topos de la morale est appelé à exister à travers un art qui représente la nature humaine en sa réalité propre (qui est la violence). Ce qui est jugé « impensable » par la morale commune est en fait pensé, présent en chacun de nous, du fait de notre appartenance à l’humanité.
16Malgré cette distinction, un parallèle avec Utopia peut être tracé : comme chez More, les contextes irréels et imaginaires du Catastrophisme sont des véhicules, des outils propres à faire réfléchir le lecteur au-delà de ses préconceptions, de ses idées reçues (elles-mêmes issues de notre monde réel, de notre société). En montrant l’irréel, Barker cherche à mettre en avant les passions primitives de l’être humain en-deçà d’une approche morale (voire moralisatrice), approche qui aurait séduit le spectateur s’il lui était présentée une scène « réaliste ». Inversement, le théâtre politique, qui prétend montrer le réel sous les catégories de la morale, produit en fait une irréalité, une vision de l’humanité qui néglige sa violence fondamentale, sa nature déchue. L’approche « réaliste » n’a de réel que le nom. Elle présente une distorsion du réel en y intégrant une normativité morale qui n’est pas le fait de la nature mais celui d’une culture contemporaine.
17Contre l’approche « réaliste » du théâtre de la conscience, Barker définit sa Catastrophe comme une dramaturgie déliée de la mimesis, au point de déclarer : « The only things worth describing now are things that do not happen15 ». Ce Théâtre de la Catastrophe repose non pas sur une reproduction mimétique du réel, mais au contraire sur la non-reconnaissance ; non pas sur des stratégies ou des processus de simplification, mais sur un mode d’expression qui ne craint ni la complexité ni la contradiction. Barker explique :
The real end of drama in this period must be not the reproduction of reality, […] but speculation – not what is (now unbearably decadent) but what might be, what is imaginable16.
18La dramaturgie de Barker fait appel à l’imaginaire du spectateur car c’est cet imaginaire qui est seul à même de concevoir une société telle qu’elle pourrait être (non pas telle que la vision morale de l’Homme pourrait lui présenter). La mimesis relevant d’une présentation prétendument objective, il est nécessaire, pour en montrer les limites, de lui opposer une re-présentation – c’est-à-dire une « deuxième présentation » – possible uniquement grâce à l’imaginaire, à l’iréel. Ainsi, le théâtre de Barker place ces derniers en son cœur. La définition que Barker donne de son Catastrophisme n’est pas sans rappeler la réflexion sous-tendant la création de l’Utopia morienne. L’ouvrage utopique partage autant cet attrait pour l’irréel que l’ambition de venir s’opposer à l’exposition directe d’un message moral ou politique. Dans l’Utopia, c’est à travers l’ambiguïté que More récuse cette écriture moralisatrice, une ambiguïté dont David Campbell souligne la présence au sein du titre complet de l'ouvrage A truly golden handbook, no less profitable than entertaining, concerning the best State of a commonwealth and the new island of Utopia. Plus précisément, Campbell explique :
Perhaps, after closer acquaintance with More’s ambiguities, or deliberate self-contradictions, one should also wonder if there is something oxymoronic about the term “truly golden” since gold is so regularly associated with deception and falseness in this text and others of similar spirit17.
19Par conséquent, au-delà des similarités phonétiques entre Brutopia et Utopia, l’utopie s'annonce comme une thématique inévitable du Théâtre de la Catastrophe, tant elle est définie par son caractère irréel et ambigu. Toutefois, si More et Barker se rejoignent dans leurs objectifs, c’est pour servir deux causes bien distinctes. Barker, certes « voué » à traiter de l’utopie morienne puisqu’elle partage des similarités avec son projet théâtral, récuse les idéaux humanistes (voire religieux18) que More porte.
L’anti-humanisme du Théâtre de la Catastrophe
20En rejetant ce théâtre qui « impose » une morale, c'est également contre l'humanisme que Barker définit son Théâtre de la Catastrophe. Il explique :
The theatre I have chosen to embrace is one which makes no compact with its audience as to entertainment, ideological instruction, humanist celebration or changed perceptions. [...] I claim no superior insight or even the status of a visionary, let alone a just man with a conscience. My obscurity is precisely the result of sacrificing these claims to attention, and an act of pure irresponsibility, and I justify my theatre not by its contribution to a humanist culture – a celebration of the essential goodness of the man animal – but precisely by its suspension of morality19.
21C'est donc d'un théâtre antihumaniste dont il est question. Nous comprenons dans ce terme « antihumaniste » plusieurs acceptions de l’« humanisme ». D’une part, nous le considérons comme désignant stricto sensu le mouvement littéraire et culturel du XVIe siècle20 : la promotion de l’humain et de ses capacités (connaissances, art) entre en opposition avec le pessimisme de la Catastrophe. Précisons que cette perception de l’humain (et de sa culture) comme étant au centre du monde régit encore souvent notre compréhension de l’art, de la vie, si bien que certains mouvements contemporains cherchent désormais à s’en défaire21. D’autre part, ce sens se retrouve jumelé avec une compréhension plus « générale » de l’humanisme renvoyant à toute pensée centrée sur l’homme, sa raison, son libre-arbitre, sa capacité à agir moralement22. Ce dernier sens étant compris (ou, tout au moins, accepté par Barker) comme découlant intrinsèquement de l’influence exercée par le premier, c’est contre ces deux humanismes (littéraire et idéologique), réunis en un, que se dresse la Catastrophe.
22Barker, en présentant un théâtre antihumaniste, se place à contre-courant d’un théâtre de la morale visant sinon à censurer, du moins à dévaloriser les opinions qui refuseraient cet « optimisme » quant à la nature de l’homme. Parallèlement, dans Brutopia, c’est ce même humanisme de raison, de culture et d’intelligence qui vient occuper tout l’espace de discussion au gré des discours et des conversations, notamment à travers le personnage de More. Ainsi, le spectateur est amené à comprendre que la tyrannie et la torture ne concernent pas simplement les agissements d’un Henry VIII fou, mais qu’il existe un consensus entre tous les personnages « raisonnables », acceptant à l’unisson (à l’exception de Cécilia) la situation folle dans laquelle ils se trouvent. Validé par l’intellectuel humaniste qu’est More, le roi condamne et exécute, prohibe la pensée. En voici un exemple manifeste :
BONCHOPE: Mmmh.
KING HENRY: Steady! Controversial23!
23Sans véritable moyen d’expression, un Bonchope baillonné, jugé et condamné pour hérésie, voit ses gémissements interprétés par le roi fou. Ses propos simples, la dimension littérale de son discours24, et le fait qu’il se définisse humblement comme « a simple preacher25 » en font un anti-More. Sa condamnation peut alors être interprétée comme la punition attribuée à un écart de la bien-pensance humaniste dont Thomas More est l’incarnation. Cette scène fait écho aux messages de la Catastrophe : le théâtre (humaniste) de la conscience ne laisse aucune place non seulement à ce qui est impensable, mais également à ce qui est inconventionnel. En ce sens, le nom « Bonchope » peut évoquer à la fois l’exécution (to « chop » someone’s head off) qui attend celui sortant des sentiers battus, et la spontanéité d’un bon-vivant (une « bonne chope ») qui n’aurait eu cure de telles répercussions tragiques. En somme, à travers le traitement de personnages comme Bonchope, ou celui des proches de More, le spectateur peut jauger les limites de la pensée humaniste. Cécilia, témoin et premier personnage à se montrer lucide vis-à-vis de cette hypocrisie humaniste (qui dit vouloir l’épanouissement de l’humanité, tout en limitant son pouvoir d’action ou de discours), propose-t-elle pour autant, au travers de sa brutopie, une réponse à ses limites, ou une critique pessimiste, voire « catastrophiste », comme l’entendrait Barker ?
24Si Utopia peut être considérée comme l’incarnation de la pensée humaniste et de son pouvoir d’action, alors « Brutopia », écrite par Cécilia en réaction à l’utopie, à sa propre expérience face à l’hypocrisie de son père, ainsi qu’à ses sentiments d’abandon et de désespoir, se veut antihumaniste. D’une part, le monde de Brutopia évoque une forme de dystopie (le « mauvais endroit », par opposition à l’utopie) totalitaire, sans sens ni raison, où les humains ne connaissent que la souffrance qu’ils subissent ou perpétuent. La mise-en-abyme engendrée par le titre de la pièce, Brutopia, laisse penser que ce monde imaginé par Cécilia est en tous points similaire à celui dans lequel vit la protagoniste (sous le règne d’Henry VIII). D’autre part, au-delà d’une opposition à un humanisme idéologique, Cécilia invente sa contre-utopie, manifestement à rebours des caractéristiques du mouvement littéraire humaniste :
CECILIA (aside): [In Brutopia] There are books, but these are written in Brutopic. The rules governing this language are extremely complex! (Inspired) Yes! Utterly complex and obscure, and there are no dictionaries! (She comes to the gate of the maze. The heads of the BRUTOPIANS appear among the hedges, complaining.) No dictionaries, and no grammars, either26!
25La pensée humaniste est ici prise à contre-pied. Nous constatons la présence de livres et de savoirs qui ne sont aucunement destinés à une portée universelle (pour contribuer à l’amélioration de l’humain). Ces livres n’ont en réalité aucun lecteur (personne ne semble pouvoir comprendre la langue de Brutopie), ou bien ils ont une portée si infime qu’elle ne peut être bénéfique (dans l’hypothèse où une petite de la population parvient à comprendre cette langue). L’idée d’une langue comme enjeu de pouvoir, rappelée par « the rules governing », suppose que l’homme ne peut accéder au savoir que s’il se trouve en position de force ; dans ce cas la célébration d’un homme de raison universel serait impossible. On peut étayer cette interprétation en relevant la manière dont la pièce est écrite ; autrement dit selon une mécanique de dénonciation par l’exemple. On retrouve dans Brutopia cette même langue ampoulée, littéraire et inutilement complexe qui n’est sciemment pas accessible au commun des mortels et suscite souvent l’incompréhension27 (ce dont More, élitiste, se félicite par ailleurs). Les discours de More sont labyrinthiques et, dès lors que l’imaginaire commence à infiltrer le réel avec l’apparition des utopiens et des brutopiens, ces derniers se retrouvent perdus dans un dédale non plus métaphorique mais littéral. L’image des brutopiens (dont la vie, pour rappel, fait écho à celle des protagonistes) perdus dans le labyrinthe est un symbole fort de ce propos antihumaniste tenu par Cécilia et le dramaturge qui lui donne parole : le savoir et la culture, piliers du courant humaniste, n’apparaissent qu’au détour d’embranchements, de chemins confus, dont on ne peut trouver la « sortie », dont il semble très difficile de trouver un sens. Cette vision « catastrophiste » du savoir est importante puisque, bien que l'Utopia de More ne soit pas exactement un encomium28, elle n'en reste pas moins un ouvrage à visée éducative, voué à faire réfléchir au champ des possibles ouvert par la raison (la composition de la société, par exemple) et, surtout, à la nature de la perfection, dont la détermination suppose la transmission d’un message moral.
26S'il s'agit, pour Barker, de « faire violence » à l'utopie, le dramaturge cherche avant tout à donner à l'éducation et la moralité humanistes (qu’il récuse) un tour tragique, à les intégrer à la Catastrophe : à en montrer les limites. Toutefois, dans Utopia, ces idéaux humanistes et religieux n’apparaissent que de manière détournée, More ayant choisi de laisser le lecteur se forger son opinion (des pratiques des habitants d’Utopie, des propos d’Hythloday) par lui-même. Comment peut-on, dès lors, se baser sur cette approche subtile et contrastée tout en débouchant sur une vision tranchée de l’humanisme, avec pour objectif d’en montrer le côté pernicieux ou néfaste ? Il nous incombe de voir de quelle manière Barker ramène explicitement ces notions humanistes de savoir et de culture au centre de sa pièce, afin de les transformer, à sa façon « catastrophiste », en traits grotesques, tragiques, voire monstrueux. À travers Brutopia, il érige (de manière allégorique) Saint Thomas More en icône de cette bien-pensance, pour mieux les démystifier.
III. Un Thomas More tiraillé
La caricature de l’humaniste, entre savant et fou
27Dans la pièce de Barker, l’humaniste devient la caricature d’un savant obsédé par l’idée de la perfection platonicienne, un idéal de raison qui n’est pas sans rappeler celui que l’on retrouve dans l’utopie (où la perfection se manifeste jusque dans la taille et la largeur des routes de la ville), poussé à son paroxysme. C’est véritablement une incarnation de l’île d’Utopie qui est représentée à travers son auteur, tant celui-ci se situe dans l’irréel (l’ou-topos) et dans la recherche du parfait, du bien (l’eu-topos). L’humaniste ne semble comprendre l’humanité qu’à travers la pensée ; il ne conçoit la vie que de manière théorique, ce qui donne lieu à des situations absurdes par leur artificialité et par les calculs dont elles résultent. En voici un exemple :
MORE (to ALICE): You are perfect and considerate. Thank you. (She creates a smile. She starts to go.) I am writing a description of the perfect world and consequently cannot sleep beside you. You understand that, obviously.
ALICE: I understand.
MORE: Good night now and kip well, dear one. (Again, she turns.) Hold hands! (Pause. She returns, takes his hands. Pause. He closes his eyes.) Perfect now. The equilibrium of marriage. (Pause29)
28Cet extrait permet de constater à quel point l’obsession de More pour la perfection se traduit dans ses rapports humains : sa conception (théorique) du mariage est une série d’actes et de performances dont l’accomplissement résulte en un « perfect now ». L’artificialité de l’interaction amoureuse (suggérée par « she creates a smile », comme si l’apparition d’un sourire n’était pas spontanée mais consciente) se manifeste notamment lorsque More s’exclame : « Hold hands! », écrit en gras. Il semble s’agir ici d’un point critique de leur interaction. Cette dernière semble être ritualisée. Nous pouvons facilement imaginer qu’un scénario similaire se déroule à chaque fois que le couple se quitte pour aller dormir (le « perfect now » de More vient confirmer la réalisation de ce rituel). Durant cette scène, la relation entre More et sa femme Alice paraît platonique, dénuée de tout désir, une relation entièrement fondée sur la raison. Nous voyons que le projet utopique (« I am writing a description of the perfect world ») de More est prioritaire par rapport à sa relation de couple. Cette priorité est présentée comme une évidence (« obviously » et « consequently » semblent le suggérer). Pourtant, n’y a-t-il pas là un non sequitur ? More, qui pourtant représente une incarnation de la raison même, commet une faute de logique en considérant son projet littéraire comme la cause (évidente) de son absence du lit marital. De plus, la gestuelle du couple (mains jointes, yeux fermés, tout cela en silence) évoque une position de recueillement, ou de prière. Cette interprétation de leur relation est soutenue par la phrase « The equilibrium of mariage » que More prononce, satisfait. L’humaniste semble voir le mariage non pas comme une succession de moments heureux et de conflits (« des hauts et des bas », pour ainsi dire), mais plutôt comme une ligne stable. Selon lui, ni le conflit, ni l’amour passionnel ne font partie de la vie de couple, d’où la notion d’équilibre.
29Tout au long de la pièce, More est incapable de prendre en considération une alternative à sa vision du monde, ou toute forme d’opposition (le plus souvent incarnée par sa fille Cécilia, qu’il rejette). L’importance (presque obsessionnelle) que More accorde à la raison et à la discussion philosophique éclairée met en exergue la déraison (voire la folie) dont l’humaniste peut faire preuve. Cette folie se devine lorsque More s’obstine à soutenir une proposition rhétorique nébuleuse, fumeuse, face à un interlocuteur « simple » (à l’instar de Bonchope), durant l’entièreté de la douzième scène. Cette scène consiste en une reprise du dialogue de Socrate et de l’esclave dans le Ménon (81e-85b)30. Alors qu’à travers sa leçon de géométrie, Socrate démontre l’idée d’une éducabilité universelle, Thomas More, lui, s’y prend tout autrement, en lançant un débat : « What is the relation between justice and the court31? » Voici ce qui s’ensuit :
THE WORKMAN: Wha’?
MORE: […] What sir what sir what sir what? (Pause. Then with infinite patience.) If I have, and you don’t have, must you have what I have? (Pause) […] Obviously, you want what I have, not having it yourself.
THE WORKMAN: No.
MORE: Yes. You would rob me of my brain were it not most securely in a box. […] It’s the best brain in Europe, why don’t you want it32?
30À l’inverse de Socrate, More se résout à accepter l’impossibilité d’éduquer l’humanité entière et établit alors une forme de hiérarchie intellectuelle au sommet de laquelle il se place. Tout ici fait penser à un renversement des valeurs humanistes (inspirées de l’époque antique et de ses philosophes). More manie l’ironie afin de ridiculiser l’ignorance du Workman, notamment par la répétition comique de « what sir » (en ajoutant le « t » final que le Workman omet), ou par la réponse à sa propre question, privant de parole son interlocuteur. More exprime par-là une vision classiste de la société, où la parole du savant, de l’intellectuel, prévaut sur celle du travailleur manuel. Est alors exemplifiée une lutte des classes où, pour la société, la parole du noble possède une valeur intrinsèquement supérieure. Enfin, confronté à une réfutation, il se contente de répondre au « no » par un « yes », ce qui créé un effet de miroir, sans justification : en somme, il est loin d’apporter une réponse pédagogique à la question qu’il a posée. Cet extrait exacerbe la position qu’entretient More en tant qu’intellectuel humaniste : il est le seul détenteur de la vérité, un péché d’orgueil qui ressort particulièrement de la didascalie [with infinite patience] (qui entre en contradiction avec les dialogues), comme si More lui-même prenait en charge la mise en scène de la pièce. Au-delà d’un More à l’égo et au parler grotesques, presque comiquement complexe et opaque (la répétition des « have » en est un exemple), nous remarquons que l’esclave du Ménon et devenu « The Workman » : bien que les deux désignations fassent référence à une personne travaillant au service d’une autre, l’appellation « The Workman » renvoie à l’idée que l’identité de ce personnage est basée uniquement sur sa capacité à produire un travail (manuel). Cela suggère, par extension, son incapacité à réfléchir. Enfin, la scène de transmission de savoir se termine de manière « catastrophiste », c’est-à-dire par un rapport de force, alors que More a recours à un discours performatif, un ordre : « Envy, envy it33 [my brain] ! »
31Cette caricature de More prend alors un tournant tragique et fait de lui un véritable personnage du Théâtre de la Catastrophe. En effet, nous avons affaire à un Thomas More « parodié », comme l’entend la définition de l’Oxford English Dictionary : « to turn into parody; to produce or constitute a humorously exaggerated imitation of; to ridicule or satirize34 ». C’est un More que l’on comprend à la fois à travers son Utopia (la recherche de la perfection est ce qui caractérise l’utopie35, ainsi que l’éloquence prodigieuse de ses protagonistes) et l’image publique qu’il entretenait à l’époque (proximité avec Henry VIII, chrétienté dogmatique36). Le savoir de More devient peu à peu déraison ; sa raison est remise en cause :
KING HENRY: I’m here to look at the moon
MORE: It’s late.
KING HENRY: Of course it’s late you academic bastard, when else can you look at the moon37?
32More est attaché aux principes et aux savoirs (il est sage d’aller dormir lorsque la nuit tombe), mais cette caractéristique est ridiculisée puisqu’ici, More ne parvient pas à se rendre compte de ce qui est évident (l’intention du roi est de rester éveillé pour contempler la lune). Sa suggestion polie d’aller se coucher paraît alors sotte, voire déraisonnée. Cette déraison peut être rappelée par le symbole de la lune : luna, en latin, est la racine étymologique des mots « lunatic », « looney », ou encore « lunaire » en français (nous pourrions aussi considérer « moonstruck »).
33La lune est associée à la folie, à l’hérésie et aux émotions irrationnelles38. C’est par ailleurs une image récurrente de la pièce pour indiquer la nature folle et incontrôlable de l’homme. Lorsque l’hérétique Bonchope doit être réduit au silence, le roi dit : « The moon has truly entered him39 ». Ainsi l’humaniste bascule-t-il du soleil de la raison à la lune de la folie :
ALICE: Are you —
MORE: Can’t I walk in my own garden? Can’t I lurk in my plot?
ALICE: How powerful the moonbeams are tonight…40
34Au regard de sa nature, celle d’un personnage « catastrophiste », More ne peut échapper à la folie humaine. Ainsi, il va jusqu’ à renier ses principes chrétiens, affectés par la haine irrationnelle qu’il ressent. Il déclare au sujet de Bonchope : « I try to hate his sin, but also I hate him41 », ce qui ramène indirectement, et par subversion, au proverbe d’inspiration biblique « Hate the sin, not the sinner ». L’effet comique provoqué par le parallélisme de construction qui caractérise la réplique de More met en avant sa perte de contrôle, l’éloignement de cette raison qu’il chérit tant, et fatalement la manifestation de son ridicule. Ce ridicule est en outre appuyé par le roi Henry VIII qui considère les propos de More comme une source d’amusement, de bouffonneries42. Ce processus de parodie est renforcé par la répétition dégradante de « bastard », associée (en gradation) de manière oxymoronique avec des adjectifs qualifiant la prétendue « raison » de l’écrivain humaniste. Le roi ponctue ses phrases par : « you academic bastard », « you scholarly bastard », et enfin « you theological bastard »43 ». Il ne cherche pas à dépeindre More comme est un « bastard » au sens littéral de fils illégitime, mais comme un fruit abâtardi de la raison, qui a perdu ses attaches avec le réel. La supposée « raison morienne » se trouve en inadéquation non seulement avec le pouvoir du roi (auquel More ne sait s’adresser sans en déclencher le courroux), mais également avec la réalité. En somme, More pense comprendre le monde alors qu’il est totalement déconnecté de ses proches, du roi, et même de la nature. Ceci étant dit, sa folie et son égo ne sont pas les seuls traits exploités par Barker pour s’attaquer à l’auteur de l’Utopia. Systématiquement, il s’agit de mettre en avant l’hypocrisie de l’humaniste.
Homme de l’esprit contre homme charnel
35La caractérisation de ce Thomas More fictif est essentielle au commentaire de Barker sur l’Utopie : le traitement du personnage de More fait ressortir les tenants du Catastrophisme. Nous pouvons alors nous demander ce qui justifierait le passage d’un texte écrit (Utopia) à une pièce jouée par des acteurs (Brutopia). S’il est important de montrer l’humain dans toutes ses frustrations, ses émotions nues, sa brutalité, de quel pouvoir le théâtre peut-il se targuer, que peut-il véhiculer de particulier contrairement au texte d’un roman ? Christine Kiehl répond à cette question :
La Catastrophe déclenche la manifestation des émotions à travers le corps et non la psychologie. La substance charnelle et la matérialité organique des personnages se substituent à leur densité psychologique44.
36Le théâtre est, par essence, un puissant levier pour représenter la corporéité des personnages. En ce qui concerne le personnage de More dans Brutopia, les vices (orgueil, folie, hypocrisie) ne se nichent pas uniquement en de simples traits de caractère, mais sont aussi véritablement « incarnés » : ils prennent chair. En ce sens, Barker ne laisse plus aucune place à un More raisonnable : la raison a disparu et n’a laissé qu’un corps soumis, régi par des émotions irrationnelles, des pulsions. D’une manière plus générale, c’est à travers le rapport des personnages à leur corps que nous pouvons réellement entrevoir le processus de démystification de More et de l’humanisme. Il nous incombe à présent d’expliquer et d’explorer cet aspect de la pièce.
37Dans Brutopia, le point de vue chrétien de More se manifeste dans sa conception du corps sacralisé (un corps en tant que création divine), mais également dans celle d’un corps gouverné par la raison froide (le corps se place au service de la raison). Cette raison, à qui More donne la priorité sur le corps et les pulsions, aurait pour effet de nous éloigner du vice et du péché. On retrouve cette symbiose entre raison et chrétienté dans Utopia : la raison sert la foi ou, tout du moins, la morale chrétienne.
38Les utopiens, imaginés comme des « hommes parfaits », ont créé une société propre à les détourner du vice. Pensons, par exemple, à l’avarice et la cupidité qui sont combattues par le truchement de codes vestimentaires, en attribuant le port de colliers et d’autres bijoux en or aux esclaves. En Utopie, les péchés liés au corps sont évités, eu égard à ces diverses règles, non pas par conviction religieuse (l’île n’est rattachée à aucune religion d’état), mais pour que la raison gouverne pleinement le corps. Cet « effacement » du corps (au profit de la raison) passe d’une dimension littérale à une dimension symbolique si l’on considère que les utopiens sont des êtres imaginaires, « théoriques » (puisque dans Utopia, More théorise une société), sans un quelconque lien au réel ou à la corporéité. Ces personnages s’avèrent, par conséquent, aux antipodes de véritables êtres de chair et de sang, qui eux se verraient en proie aux pulsions, aux émotions qui peuvent nous conduire à pécher.
39Dans Brutopia, cette conception utopique du charnel est attribuée à Thomas More, par association. De surcroît, elle devient un outil supplémentaire pour faire perdre en crédibilité les propos de More : les personnages (incarnés par des acteurs) sont loin d’être des parangons de raison, agissent parfois de manière égoïste, irrationnelle, et réfutent donc le mode de vie prôné par More. La présence de Cécilia, héroïne tragique de la pièce, indique que More s’est adonné à la chair45. More, incapable de se plier à sa propre morale et de renoncer aux pulsions, est lui-même une preuve que son idéologie n’est qu’imaginaire, que sa morale n’est que théorie. Ce retournement tragique est exacerbé par l’arrivée du « Doctor », un habitant de l’île d’Utopie ayant réussi à retrouver More dans le « monde réel ». Le spectateur est amené à contempler le spectacle de More, tentant de comprendre cet évènement imprévisible : les utopiens sont réels. L’irruption du « Doctor » dans la pièce est importante puisqu’elle marque le début de la tourmente (morale puis physique) de More, tourmente dont le point d’orgue sera l’exécution tragique de l’humaniste. Par ailleurs, la défaite de sa pensée, une pensée prônant un mode de vie eu-topique et chrétien, transforme la morale humaniste en tragédie vide, artificielle et impuissante face à la réalité charnelle et surtout irrationnelle de la condition humaine.
IV. Une œuvre brutalisée
40Ce double portrait de More – d’une part un intellectuel et protecteur de la vertu chrétienne, d’autre part un sujet qui s’efface devant les folies autoritaires de son roi – met en exergue la dissonance, le paradoxe qui est propre à ce personnage. Le lien fort que l’humaniste entretient avec la raison ne le pousse finalement qu’à la déraison : More, après avoir rejeté sa fille, sa famille, renie à présent sa création littéraire Utopia. En effet, l’ouvrage se retrouve incarné par le personnage « The Doctor », qui porte la voix du peuple d’Utopie. More, poussé dans ses retranchements, avoue : « There is no Utopia46 ». Comment peut-on interpréter ce désaveu ? S’agirait-il tout simplement de la reconnaissance par More du caractère factice de son écrit, créé en vertu d’une certaine vision qu’il a de la morale ?
41Il peut s’agir d’un commentaire antihumaniste : More est érigé en symbole d’un humanisme froid, de raison et de morale. Il nourrit une vision manichéenne du monde, ne tolère pas le mal (« evil »), et ce manque de tolérance constitue son défaut tragique. Pédagogue, More a pour ambition de propager un message chrétien universel, d’éduquer, mais ce projet humaniste est voué à l’échec ; dès lors, c’est la vision folle d’Henry VIII qui l’emporte. Le spectateur se voit donc confronté non seulement au caractère illusoire de l’humanisme, à la vacuité de sa portée, mais également à la victoire tragique de la politique, du mensonge, de toutes les valeurs dominantes en Brutopie, territoire imaginé par Cécilia. Cette dernière, clairvoyante, voit sa création irréelle s’entremêler au monde réel. En réalité, ce lien intime entre réel et irréel nous est annoncé dès les premiers mots de la pièce. On peut le percevoir lors de la première apparition du personnage de Thomas More, indiquée par la didascalie : [A FIGURE appears putting on a coat. He kneels before the Monarch]47. More n’est alors pas désigné par son nom ; il est réduit à une simple silhouette. Pour autant, le choix du mot « figure » pourrait être considéré comme un foreshadowing de ce flou entre réalité et fiction, comprenant un double sens assez parlant. D’une part, « figure » serait défini comme la silhouette d’une chose bien réelle : « The form of anything as determined by the outline48 ». D’autre part, et ce plus figurativement, ce terme pourrait être compris comme « A person as an object of mental contemplation49 », ce qui s’apparenterait au terme « parangon », par exemple (nous comprenons que More est un parangon de raison, de savoir. Il est le représentant de tout ce que sa fille rejette). En somme, c’est donc sans surprise que nous voyons les œuvres fictives de la famille More infiltrer leur réalité.
42Un rapport de cause à effet est établi : ce sont les créations de l’humaniste More, à savoir Utopia et sa fille Cécilia, qui ont engendré le contraire de cet idéal de raison recherché, un monde « brutopique » dans lequel nous retrouvons les traits de la Catastrophe dont parle Barker.
43C’est à partir de cette remarque qu’émerge une deuxième interprétation davantage en lien avec méta-théâtre. En effet, si l’on attribue au récit de More une dimension métaphorique et un commentaire sur la portée de l’art sur le public, nous retrouvons alors la dualité de l’art engagé, l’art « de conscience » comme l’appelle Barker, opposé à celui de la Catastrophe, celui qui n’a rien à dire. D’un côté, nous avons More et Cécilia, Utopie et Brutopie, l’idéologie du parfait, la fuite de la douleur, et, de l’autre côté, la douleur elle-même, ce que Barker appelle « Pain For Pain’s Sake50 ». La mort tragique de Thomas More peut être alors comprise comme un véritable symbole de la défaite du théâtre de la conscience, de son impuissance. Barker s’en distingue :
Theatre of Catastrophe is not a discipline. This alone marks it out from the general world of theatre practice which masquerades as a marketplace for competing truths but in practice just exchanges one moral imperative for another51.
44Si la folie et la violence l’emportent à la fin de la pièce, cela sert également à soutenir la vision nihiliste de Barker : nous ne pouvons, en tant que spectateur, qu’être confronté à cette violence pour qu’éventuellement notre conscience soit « violentée », remise en question. L’alternative, l’utopie, nous aurait conforté dans notre fuite de la douleur et de la violence.
45Lors de la dernière scène de la pièce, Cecilia échappe de justesse à l’asile de fous ; elle est sauvée in extremis par Henry VIII. La fille de More s’est débattue, a été violentée, attachée, et est encore sous le choc de sa capture. C’est à cet instant que le roi Henry prend la parole, avec une tirade adressée à l’héroïne. Ce discours final est une conclusion tragique au commentaire de Barker :
KING HENRY: I came to kill you. Or to fuck you. I did not know which. And I find others. […] How beautiful to find you silent. […] How wonderful you cannot speak. Already, you are diminishing, you are evaporating in the heat of my indifference, like a puddle in the sun. How small you are! […] I saved you from the madhouse. (LLOYD and FACTOR laugh loudly.) Oh! They laugh the contrary! They say I am the madhouse! (He looks into her eyes.) Speak…
CECILIA’s eyes look into his, and as if she had spoken, he nods, kindly, and turns away. The moon goes behind a cloud52.
46Cécilia, qui jusqu’alors représente un point de vue critique, opposé à l’optimisme humaniste de More, une perspective « authentique53 » à contraster avec la nature hypocrite du monde dans lequel elle vit, se retrouve humiliée. Alors que la voix (d’opposition et de contestation) de Cécilia s’éteint, et que la lune, astre de la folie, disparaît, ne restent que le roi et ses semblables. Ce n’est pas une fin ambiguë comme celle d’Utopia, mais un véritable constat. L’expérience de Cécilia nous amène à comprendre que la Catastrophe comprend également la privation des libertés, la suppression des individus aux voix discordantes. De plus, l’humanisme n’a pas servi à élever l’humain, mais, au contraire, à consolider le pouvoir du roi, c’est-à-dire à ne laisser place qu’à une pensée unique.
47À travers ce commentaire pessimiste, nous retrouvons cette brutalisation de l’utopie. Ce qui était imaginé comme idéal, raisonné, ne reflète rien de réel, le monde de More n’étant que violence, contrôle, irrationalité. Le spectateur est amené, à la fin du premier acte, à parvenir lui-même à cette conclusion, par les actes de l’humaniste et ses relations avec les autres personnages, en totale contradiction avec les idéaux de raison prônés dans Utopia. En effet, dans l’ouvrage utopique, la raison sert aux Hommes à cohabiter, à esquiver le conflit, les guerres ou encore les punitions judiciaires. Pour le personnage de More dans Brutopia, la raison est outil de contrôle (de sa famille, des hérétiques), de statut social, et de performance politique.
48Le traitement caricatural réservé à More suggère donc son futur anéantissement. L’exécution de More se présente comme une fatalité, un destin qui correspond aux caractéristiques du Catastrophisme : le personnage humain court à sa perte, et se veut l’artisan de sa propre fin tragique. Nous pourrions aller jusqu’à affirmer que Cécilia (étant la fille de More, le fruit de sa chair) constitue en elle-même un élément de foreshadowing de cette fin tragique et de la défaite de l’utopie morienne. Par ailleurs, l’absurdité du personnage de More, ancré dans l’irréel et le théorique, est poussée à son acmé lorsque font irruption les utopiens, des êtres de chair et de sang.
Conclusion
49Cette étude de Brutopia a révélé que l’Utopia morienne était inévitablement appelée à être réécrite par Barker. Le lien d’Utopia avec une vision manichéenne du monde la désigne comme une cible parfaite de satire pour le dramaturge. Dans Brutopia, le Théâtre de la Catastrophe s’attaque à sa nemesis. Tandis que More souhaite réfléchir à une société morale (ou, dans une moindre mesure, à une société de raison), au « bon endroit », Barker, à l’inverse, veut questionner la morale : la tension qui réunit les deux œuvres semble alors incontestable. La réécriture s’enracine dans cette opposition entre les deux auteurs.
50Dans Brutopia, à travers la déconstruction du personnage de Thomas More, sa représentation tragique et on ne peut plus humaine (loin de l’image de saint qui lui est attitrée), Barker critique tout ce qu’il combat à travers le Théâtre de la Catastrophe : il s’oppose à un art moralisateur, pseudo-pédagogique, qui pense l’homme en théorie – hors de sa concrétude. Utopia et son créateur prennent une dimension métaphorique : l’utopie n’est plus un simple ouvrage mais la représentation même de l’idéologie, de ce qui peut collectivement conduire vers une société eutopique. L’œuvre de More, en explorant un idéal commun (qu’il soit éthique ou religieux) nie l’existence même de l’individu. Dans la société utopique, les pulsions de l’individu (le désir, le vice), parfois contraires au bien commun, n’ont pas droit de cité. En proposant une caricature de More (et de la société anglaise de la Renaissance), Barker soulève ces problèmes présents dans Utopia, des problèmes mis en exergue par le contexte contemporain dans lequel Barker a grandi. Le spectateur n’est alors pas appelé à prendre parti pour ou contre l’humaniste et son œuvre, mais à reconnaître l’humain derrière le saint (et l’auteur), à « désacraliser » l’Utopia, à questionner les idéaux humanistes portés par l’œuvre morienne.
51En somme, la brutopie est à l’utopie ce que le Théâtre de la Catastrophe est au théâtre de la conscience, à la morale humaniste et à toute forme d’art moral : un envers « brut », loin des considérations – nébuleuses car uniquement théoriques – d’une vie meilleure. Barker, à l’image de Cécilia, se contente de porter aux yeux de tous la catastrophe tragique de la vie, cachée par les bien-pensants et les penseurs du bien.
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Notes
1 L'emploi de la majuscule renvoie au projet du dramaturge anglais.
2 Lors même que A Man for All Seasons va s'intéresser au rôle d'homme d'état de Thomas More, Brutopia va préférer mettre en avant les « coulisses » imaginées de la création d'Utopia, à l'origine de la tradition utopique (puis dystopique), à l'origine d'un genre littéraire politique où il est question de penser et de repenser la société. Barker mettra en scène l’œuvre littéraire de More, sa vie de famille : ce que l'on ne peut pas voir derrière l'image du saint catholique, saint et penseur derrière lequel se cachait un homme de chair et d'os dont Barker se fait l'écrivain.
3 David Ian Rabey, English Drama Since 1940, London, Pearson Education Limited, 2003, p. 1
4 David Ian Rabey, Howard Barker: Ecstasy & Death, An Expository Study of His Drama, Theory and Direction, 1988-2008, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2009, p. 21.
5 « In the 1970s, his career evolved initially along lines similar to a number of other ‘political’ dramatists, such as Brenton, Hare and Churchill. Having achieved a degree of success and recognition at The Royal Court with Stripwell (1975) and Fair Slaughter (1977), his work was taken up by The Royal Shakespeare (Warehouse) Company, which staged That Good Between Us (1977), The Hang of the Gaol (1978) and The Loud Boy’s Life (1980). These plays were received as part of the Warehouse’s programme of politically committed work. […] Barker’s work in the 1970s generally recommended itself to directors on a ‘political’ level: this was because the plays were overtly concerned with political figures and political questions. Besides, it was clear that Barker’s political sympathies lay on the left », in Charles Lamb, The Theatre of Howard Barker, New York, Routledge, 2005, p. 5-6.
6 David Ian Rabey, Howard Barker: Politics & Desire, An Expository Study of his Drama and Poetry, 1969-87, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 1989, p. 5.
7 Dan Rebellato, « From the State of the Nation to Globalization: Shifting Political Agendas in Contemporary British Playwriting », in Nadine Holdsworth & Mary Luckhurst (eds.), A Concise Companion to Contemporary British and Irish Drama, Oxford, Blackwell Publishing Ltd, 2008, p. 253.
8 Howard Barker & Charles Lamb, « Articulate explorers in an age of populism », in Mark Brown (ed.), Howard Barker Interviews 1980–2010: Conversations in Catastrophe, Bristol, Intellect, 2011, p. 40.
9 Ibid., p. 43.
10 Christine Kiehl, « Le corps dans le théâtre de la catastrophe de Howard Barker », Linguistique, Metz, Université Paul Verlaine, 2005, p. 8.
11 Le choix du terme « catastrophe » est, en soi, révélateur : « καταστροφή », soit kata-strophế en grec (renversement, destruction) évoque l’idée de subversion, de retournement mais également de déconstruction. Nous savons que cela est le cas, puisqu’il s’agit de renverser les « acquis » de la morale.
12 Howard Barker, Arguments for a Theatre [1993], London, Oberon Books Ltd, 2016, p. 54.
13 Ibid., p. 38.
14 Ibid., p. 23.
15 Ibid., p. 10.
16 Ibid., p. 17.
17 David Campbell, « Introduction », in Thomas More, Utopia [1516], London, Everyman’s Library, 1992, p. 10.
18 Le message chrétien d’Utopia stipule que la véritable perfection ne peut se trouver dans les mœurs terrestres de la société humaine. L'ou-topos et l'eu-topos ne peuvent être dissociés l'un de l'autre. L'endroit parfait est, par essence, un endroit que nous ne pouvons connaître : l'au-delà, la mort chrétienne.
19 Howard Barker, Arguments for a Theatre, op. cit., p. 42.
20 « European intellectual movement or climate of thought from the 14th to the 16th cent., which was characterized in scholarship by attentiveness to classical Latin (and later Greek), in neo-Latin and vernacular literature by the creative imitation of ancient texts, in education and public life by the promotion of some or all of the wide range of cultural ideals which these texts were supposed to transmit, and in the fine and applied arts by creative response to Roman and Greek artefacts or principles », in « Humanism, n. » (3.b.), OED Online, Oxford, Oxford University Press, September 2021.
21 Nous pensons au post-humanisme que Francesca Ferrando définit comme suit : « It [posthumanism] is “post” to the concept of the human and to the historical occurrence of humanism, both based […] on hierarchical social constructs and human-centric assumptions », Francesca Ferrando, « Posthumanism, Transhumanism, Antihumanism, Metahumanism, and New Materialisms: Differences and Relations », Existenz, New York, University of Columbia, vol. 8, n°2 (2013), p. 29.
22 « Any system of thought or ideology which places humans, or humanity as a whole, at its centre, esp. one which is predominantly concerned with human interests and welfare and stresses the inherent value and potential of human life », in « Humanism, n. » (5.a.), OED Online, op. cit.
23 Howard Barker, « Brutopia », Collected Plays: Volume II, New York, Riverrun Press, 1993, p. 133.
24 « BONCHOPE: If your tongue burns, drink some water », ibid. p. 158.
25 Idem.
26 Ibid., p. 145.
27 Nous pourrions aller jusqu’à considérer un possible commentaire sur l’Utopia de la part de Barker. Publiée pour la première fois en latin, en 1516, elle demeure inaccessible aux populations anglaises souffrant d’analphabétisme, ou parlant un anglais vernaculaire courant. Sur ce sujet, le choix du terme « dictionary » par Cécilia nous rappelle que le premier dictionnaire d’anglais est A Table Alphabeticall of Hard Usual English Words, de Robert Cawdrey, publié en 1604, soit presque un siècle après.
28 Jerome H. Neyrey décrit l’encomium comme « the most common form in antiquity for praising a person according to fixed, regular categories (origins, parents, nurture, virtues, and death) », in Jerome H. Neyrey, « Encomium versus Vituperation: Contrasting Portraits of Jesus in the Fourth Gospel », Journal of Biblical Literature, New York, The Society of Biblical Literature, vol. 126, n°3 (Automne 2007), p. 529.
29 Howard Barker, « Brutopia », op. cit., p. 136.
30 Platon, Ménon, trad. Bernard Piettre, Paris, Nathan, 2000, p. 49-56.
31 Howard Barker, Brutopia, op. cit., p. 154-155.
32 Idem.
33 Idem.
34 « Parody, v. » (1.a.), OED Online, op. cit.
35 Nous précisons que la conception de l’utopie morienne comme découverte de l’état parfait est la lecture qu’on en propose habituellement, mais la réalité est naturellement bien plus ambiguë.
36 Des rumeurs circulaient sur More au sujet de sa foi catholique, dans le contexte du schisme d’Angleterre. Une mouvance anticatholique dans le pays permit la circulation de ces rumeurs, et ces dernières prirent parfois des proportions grotesques.
37 Howard Barker, Brutopia, op. cit., p. 131.
38 Dès le XVIIe siècle, l’influence de la lune est considérée pour des maladies telles que la schizophrénie : « Le modèle médical l’emporte dès le début du XVIIe siècle, la lycanthropie étant décrite comme manifestation clinique de plusieurs troubles mentaux (mélancolie puis manie) », Alexandre Baratta & Luisa Weiner, « La lycanthropie : du mythe à la pathologie psychiatrique », L'Information Psychiatrique, Montrouge, John Libbey Eurotext, vol. 85, n°7 (Septembre 2009), p. 675.
39 Howard Barker, Brutopia, op. cit., p. 132.
40 Ibid., p. 133.
41 Ibid., p. 132.
42 « KING HENRY: I’m here for wit! », idem.
43 Ibid. p. 131, 132.
44 Christine Kiehl, « Le corps dans le théâtre de la catastrophe de Howard Barker », in op. cit., p. 20.
45 Le corps de l’écrivain humaniste est lui-même central au récit, puisque la pièce est séparée en deux grands actes intitulés respectivement « The Sickness » et « The Recovery ». Ces titres coïncident avec la présence (et, pour le deuxième acte, l’absence) du corps de More. En effet, la seconde partie se déroule après la mort de l’écrivain, et se concentre sur sa fille Cécilia, ce qui nous invite à comprendre que le monde était « malade » de l’humanisme mais qu’après l’exécution de Thomas More, il en a guéri.
46 Ibid., p. 142.
47 Ibid., p. 131.
48 « Figure, n. » (I.1.a.), OED Online, op. cit..
49 « Figure, n. » (I.6), ibid.
50 Howard Barker, Arguments for a Theatre, op. cit., p. 54.
51 Howard Barker, « The Catastrophic Theatre », in Christine Kiehl, op. cit., p. 8.
52 Howard Barker, Brutopia, op. cit., p. 195.
53 « CECILIA: […] And everything I know, I thought. From the bottom to the top. From the cellar to the attic. I did not borrow. I did not quote », ibid., p. 194.
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