À propos de La Tempête de Shakespeare : pensées et aquarelles

Par Jean-Marc Brugeilles
Publication en ligne le 28 janvier 2010

Table des matières

I.

1Voici quelques impressions que je livre, en toute simplicité, sur la pièce de Shakespeare et sur les deux aquarelles que j'ai réalisées à la suite de ma lecture.

I.

2J'ai rencontré Pascale Drouet qui s’intéresse à ce grand dramaturge. Notre rencontre a été passionnante, elle a ouvert pour moi les portes de l'œuvre de Shakespeare: j'ai compris d'un coup la grandeur de l'homme, le travail sur la nature humaine, ses bons côtés et son ombre, sa face sombre. Pascale m'a conseillé de lire La Tempête. De retour chez moi, j'ai acheté cette pièce et je m’y suis plongé.

3Dès le début de la pièce, j'étais au milieu des marins, dans le bateau, au milieu de  la tempête. La sensation était très forte. J’ai toujours en mémoire la dernière phrase de Gonzalo qui aurait aimé une mort sèche:

C’est maintenant que je donnerais volontiers mille lieues d’océan pour un arpent de mauvaise terre: de la bruyère, des pins rouges, n'importe quoi! la volonté du Ciel soit faite, mais j'aurais préféré mourir bien au sec. (Acte I, scène 1)1

4J’aime l’idée que Prospéro et sa fille Miranda se retrouvent sur une île, après que Prospéro a été destitué par son frère Antonio. L’île est l'image d'un autre monde, où la magie donne à Prospéro un grand pouvoir. Prospéro et Miranda vivent dans un isolement intense. L'île est comme une sorte de lieu punitif, lieu d’un exil douloureux, mais c’est aussi l'île de la réconciliation.

5Prospéro est un magicien; c'est lui qui déclenche la tempête avec l'aide d’Ariel. Ce que j’aime dans cette pièce, c’est que le côté allégorique et le réel sont remarquablement bien unis, complémentaires. L'allégorie a toujours un sens cachée, elle donne des conseils, elle invite à lire en soi-même, elle aide à se guider dans la vie, et elle a aussi un sens spirituel. Ici, les esprits vont aider Prospéro à retrouver son trône. Ce monde des esprits, c’est en quelque sorte l'autre monde, celui où l'homme sera heureux.

6Shakespeare, dans La Tempête, nous transporte très loin dans le monde du rêve où l'humanité peut trouver un remède à ses maux, où la lumière peut inonder le monde. Je pense à ces vers, par exemple, où Prospéro parle à Miranda :

Mais si, et même davantage, Miranda.
Mais comment se peut-il
Que ces choses soient restées vives à ton esprit?
Et en perçois-tu d'autres dans les ombres
De l’abîme du temps qui a passé?
Si ta mémoire garde quelque trace
De ce qui fut avant ta venue ici,
Tu peux te souvenir de celle-ci même. (Acte I, scène 2)

7J'aime ce passage qui évoque le temps, c’est-à-dire une des choses les plus mystérieuses de la vie, comme la mémoire. J'imagine de noirs fonds abyssaux parcourus par des images silencieuses de vie humaine; je vois des fonds marins où des arabesques de couleur rappellent la mémoire. Je peux faire un beau tableau avec des vers comme ceux-là.

8Il y a, dans les voix des personnages de Shakespeare, beaucoup de philosophie, des phrases lourdes de sens qui nous donnent à penser, qui suscitent une introspection de notre part. Certaines situations dans la pièce de Shakespeare me donnent beaucoup d'images allégoriques. Cette pièce est pour moi source d'inspiration. Le texte est très beau, très vivant.

9Caliban, c’est ce personnage sombre, lâche, qui veut tuer Prospéro avec l'aide de Trinculo et de Stéphano. Caliban, c’est l'homme qui ne peut contrôler ses cinq sens, qui change au gré du vent. Il représente ici un type de nature humaine sauvage, irascible. Il n'attire pas l'affection.

10Il y a une belle histoire d'amour entre Miranda et Ferdinand. Cette histoire d'amour insuffle à la pièce une joie immense: c'est la réconciliation, la joie d'une nouvelle vie. Propéro met à l'épreuve Ferdinand pour voir s’il est digne de sa fille. Cette union symbolise le pardon et un avenir lumineux.

11Ariel est le lien entre tous les personnages de l'histoire, par sa parole induite dans leurs esprits sous l'ordre de Prospéro.

12J'aime la capacité de Propéro à pardonner son frère qui l’a trahi. Le pardon, l'amour, sont plus forts que toutes les ignominies que Prospéro a subies avec sa fille.

13Dans cette pièce qui nous tient en haleine, la nature humaine est dévoilée sans ménagement, l'injustice et la haine sont écrasées par l'amour. Une des raisons pour laquelle j’aime cette pièce, c’est que la noirceur humaine est dissoute par l'amour et le pardon de Prospéro. C’est un espoir merveilleux car nous savons que c'est si dur de pardonner… Shakespeare a voulu nous dire quelque chose sur le pardon, le pardon qui est possible. Sans lui, la vie est étouffée, ligotée.

II.

14Suite à ma lecture, j'ai eu envie de faire deux aquarelles: la première aquarelle, c’est «Le joyeux théâtre», la deuxième, «La carriole sur l'île».

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Le joyeux théâtre, 2009, 68 x 57 cm.

15Pour la première aquarelle, j'ai peint l’intérieur d’un petit théâtre où la pièce est jouée. On y voit un dromadaire car, dans la pièce, le bateau vient de Carthage. Depuis leurs balcons respectifs, le Roi et la Reine de l'époque de Shakespeare assistent à la générale. Dans la fosse, un violoncelliste accompagne la pièce. Sur scène, Prospéro brandit sa baguette magique et, là, avec Ariel, déclenche la tempête, pendant que Caliban ramasse du bois, taciturne et lent à la tâche. Dans les tribunes, les fleurs figurent les spectateurs, les arbres les sages. J'ai pensé au monde irréel de la pièce. La grenouille, c’est le metteur en scène. Les bougies sont là pour éclairer le chemin de nos âmes dans le labyrinthe du temps. Le poisson est le représentant du monde aquatique. J'aime que les mondes se rencontrent dans mes tableaux, le monde de l'air, de l'eau, de la terre.

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La carriole sur l’île, 2009, 68 x 57 cm.

16Pour la seconde aquarelle, j'ai peint l'île où, sur une roulotte qui évoque un théâtre ambulant, la pièce de Shakespeare est jouée. Caliban est très horrible, comme l’est souvent la nature humaine. C'est un monstre qui a la forme d'un oiseau avec une tête de vampire. Il est en train de hurler. Autour de l’île, des poissons assistent à la représentation; les arcs-en-ciel qui sortent de leurs bouches symbolisent l'amour de Miranda et de Ferdinand. Sur un des arbres, j'ai mis deux couronnes, pour reprendre l’idée d'un ami de Pascale, Édouard Lekston: l’une est éteinte, et l'autre c'est celle que va bientôt porter Propéro. De grandes fleurs symbolisent la fin heureuse de la pièce.

III.

17Il se trouve qu’il y a six mois, sans avoir lu la pièce, j'ai réalisé un dessin sur lequel j'ai représenté l'île de Caliban avant l'arrivée de Propéro et de sa fille, avant leur appropriation du lieu. Caliban vit là en maître, avec l'esprit noir de sa mère. Il y a une amanite phalloïde, qui symbolise la mort, et l'image de sa mère, la sorcière Sycorax, évoquée par un totem horrible. La maison symbolise la caverne où vivent Prospéro et Miranda,

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L’île de Caliban, 2009, 67 x 47 cm.

18Shakespeare est un auteur qui me donne beaucoup d'images merveilleuses à la lecture du texte. J'espère un jour assister à une représentation de La Tempête, voir comment le metteur en scène peut jouer de toutes les subtilités de la pièce.

Appendix: le peintre dans son atelier

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Notes

1 La traduction est celle d’Yves Bonnefoy.

Pour citer ce document

Par Jean-Marc Brugeilles, «À propos de La Tempête de Shakespeare : pensées et aquarelles», Shakespeare en devenir [En ligne], Espace Libre : autour de La Tempête, N°2 - Saison 2009-2010, L'Oeil du Spectateur, mis à jour le : 30/04/2010, URL : https://shakespeare.edel.univ-poitiers.fr:443/shakespeare/index.php?id=189.

Quelques mots à propos de :  Jean-Marc Brugeilles

Né en 1959, Jean-Marc BRUGEILLES est peintre, graveur et illustrateur. Son ami Jacques Sordoillet décrit ainsi son travail: «Voilà trente ans que Jean-Marc Brugeilles peint la toile, grave le bois, le lino, le cuivre. À cette rencontre de la matière, il invite l’oiseau, l’arbre, la pierre, la fleur et les étoiles pour une nouvelle Création où l’homme oublierait les raisons du pouvoir dans la félicité de la vie. Nu face au monde, l’homme et la femme croisent nos regards: ne sommes-nous pas tous c ...